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9 mars 2020 1 09 /03 /mars /2020 11:24

Bonsoir professeur et bonne fête de la journée internationale de la femme.

Je suis André Kim OUEDRAOGO, scolastique étudiant jésuite de la province de l'Afrique de l'Ouest. Je suis actuellement au Cameroun, précisément à Yaoundé pour mes études en Philosophie. Je suis en Licence III de Philosophie à l'Université Catholique de l'Afrique Centrale.  Alors, pourquoi ma rencontre avec le professeur Laurence Hansen- Löve ?

Dans le cadre de mon cours de philosophie du langage, mon enseignant nous a demandé ( à mon camarade de classe Christian et moi) de faire des recherches sur l'ouvrage de Ole Hansen-Löve. Je me suis rendu à la bibliothèque pour m’enquérir du livre mais il n'y était pas. C'est ainsi qu'avec l'espoir de retrouver l'ouvrage sur le net que j'ai eu l’opportunité de faire la connaissance du professeur Laurence.  Mon objectif sur le net était de télécharger le livre mais c'était impossible car je n'avais pas accès à la totalité de l'ouvrage en question. Alors, en lisant la biographie de Hansen-Löve, je me suis rendu  compte que Laurence-Hansen-Löve  a été son épouse et cette dernière possédait un compte Facebook. Je prends mon courage pour lui envoyer une invitation sous forme de message pour lui donner la raison de mon invitation. Après quelque jours, elle me donna une réponse très favorable, parce qu'elle m'a envoyé non seulement l'ouvrage de mes recherches mais aussi deux autres livres de Ole Hansen-Löve présentant l’ourse de Kant. Cette aide qui m'a permis de me nourrir sur le plan épistémologique et prendre connaissance des savoirs des aînés dans la science. Cela  a été très bénéfique pour moi. Non seulement j'ai appris beaucoup sur la pensée de Ole Hansen-Löve  mais aussi j'ai obtenu la deuxième meilleure note de la classe. Je dis un grand merci au professeur pour son grand soutientà la jeunesse que nous sommes dans la quête du savoir. Merci beaucoup professeur pour votre disponibilité et votre ouverture.

Vous pouvez publier mon résumé sur votre blog. Merci!

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29 janvier 2020 3 29 /01 /janvier /2020 10:15
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Où commence, où finit le blasphème ? (janvier 2012)

Professeur : Laurence Hansen-Løve Discipline : Ordre général Sujet corrigé : Plan détaillé de dissertation

Depuis le début du XXI e siècle, le thème du « retour du religieux » est devenu un lieu commun. De fait, depuis quelques années, un certain nombre d’événements, d’actes ou performances artistiques supposés « blasphématoires » on défrayé la chronique et suscité la colère de milliers ou de millions de croyants fervents qui se sont estimés « offensés ». On citera en premier lieu l’affaire des caricatures de Mahomet du journal Jyllands en 2005. Plus près de nous, ce sont des événements « artistiques » visant la religion chrétienne qui ont suscité la colère, notamment en France, des catholiques traditionnalistes (le tableau Piss Christ, de Andres Serrano, 1987, le film La dernière tentation du Christ, Martin Scorsese, 1988, et , en 2011, les pièces de théâtre : Sur le concept du visage du fils de Dieu 2011, Romeo Castellucci, et Golgota Picnic, Rodrigo Garcia 2011). On peut donc se demander si les indignations et les protestations occasionnées par des œuvres ou des actes jugés « blasphématoires » sont révélatrices de l’intensité persistante des sentiments religieux, y compris dans un contexte laïc, ou bien si elles traduisent une forme insupportable d’intolérance pour des nations dont la tradition de libre pensée, héritée des Lumières, est désormais dominante. Mais il convient tout d’abord de préciser ce que recouvre le mot de « blasphème » pour une république qui ne comporte plus de religion d’Etat, en l’occurrence la France. La notion conserve-t-elle la moindre pertinence ? Et si tel est le cas, chaque communauté est-elle habilitée pour définir ce qui constitue le « blasphème » ? Ou bien, au contraire, appartient-il aux les autorités publiques, ou bien à n’importe quel observateur impartial, de déterminer où commence, et où finit le « blasphème ?

I Orthodoxie du blasphème

Le mot « blasphème » vient du grec « blasphêma », dérivé de « blàptein » injurier, et « phêmê » ou « phâma », réputation. La traduction latine est « blasphêmia » qui signifie « diffamation ». La définition usuelle du « blasphème » est : « une parole ou un discours qui insulte violemment la divinité ». La notion fut définie par le théologien Francisco Suarez au XVI e siècle en Espagne, dans le contexte de l’inquisition, comme « toute parole de malédiction, reproche ou irrespect prononcé contre Dieu ». Le blasphème ne concerne que le domaine de la religion. Mais il ne se limite pas aux insultes ou paroles irrévérencieuses prononcées à l’encontre de Dieu. Il peut aussi constituer une offense à l’égard de ce qui est considérée comme sacré ou inviolable, au delà donc de la stricte divinité. On remarque que le blasphème ne concerne que la religion et non les religieux (dire par exemple que « tous les prêtres sont pédophiles » n’est pas un blasphème, stricto sensu). Néanmoins, ce sont les religieux qui définissent ce qui relève du sacré, de la religion, et donc du blasphème. La question posée ici implique trois types d’éclaircissements : l’une concerne les différentes

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définitions du blasphème, la seconde les actes qu’elle désigne, la dernière celle de ses conditions de possibilité politique.

