Les hommes ont inventé l'Etat pour ne ps obéir aux hommes ni se soumettre aux seules lois du marché
C'est ce qu'explique ce matin Amartya Sen dans Libération. Je n'ai aps trouvé le lien, je vous en fournis donc un extrait:
"Sans Etat , on bascule dans la déraison" "C'est parce que l'Etat s'est effacé que la crise économique actuelle a pu prospérer sur la cupidité et le manque de vigilance d'institutions publiques de contrôle et de surveillance?
Oui. Jusqu'ici, le capitalisme s'est toujours appuyé sur ce que certains idéologues ont dénoncé: un Etat qui a développé l'éducation, instauré des transports de masse, permis l'explosion de l'espérance de vie. Cette crise est celle d'une rupture d'équilibre entre le marché et l'Etat. Sans Etat pour corriger les excès des marchés, on bascule dans la déraison. La cupidité a toujours été là, ce n'est pas elle qui a provoqué la crise. C'est la faillite du contrôle d'un Etat taillé en brèche par le néolibéralisme hérité des années Reagan et Bush. Et pensé comme le seul moteur du développement des nations.
Les économistes et les médias ont, pour la plupart, toujours cherché à minimiser la crise et accepté cette omnidérégulation...
Pas tous. Ceux qui l'ont anticipée sont ceux que le grand public ne connaît pas. Beaucoup d'économistes ont surévalué la capacité de l'économie de marché à s'autoréguler. Ils ont mordu, comme les politiques et les médias, aux mythes d'une croyance exorbitante placée dans les agents (banques, courtiers, assureurs, etc) faiseurs de miracles. Ils ont cru au consensus qui postulait qu'on pouvait déréguler, privatiser, libéraliser tout et n'importe quoi, sans aucune perte. Les critiques, les suspicieux, n'étaient pas écoutés. Et on ne voulait pas les entendre. Difficile de trouver des tribunes dans les journaux. Ils étaient perçus comme des cassandres qui écoutaient des 78 tours à l'heure du déferlement de la musique numérique... On a payé ce manque d'ouverture, cette absence de débat contradictoire, ce poids de la pensée unique.
Il est étrange de vous voir souvent citer Adam Smith, théoricien de la main invisible du marché, à l'heure où l'on réhabilite plutôt la pensée de Marx ou de Keynes?
Il y a deux cent cinquante ans pile, en 1759, dans la Théorie des sentiments moraux, puis dans la Richesse des nations, en 1776, Adam Smith a toujours dénoncé les spéculateurs qui déstabilisaient l'économie. Il a milité pour que des actions basées sur des valeurs soient toujours plus fortes que la seule recherche du profit rapide. Il disait que «l'humanité, la justice, la générosité et l'esprit public sont des qualités plus utiles que les autres». Et surtout, il n'a jamais utilisé le mot «capitalisme»: pour lui, le marché était important s'il se cantonnait dans sa sphère naturelle. Il a défendu le commerce parce qu'il pensait, à juste titre, que le limiter ne ferait qu'accentuer les échanges et exacerber la famine. Il disait que même si des innovations venaient de l'initiative privée, elles pouvaient aussi être douteuses. Je ne suis pas sûr que l'homme tire toujours les leçons de l'Histoire. Pas sûr qu'il soit plus intelligent aujourd'hui. On ajoute des connaissances, mais on oublie des sagesses. Pour s'en sortir, il faut renouer avec un outil économique, sociologigue et diplomatique: la raison".
Recueilli par CHRISTIAN LOSSON Amartya Sen Libération 6 juin 2009