Je lis ce matin ceci " la seule chose certaine, c'est la disparition de la gauche"
Le constat est suivi d'une explication. Vous pouvez lire l'entretien avec jean-Luc Nancy ici:"Le sens de l'hstoire a été suspendu"
Et en voici un long extrait :
Qu'est-ce qui s'est arrêté?
L'histoire représentée comme émancipation de l'humanité. Le sens de l'histoire a été suspendu, et cette suspension n'est pas .provisoire. Je ne dis pas qu'une histoire ne va pas reprendre, autrement. Mais être de gauche, c'était vivre dans le sentiment de participer à une histoire qui progressait, bon an mal an, vers la possibilité d'une plus grande justice sociale, d'une société plus juste, plus heureuse, plus pacifique. On était dans une bulle démocratie, humaniste, paradoxalement héritée de la guerre froide et qui n'a pas résisté à sa fin[…]
Ces dernières décennies n'auraient été qu'un long processus de déception?
De déception ou de mutation... 68 avait t marqué une première inflexion. Au lieu d'aspirer à des lendemains qui chantent, les manifestants ont dit: «On arrête tout; on s'interroge surie présent.» La société a cessé de se projeter vers l'avenir, changement dont le «no future» des punks a donné la version sombre et tragique. Ma jeunesse a été marquée par l'idée de futurisme, sous toutes ses formes, du commissariat au plan, pour l'économie et la société, jusqu'à la science-fiction pour la littérature. Mais déjà on s'interrogeait sur la vie du militant qui sacrifie tout son présent, amoureux, sexuel, artistique, sensible, au service d'un projet à venir. Voilà ce qui s'est perdu: le Progrès, épine dorsale de l'humanisme, dont on retrouve la trace déjà chez Pascal, lorsqu'il dit que l'humanité est une succession d'hommes qui montent sur les épaules les uns des autres pour voir plus loin. Mais ce doit être moins une déception qu'une leçon : l'humanité ne se donne à elle-même ni son image ni son but. L'homme n'est pas son propre but et il n'y a pas de but: il y a de l'existence, au présent, il y a du «sens» maintenant,
Le progressisme serait donc fondé sur un malentendu?
«Démocratie», «socialisme», «communisme» comportent, chacun de façon différente, une formidable équivoque: tout en désignant des formes d'organisation, un «commun» où l'émancipation pourra s'épanouir, ils dissimulent l'opacité de l'homme» et de ce «commun» qu'ils sont supposés faim advenir. Les mots dont nous parlons ont une coloration «politique», mais ils portent plus: ils portent, irrésolue, la question de l'homme. Aujourd'hui comme hier, la politique est nécessaire, à toutes les échelles, contre les asservissements, les dominations, les tutelles et les injustices. Mais l'enjeu est aussi de savoir pour quoi et comment quel «homme» doit être émancipé -aussi bien, peut-être, de lui-même. Cet enjeu n'est pas politique, il est philosophique, métaphysique. On a rétréci la raison, il faut la rouvrir, lui redonner de l'ampleur, du souffle, de l'esprit. Adieu à l'engagement politique, alors? Non, mais à notre grande illusion (ou religion) qui a été de croire que tout était politique. Maintenant, on s'aperçoit que la machine démocratique, tout en fonctionnant à peu près, n'est pas par elle-même porteuse de l'émancipation. Tout passe par la politique, mais rien ne peut s'y accomplir. la politique est toujours «pour demain» (maintenir des équilibres, ouvrir des possibilités de négociation), mais c'est en dehors de la politique que les choses s'accomplissent, dans l'art, dans la pensée, dans l'amitié, l'amour, dans tout ce par quoi l'homme sent et ressent. A l'instant où je vous parle, il fait beau et je vois la flèche de la cathédrale de Strasbourg par la fenêtre, ici et maintenant C'est là, ça fait du sens, c'est accompli et ce n'est pas politique ni religieux.
(Entretien avec Eric Aeschimann)