  1. 1)  Définition du blasphème : le blasphème est une offense verbale contre une religion ou contre l’un de ses dogmes. C’est ce caractère verbal qui distingue le blasphème du sacrilège, qui est un acte s’apparentant à une profanation, tel que le fait de violer, détruire ou souiller des objets dédiés au culte. Pour ce qui concerne la motivation, qui constitue le délit ou le crime, elle est la même : insulter ou profaner Dieu ou la divinité. Toutefois, on peut se demander qui (ou quels objets) est (sont) visé (s) par le blasphème. Théoriquement, c’est la religion, ou Dieu. Mais la religion est une abstraction et Dieu ne peut être profané qu’à travers ses représentants, ou ses symboles. D’où l’extension du domaine du blasphème à la parole de Dieu, aux dogmes, à ses prophètes, aux croyances de ses adeptes. Ainsi par exemple un Traité des trois imposteurs a circulé au 17 e siècle qui accusait de blasphème, entre autres, Machiavel, Giordano Bruno, Hobbes Spinoza et d’Holbach. On sait que Giordano Bruno a été condamné au bûcher et exécuté en 1600 pour ses écrits jugés blasphématoires parce qu’il récusait le géocentrisme, tandis que Spinoza a été excommunié pour hérésie en 1656 par sa communauté à Amsterdam. Aucun n’avait injurié Dieu pourtant ! En revanche ils avaient tous remis en cause l’autorité de l’Eglise, indissociable de ses dogmes.

  2. 2)  Les actes incriminés : ils peuvent être de trois sortes : parole hérétique (qui insulte Dieu ou la religion), imprécation (Pour en finir avec Dieu, titre d’un ouvrage contemporain di philosophe britannique Richard Dawkins), ou simple irrespect, comme une parole de protestation ou d’indignation contre un décret divin. Exemples de blasphèmes: nier l’existence de Dieu, injurier ou vandaliser une représentation de Dieu, mentir, se parjurer, représenter Dieu (pour les religions qui l’interdisent) ou a fortiori le caricaturer. Le second commandement de la Bible interdit de « prononcer le nom de Dieu en vain » : donc, en toute rigueur, dire « sacré nom de Dieu », par exemple, c’est blasphémer. Autre exemple : Voltaire a pu être jugé blasphématoire pour avoir dit, entre autres, que le « christianisme est la plus ridicule, la plus absurde et la plus sanglante religion qui ait jamais infecté le monde »,(Lettre à Frédéric II, Janvier 1767).

  3. 3)  Le contexte politique et religieux : ce sont les religions elles-mêmes qui définissent le blasphème. Ce sont elles qui déterminent ce qui est offensant dans le blasphème, et qui est très variable en fonction des interdits. Par exemple, représenter Dieu n’est nullement l’offenser dans la religion catholique, notamment dans ses versions orthodoxes (Eglise orthodoxe), bien au contraire ! D’un point de vue juridique, seul un Etat religieux peut intégrer le concept de « blasphème » dans sa loi. Dans les Etats à religion officielle, le blasphème est un délit, voire un crime, car il est censé s’attaquer aux fondements de l’ordre social (les exemples les plus notables sont ceux de l’Iran et du Pakistan). Il n’en va pas de même en terre chrétienne aujourd’hui. Toutefois, certaines communautés religieuses interviennent parfois pour se défendre contre ce qu’elles tiennent pour une agression. Ainsi par exemple, en 1989,

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l’épiscopat catholique a tenté de convaincre les tribunaux d’Allemagne d’utiliser la législation anti-blasphème (toujours en vigueur !) pour condamner des athées qui soutenaient que « l’Eglise était le plus grand criminel de l’histoire de l’humanité ». En vain toutefois.

Conclusion :

Dans les Etats laïcs, en particulier européens, fortement marqués par les combats des Lumières, le blasphème peut être invoqué par certaines minorités quand leur sentiment religieux est violemment malmené. Néanmoins, aujourd’hui, la laïcité et le pluralisme sont entrés dans les mœurs, en tout cas en Europe, à tel point que la religion n’est plus considérée comme étant le fondement du lien social. Elle n’est même plus considérée comme « sacrée ».

II Un concept non moins paradoxal qu’élastique

Paradoxal puisque sa raison d’être est de sanctuariser ce qu’il nie, à savoir le sacré. Elastique, car il peut désigner tout (du simple fait de prononcer le nom de Dieu au fait de le représenter immergé dans de l’urine) et son contraire: le fait de blesser non plus Dieu, mais une communauté, ou une certaine idée de l’humanité, voire certaines convictions, y compris athées. Ainsi, par exemple, le fait aujourd’hui (décembre 2011) d’incriminer en France la négation du génocide arménien (loi adoptée par l’assemblée nationale en décembre 2011) est vécu par certains comme une sorte de blasphème contre non pas une divinité, mais contre le peuple turc.

1) «Le crime est un moment du châtiment». Cette formule sibylline prêtée à Durkheim signifie que le crime n’est pas un acte que l’on pourrait définir en lui- même (comme par exemple : « l’atteinte aux biens et aux personnes »). Le seul dénominateur commun, en effet, de tous les crimes dans toutes les sociétés connues est le châtiment. C’est donc le châtiment qui désigne et qualifie le crime. C’est parce qu’un acte (par exemple le blasphème) est jugé tel... qu’il mérite un châtiment suprême ou exemplaire qu’on le qualifie de « crime » (la divulgation d’un secret d’Etat par exemple). Pour Durkheim, « nous ne pouvons pas dire qu’un acte est criminel parce qu’il heurte la conscience commune. Mais au contraire qu’il est criminel parce qu’il froisse la conscience commune. Nous ne le réprouvons pas parce qu’il est un crime, mais parce qu’il froisse la conscience commune" (Les règles de la méthode sociologique ). Autrement dit, la peine a pour fonction principale de réaffirmer la force de la conscience collective, notamment en réaffirmant la validité des normes et des interdits propres à une société.

On voit à quel point cette analyse est pertinente en ce qui concerne le « blasphème ». On chercherait en vain le dénominateur commun des actes jugés blasphématoires (en quoi le fait de dire que « l’univers est infini » - propos qui a mené Giordano Bruno au bûcher- est-il offensant pour Dieu, par exemple ?). Déjà, dans Euthyphron, Platon se demandait comment l’on peut prétendre définir la vraie

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piété : qui peut savoir en effet ce qui plaît aux Dieux (les sacrifices et les offrandes ? oui, mais lesquels ?) et ce qui leur déplaît souverainement? Ainsi un acte injuste, ou simplement violent, quoique légal (comme, dans Euthyphron, le litige qui est le point de départ du débat, à savoir le fait pour un fils de dénoncer à la Justice son père, auteur d’un crime involontaire). Le prêtre est bien obligé d’avouer à Socrate qu’il est incapable de lui répondre.

On connaît la suite : Socrate a été condamné à mort non pour blasphème, mais pour impiété, ce qui revient à peu de choses près au même... En bref, d’un point de vue social, le but des lois est de définir des interdits et de fixer les sanctions correspondantes afin non seulement de protéger les intérêts des citoyens mais aussi de valider les convictions de la conscience commune. Autrement dit le but de l’instauration d’un délit ou d’un crime, c’est de fixer des bornes et de « rassurer les honnêtes gens » (Durkheim).

2) Les Inquisiteurs médiévaux et les nouveaux justiciers ont pour objectif de voler au secours d’un « sacré » jugé menacé. On peut évoquer ici la controverse de Valladolid (1550), et le reproche qui était adressé aux habitants du Nouveau Monde par la voix du chanoine Sépulvéda : les indiens sont des blasphémateurs puisqu’ils nient ou ignorent le Dieu chrétien. Il est donc permis voire recommandé de les asservir ou de les exterminer en cas de résistance. On peut citer les cas emblématiques de Spinoza, Galilée ou Darwin dans les siècles passés. En ce qui concerne Spinoza, il lui fut reproché de discuter certains dogmes judaïques. Galilée a eu le tort de remettre en cause le dogme religieux selon lequel l’homme étant le chef d’œuvre de la création, devait nécessairement être situé à son centre. Le second a soutenu que les espèces suivantes évoluent au cours des siècles, ce qui implique qu’elles ne sont pas d’emblée parfaites ni adaptées strictement à leur milieu. Enfin, dans les temps modernes, une « fatwa » a été prononcée contre l’écrivain Salman Rushdie pour un roman qui ne s’en prenait pourtant au Prophète que de manière voilée et humoristique.

On remarque que dans tous ces cas les blasphémateurs n’étaient pas des provocateurs et qu’ils ne cherchaient nullement à agresser ou insulter le « divin ». En revanche ils portaient atteinte aux sentiments religieux d’une communauté qui se jugeait elle-même fragilisée ou menacée, à tort ou à raison. Le but des « justiciers » et des inquisiteurs est de préserver un « sacré » jugé en péril. Dans le cas de l’Inquisition espagnole, et notamment dans le contexte de la controverse de Valladolid, ce qui devait être sauvegardé, en premier lieu, ce sont les intérêts des Conquistadors.

3) Toutes les oeuvres de l’esprit peuvent être jugées blasphématoires - par nature. En ce qui concerne la science, on se référera aux textes de Russell (Science et religion, et Pourquoi je ne suis pas chrétien) qui montrent que les thèses scientifiques se sont toujours heurtées aux dogmes religieux et ont dû les combattre et les réfuter, parfois au péril de leurs inventeurs. La philosophie, quant à elle, de Socrate à Nietzsche, en passant par Spinoza est sinon « blasphématoire » (de nombreux philosophes croient en Dieu) du moins portée au blasphème, dans la mesure où, par définition, elle rejette tous les

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dogmes ! Même de fervents croyants comme Pascal ou Kierkegaard ont pu tenir des propos licencieux (voici comment Kierkegaard invoque Job par exemple : « Parle donc Ô Job Inoubliable... [...] J’ai besoin de toi, j’ai besoin d’un homme qui sache se plaindre à pleine voix, faisant retentir de ses échos le ciel où Dieu délibère avec Satan pour dresser des plans contre un homme... » La répétition). Aujourd’hui le philosophe Hans Jonas considère que Dieu ne peut plus être tenu pour pleinement responsable de sa création, car alors il faudrait lui imputer le mal absolu (Le concept de Dieu après Auschwitz). On pourrait aisément multiplier les exemples... Bref la philosophie questionne et remet en cause tout ce qui s’apparente à une « vérité » définitive et incontestable. Elle ne peut donc que se moquer des interdits soi-disant « dictés par Dieu ».

Quant à la littérature, on peut estimer qu’elle est blasphématoire par vocation. Si l’on s’en tient aux cas exemplaires de Madame Bovary et des Fleurs du mal, l’un et l’autre étaient effectivement attentatoires à la religion. Citons par exemple la scène où Emma Bovary est d’autant plus excitée qu’elle fait l’amour sous un crucifix. Mais en réalité, les deux écrivains étaient aussi des blasphémateurs patentés puisqu’ils piétinaient les valeurs sacrées de la bourgeoisie montante de l’époque, à commencer par le mariage et la famille.

Néanmoins aujourd’hui, en régime laïc, la philosophie a fait son œuvre, et même les croyants rejettent l’idée de « blasphème » et accordent aux agnostiques la liberté de croire ou de ne pas croire. (« Nous vous laissons la liberté de croire, laissez-nous la liberté de penser »). La notion de « vérité absolue » n’ayant plus cours, aucun croyant n’a le droit de récuser les convictions de l’autre.

Conclusion :
Le « blasphème » au sens originel du terme (« insulter la religion ou le divin ») ne comporte plus de réelle pertinence en tant que concept juridique, en tout cas en occident chrétien. Cela ne signifie pas que l’idée de blasphème est devenue caduque en terre laïque, comme on va le voir. A la question en effet : « peut-on tout dire ? » la réponse reste invariablement : non !

III Le blasphème après la « Mort de Dieu »

Le texte de Nietzsche du Gai savoir concernant la « mort de Dieu » date de 1882. Au début du XX eme siècle, Max Weber évoque le « désenchantement du monde » et la « guerre des Dieux » : entendez le pluralisme qui caractérise les sociétés industrialisées issues du christianisme, notamment protestant. Le « désenchantement du monde » signifie que la foi et donc la religion sont reléguées dans le seul domaine privé. La « guerre des Dieux » désigne le fait que plusieurs systèmes de représentations cohérentes de l’univers sont désormais en concurrence dans une même société. Dans un tel contexte, la notion de « blasphème » change de sens :

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1) Le blasphème en régime laïc : tandis que dans un Etat théocratique, le blasphème sera sévèrement sanctionné car il s’attaque au fondement même de l’ordre social, au contraire, dans un Etat laïc, le blasphème peut éventuellement être sanctionné (cela a pu être le cas en Allemagne, en Finlande, au Danemark) afin de préserver la paix sociale, mais indépendamment de toute considération religieuse. Le pouvoir politique doit alors arbitrer entre liberté d’expression et droit au respect de la religion.

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2)

Toutefois ces dispositions sont rares et peu contraignantes (Exemples : aux Etats- Unis, interdiction en 1952 d’un court-métrage de Rossellini jugé blessant et diffamatoire ; interdiction en 1994 d’une comédie musicale en Allemagne ridiculisant l’Eglise catholique ; en janvier 2010, en Irlande, un article de loi prévoit une amende de 25000 Euros pour toute personne tenant « des propos grossièrement abusifs ou insultants sur des éléments considérés comme sacrés par une religion et choquant ainsi un nombre substantiels de fidèles de cette religion (Le monde 26 décembre 2011, « L’art très contemporain du blasphème » http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/12/24/blaspheme-l-eternel- retour_1622124_3224.html ).

De manière générale, dans un Etat laïc, on considère, depuis le siècle des Lumières, que la liberté de conscience implique la liberté d’expression. Chacun est libre de s’exprimer, y compris sur des sujets religieux. Les laïcs considèrent que la liberté de pensée est absolue ou elle n’est pas.

De plus, critiquer une religion, ou ses dogmes, ne peut être considéré comme un blasphème : une critique n’est pas une insulte, car on ne peut « insulter » une idée ni un dogme. Le droit au « blasphème » est donc déduit du « droit à la libre expression » lui-même garanti par la loi qui fixe également la forme et les limites de cette critique.

Enfin, un Etat pluraliste considère qu’une parole n’est pas « blasphématoire dans l’absolu », de même que l’idée même de « vérité » ou de Bien et de Mal « absolus » n’ont plus cours. Seuls les Eglises définissent ce qu’elles jugent blasphématoires, mais leurs sentiments n’ont pas force de loi.

Est-ce à dire que toute notion de «blasphème » est caduque ? Nullement !

La question du blasphème se recentre sur celle de « sacré ». De même qu’il n’y a pas de société sans « crime », il n’y a pas de société sans sacré. Comme le disait si bien Sade en son temps, il nous faut un Dieu, ne serait-ce que pour le profaner : « Je voudrais qu’un moment tu puisses exister/Pour jouir du plaisir de mieux t’insulter » (Histoire de Juliette). Le sacré, c’est le domaine de tout ce que les hommes doivent tenir pour intouchable, inviolable, qui suscite à la fois crainte et révérence, ou même terreur. Aujourd’hui, pour nous, laïcs, le « sacré » n’est plus le divin (Dieu, une divinité, ou un principe transcendant quel qu’il soit). Mais le sacré n’est pas éliminé pour autant, loin s’en faut.

L’équivalent de l’ancien « sacré » désormais, par exemple en France, ce sont les droits de l’homme, tels que définis dans la Déclaration de 1789 et dans celle de 1948. Les droits de la personne humaine, droit à la vie mais aussi à la dignité sont jugés

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« indérogeables », ce qui est le terme juridique qui est l’équivalent du mot « sacré ». Or, la liberté d’expression fait partie de ces droits sacrés.

3) Limites de la liberté d’expression et nouveaux types de « blasphèmes ». Aujourd’hui, outre le blasphème traditionnel (propos outrageants pour telle ou telle communauté car il heurte ses convictions.. religieuses), on voit apparaître toutes sortes de nouveaux interdits. On parlera par exemple de blasphème anti-républicain (à propos de certains propos de rappeurs par exemple) lorsque des paroles ou gestes insultent les symboles de la république, tels que le drapeau, la Marseillaise ou les représentants de la justice.

Par ailleurs, la liberté d’expression est encadrée par la loi (Loi de 1881 sur la liberté de la presse : « Tout citoyen peut être amené à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». La provocation aux crimes et délits reste sanctionnée (art. 23) de même que l’apologie de crimes contre l’humanité ou l’incitation à la haine ou la violence en raison de la religion (art. 24) ou la diffamation contre un groupes religieux. Des éléments »blasphématoires sont interdits dans les publications destinées à la jeunesse.

Certains déplorent même une extension illimitée du domaine du sacré et donc des nouveaux « blasphèmes » ; Il serait difficile aujourd’hui par exemple de publier un livre tel que Lolita de Nabokov. L’écrivain Renaud Camus observe dans son Journal qu’il serait audacieux aujourd’hui de représenter un personnage pédophile ou antisémite, ou même les deux à la fois ! (« L’ombre gagne », tel est le titre qu’il donnerait à un tel roman). Elisabeth Levy observe pour sa part que « dès qu’on ouvre la bouche, on court le risque d’émettre un jugement qui pourra blesser, énerver, voire rendre complètement dingue un de ses contemporains, ou plus vraisemblablement, un groupe constitué en minorité vexée, laquelle pourra à ce titre déployer une hargne légitime à l’encontre du délinquant par la parole » (« Osez le blasphème », in Causeur, Décembre 2011)

Conclusion : Le « blasphème » existe toujours, mais il a changé sous deux aspects décisifs. D’un part, il n’a plus trait au divin, mais au sacré, qui est désormais associé aux seuls « droits humains ». D’ autre part, la loi protège non pas la religion mais les croyants. Enfin, les sanctions sont rares et plutôt modérées, car ces infractions sont des délits, en aucun cas des crimes.

Conclusion

Le blasphème est un concept élastique, disions-nous. Il est donc impossible de répondre avec précision à la question : «où commence, où finit le blasphème ? ». L’erreur serait toutefois de croire que son périmètre coïncide tout simplement avec celui du divin, ou du même celui du sacré. Car le blasphème se « définit » ou plutôt s’apprécie (car définir signifie « délimiter) en fonction d’un sentiment, notamment d’un courroux, dont les sources et les effets sont impossibles à anticiper et à circonscrire. Le blasphème est donc une notion floue et variable selon les Etats, les Eglises et les contextes historiques. Néanmoins, on peut tout de même remarquer

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que certaines religions semblent plus... sensibles au blasphème que d’autres. Ce sont celles qui interdisent toute représentation du divin. En revanche, la religion chrétienne, si l’on en croit certains historiens des religions, était plus apte à la fois à susciter et, paradoxalement, à tolérer, le blasphème, et même à ouvrir la voix à l’athéisme. D’une part l’Incarnation, c’est-dire l’idée d’un Dieu qui se fait homme, balaie l’ancienne conception du divin (séparé, intouchable etc..). Le Christ s’expose en unissant son destin à celui des hommes : si Dieu s’incarne, alors on peut le représenter, le portraiturer, voire le caricaturer. Dans un tel contexte, puisque Dieu s’est donné une forme humaine, tout est envisageable, y compris la négation de son existence. D’autre part, pour le Christ, il faut séparer le politique du religieux (« Mon royaume n’est pas de ce monde..»). Enfin, dans l’horizon juif et chrétien, l’obéissance n’est pas l’alpha et l’oméga de la foi. Ainsi par exemple dans la Genèse, on voit Abraham négocier en quelque sorte avec Dieu (dans l’épisode de Sodome) tandis que Job remet en question, et même s’indigne de ses décrets. Le rapport au sacré, et donc au blasphème, n’est pas exactement le même dans toutes les religions.

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26 janvier 2020 7 26 /01 /janvier /2020 14:09
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23 janvier 2020 4 23 /01 /janvier /2020 13:37

 

 

 

L’argent est-il la source de tous nos vices ?

 

La définition du mot « vice » (« disposition habituelle au mal, conduite qui en résulte ») indique à elle seule  le problème  que nous devons examiner : l’argent est-il  à l’origine du mal, ou bien n’est-il qu’un instrument (neutre en tant que tel)  qui donne à nos dispositions les plus égoïstes et les plus mortifères l’occasion de s’exprimer ? Pour le sens commun, l’argent pourrait bien être  à l’origine du mal. On imagine mal en effet l’existence de la cupidité ou de l’avarice, de l’usure ou de la spéculation, dans un monde sans argent. Et  il est  très facile  de démontrer que c’est l’argent qui  suscite nombre de comportements pervers, voire criminels. Cependant, on peut opposer à ce constat une observation plus fine, et plus théorique : la disposition au mal, en l’homme, n’est pas imputable à l’argent. Ni l’homme, ni la femme, ne sont innocents dès lors qu’ils ont quitté le paradis : c’est  l’acte de goûter au fruit défendu qui est la source du mal (et non l’économie capitaliste !) si l’on en croit la Genèse. Il est vrai que dans une optique  marxiste, on considérera  que l’argent est largement responsable des dérives et même de l’inhumanité d’une société irriguée par les  seules  « eaux froides du calcul égoïste ».  Mais si l’argent suscite des comportements indignes,  est-il pour autant le seul responsable de tous nos maux, de notre méchanceté ? L’argent (la fameuse « soif de l’or » qu’il suscite) ne serait-il pas  le terrain d’élection du mal, plutôt que  sa source ?

 

I  De fait, l’argent semble responsable  de bien des vices

 

L’observation est ici confortée par les innombrables analyses, mythes (cf le Roi Midas),  fables  (cf La Fontaine)  et  œuvres littéraires et philosophiques qui désignent l’argent comme étant à l’origine à la fois de notre méchanceté et de notre malheur. L’argent serait nocif, il  ne serait pas un simple instrument  de mesure et d’échange :

 

  • L’argent source de désir :

C’est Karl Marx qui le montre avec une éloquence   exemplaire : l’argent n’est pas seulement le moyen de satisfaire certains nos désirs. L’argent  véhicule le fantasme de pouvoir satisfaire n’importe quel désir (y compris celui de possède la femme de ses rêves, par exemple). Pire encore : il se substitue à tout autre désir, pour devenir lui-même objet de désir :

« L'argent n'est pas seulement un objet de l'appétit d'enrichissement, il est l'objet même de l'auri sacra fames (sacrée soif de l’or).

Autre chose est le goût des richesses particulières, d'utilités comme les vêtements, les parures, les troupeaux, etc. ; autre chose est cette soif d'enrichissement, car elle n'est possible que si la richesse générale, en tant que telle, s'individualise en un objet particulier, et peut ainsi se fixer comme marchandise particulière. L'argent apparaît donc autant comme objet que comme source du désir de s'enrichir. A la base, on trouve la valeur d'échange en tant que telle et donc son accroissement qui devient une fin en soi »  (Critique de l’économie politique).

 

      -   L’argent destructeur du lien social

Lorsque l’argent est devenu une fin en soi, il rend les hommes inhumains, il détruit le lien social. Pourquoi ?  Parce qu’il achète tout, la beauté, les femmes, la santé….  Devenu le lien suprême, il dévalorise tout autre bien, celui qui s’achète (car ce qui s’échange est dévalué) comme celui qui ne devrait pas s’acheter (l’esprit). L’argent est le diviseur universel :

 

«  L'argent est le bien suprême, aussi son possesseur est-il bon; que l'argent m'épargne la peine d'être malhonnête, et on me croira honnête; je manque d'esprit, mais l'argent étant l'esprit réel de toute chose, comment son possesseur pourrait-il être un sot ? De plus, il peut s'acheter des gens d'esprit, et celui qui en est le maître n'est-il pas plus spirituel que ses acquisitions ? Moi qui, grâce à mon argent, suis capable d'obtenir tout ce qu'un coeur humain désire, n'ai-je pas en moi tous les pouvoirs humains ? Mon argent ne transforme-t-il pas toutes mes impuissances en leur contraire ?

Si l'argent est le lien qui m'unit à la vie humaine, qui unit à moi la société et m'unit à la nature et à l'homme, l'argent n'est-il pas le lien de tous les liens ? Ne peut-il pas nouer et dénouer tous les liens ? N'est-il pas, de la sorte, l'instrument de division universel ? Vrai moyen d'union, vraie force chimique de la société, il est aussi la vraie monnaie « divisionnaire »  ». Karl Marx, Manuscrits de 1844.

 

  • L’argent source de corruption universelle

C’est Rousseau qui, anticipant  Marx, a montré  à quoi tient  le pouvoir corrupteur de l’argent.  Du fait de  l’argent, tout devient marchandise. Même les hommes ont un prix, et  l’humanité ne vaut plus que par sa capacité de produire ou de consommer : car il faut bien des consommateurs pour faire tourner l’économie et faire fructifier l’argent :

  « Que deviendra la vertu, quand il faudra s'enrichir à quelque prix que ce soit? Les anciens politiques parlaient sans cesse de moeurs et de  vertu; les nôtres ne parlent que de commerce et d'argent. L'un vous dira qu'un homme vaut en telle contrée la somme qu'on le vendrait à Alger; un autre en suivant ce calcul trouvera des pays où un homme ne vaut rien, et d'autres où il vaut moins que rien. Ils évaluent les hommes comme des troupeaux de bétail. Selon eux, un homme ne vaut à l'État que la consommation qu'il y fait ».

Jean-Jacques Rousseau, Discours sur les sciences et les arts (1751), Flammarion, coll. «GF», 1971, p.49-50.

Rousseau et Marx semblent décrire par anticipation la société actuelle et prévoir notre  obsession de l’enrichissement.

 

Conclusion : Dans le monde contemporain, dominé par le capitalisme et  l’idéologie « économique », l’argent est associé  à la plupart de nos maux.  Pourtant, l’homme fut-il jamais «  innocent » (dénué de vices) ? Etait-il irréprochable   sans l’argent, ou avant l’invention de l’argent ?  Rappelons que les sociétés précapitalistes, et les sociétés primitives (sans Etat, sans commerce institué) connaissent d’emblée  la guerre !

 

 

II Pourtant l’argent n’est pas à  l’origine du mal

Il est assez évident que la corruption du cœur humain n’est pas imputable au seul argent ! Pascal, Rousseau ou Kant  lui attribuent une source beaucoup plus  profonde : « Dans un bois aussi courbe que celui dont est fait l’homme, on ne peut rien tailler de tout-à-fait droit » écrit Kant :

 

  • C’est la chute (explication métaphysique)

Pour  la théologie chrétienne, c’est la faute originelle  qui est à l’origine de la méchanceté humaine. Pourquoi l’homme a-t-il voulu goûter à l’arbre du bien et du mal ? Afin de sortir du paradis, afin d’être libre.  Sans doute a-t-il eu tort, en termes de bonheur :

« Aussi longtemps que l’homme obéit à cet appel de la nature (l’instinct), il s’en trouva bien ». Mais un jour « il voulu étendre sa connaissance au-delà des bornes de l’instinct ». « C’est une propriété de la raison, avec l’aide de l’imagination, de créer artificiellement des désirs, non seulement sans qu’une pulsion naturelle s’y rapporte, mais même  à l’encontre de celle-ci, d’abord désignés par le terme de concupiscence, ces désirs font progressivement naître tout un essaim d’inclinations superflues »…

Donc l’origine du mal, c’est la chute. Le résultat est la prise de conscience  de notre condition mortelle, et la nécessité de travailler pour  l’homme, pour assurer la subsistance de sa femme et de sa descendance (Kant, Conjectures sur les commencements de l’histoire humain, Coll. Classiques et Cie, Editions Hatier, 2009). L’angoisse de la mort et de l’avenir en résultent.

 

  • C’est l’angoisse de mort   (explication morale)

Angoisse concernant l’avenir, angoisse liée à la perspective de mourir :

« Tous deux  (Adam et Eve) virent encore à l’avance, avec terreur, après une vie pénible, à l’arrière plan du tableau, ce qui frappe inévitablement tous les animaux, mais toutefois sans qu’ils s’en soucient, à savoir la mort….Vivre à travers leur descendance, dont la vie serait peut-être meilleure, ou qui pourrait aussi soulager leurs peines… telle était peut-être la seule perspective consolatrice qui les tienne debout »  (ibid, Kant, Conjectures.. ) .
Tout le mal vient de ce chagrin,  de cette angoisse, et des moyens que l’homme invente pour essayer d’y remédier :

« L’homme qui pense éprouve un chagrin qui peut aller jusqu’à corrompre sa moralité, et dont celui qui ne pense pas ne sait rien » (ibid, Conjectures, Coll. Classiques et Cie ;  Hatier, p 24).

 

 

  • C’est la propriété  privée (explication historique et politique)

Pour Rousseau, c’est au moment de la décadence du second état de nature que la propriété privée ait son apparition, suivie de la course folle, qui va conduire à concentrer la totalité des terres entre les mains de quelques uns, ne laissant aux autres que le choix entre la misère et la violence (attention : pour Rousseau, la propriété privée n’est pas un mal en soi. Elle ne l’est devenue que sous l’effet de l’amour propre  qui va soumettre la réalité économique à l’empire des apparences (lire Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Editions Hatier, p 78 et commentaire de E. Zernik, pp 282-283 : « l’expansion de la propriété privée et le développement des inégalités »).

 

Conclusion : L’argent n’est pas l’origine du mal. N’est-il pour autant  qu’un épiphénomène ?

 

III L’argent est le terrain d’élection  et le moyen de nos vices

Un « épiphénomène » est un phénomène  qui accompagne un processus, mais sans avoir de lien avec son essence. L’argent n’est certes pas le mal en soi. Mais il favorise  la méchanceté humaine : il appelle le vice.

  • L’argent n’est pas la cause de l’inégalité mais il l’accroît considérablement

Devenue signe extérieur de mérite, la propriété privée va se laisser envahir par la logique de l’amour-propre. C’est ainsi  que l’argent prétend valoir pour lui-même. Le mal a pour origine la conjonction de la propriété privée et de l’amour propre. L’argent va donner à ce phénomène une dimension paroxystique :

« Etre et paraître,  (écrit Rousseau à propos des origines de cette dérive) devinrent deux choses tout à fait différentes, et de cette distinction sortirent le faste imposant, la ruse trompeuse, et tous les vices qui en sont le cortège ». J.J.   Rousseau, ibid, p79.

L’argent va donner une visibilité à l’inégalité, mais aussi  l’accentuer,  de façon quasi  illimitée….

  • L’argent  est pourtant  « axiologiquement  neutre » au départ (Robert Castel)

Il peut même  aussi être source de libération (comme l’explique G. Simmel: voir aussi  aujourd’hui le microcrédit). Ce n’est certes pas l’argent en tant que réalité matérielle, instrument de mesure et d’échange,  qui est source de mal (il peut même être utile et émancipateur, voir à ce sujet les textes 8, 9, 10 dans mon dossier « L’argent »). Ce qui est dévastateur, ce sont les sentiments qu’il suscite, arrogance des riches, ressentiment des pauvres : « le luxe corrompt tout, et  le riche qui en jouit, et  le pauvre qui le convoite » (Rousseau)

 

  • L’argent est l’expression et le symbole de la démesure propre à la condition humaine.

« Le gain est insatiable ». L’irrationalité de l’économie aujourd’hui (notamment le phénomène de l’ « argent fou » lié  au capitalisme financier) semble témoigner d’un processus qui échappe à la volonté des hommes, à l’image du  balai magique de l’apprenti sorcier de Goethe. Pourtant c’est bien la démesure de l’homme (en général)  qui est à l’origine de l’usage que certains hommes  font de l’argent. L’argent entretient cette illusion que tout est possible, gagner une ou plusieurs vies sans travailler, ou (et) en exploitant le travail des autres…voire s’acheter la santé, une descendance, des organes neufs ou l’immortalité, se faire cloner etc..

Conclusion

L’argent n’est pas la source du mal mais le symbole  de la démesure humaine, notamment du sentiment de toute puissance de l’homme moderne. L’argent  encourage  l’illusion dévastatrice selon laquelle il n’y a pas de limites à la puissance de l’humanité.

 

Conclusion

Si l’argent n’est pas la source première ni unique  de nos vices, il en est  une manifestation exemplaire. L’illusion selon laquelle « tout est permis, tout est possible » est entretenue  - entre autres -  par l’argent. On peut acheter aujourd’hui des organes,  louer une personne pour se reproduire, acheter les êtres humains (« Tout homme a son prix pour lequel il se vend » - dicton cité par Kant)  etc… L’irrationalité de l’économie témoigne aujourd’hui non pas de la nocivité  de l’argent  - en tant que tel – mais de la puissance  de l’imaginaire,  qui l’emporte largement sur la raison dans le comportement - notamment économique - de la plupart des hommes ( Pascal : « La raison a beau crier, elle ne peut mettre le prix aux choses »).

 

 

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19 décembre 2019 4 19 /12 /décembre /2019 13:04

Dans l'introduction qu'il rédige en 1895 aux articles de Marx regroupés sous le titre Les Luttes de classes en France 1848-1850 (Éditions sociales, 1984), Engels souligne combien, à près de quarante années de distance, les conditions du combat révolutionnaire ont changé :

"L'histoire nous a donné tort à nous aussi, elle a révélé que notre point de vue d'alors était une illusion. Elle est encore allée plus loin : elle n'a pas seulement dissipé notre erreur d'alors, elle a également bouleversé totalement les conditions dans lesquelles le prolétariat doit combattre. Le mode de lutte de 1848 est périmé aujourd'hui sous tous les rapports."

Ce qui a changé, montre Engels, c'est que, contrairement à ce qu'il pensait à l'époque avec Marx, non seulement le capitalisme a su surmonter sa crise des années 1848, mais qu'il a su en tirer une nouvelle force :

"L'histoire nous a donné tort à nous et à tous ceux qui pensaient de façon analogue. Elle a montré clairement que l'état du développement économique sur le continent était alors bien loin encore d'être mûr pour la suppression de la production capitaliste; elle l'a prouvé par la révolution économique qui depuis 1848 a gagné tout le continent et qui n'a véritablement donné droit de cité qu'à ce moment à la grande industrie en France, en Autriche, en Hongrie, en Pologne et dernièrement en Russie et fait vraiment de l'Allemagne un pays industriel de premier ordre - tout cela sur une base capitaliste, c'est-à-dire encore très capable d'extension en 1848."

La période historique où, comme pour la Révolution française, une minorité éclairée et agissante peut espérer détrôner la minorité dirigeante est close, comme l'a prouvé la Commune de Paris. Engels, qu'on surnomme "le général " parce qu'il s'intéresse aux questions militaires, s'attache à prouver que le combat de rue tournera désormais toujours à l'avantage de la police et de l'armée contre des insurgés. Il se refuse à condamner toute action insurrectionnelle, dans les régimes arriérés d'oppression totale et de dictature, mais il montre qu'à l'époque moderne, le processus révolutionnaire ne peut être qu'un processus majoritaire et que la conquête du suffrage universel permet de lui fournir un cadre privilégié. Dès lors, la minorité dominante se heurte à sa propre légalité et tend perpétuellement le piège de la violence aux forces révolutionnaires :

Celles-ci "ont transformé le droit de vote, selon les termes du programme marxiste français de moyen de duperie qu'il a été jusqu'ici en instrument d'émancipation." (...) "Et c'est ainsi que la bourgeoisie et le gouvernement en arrivèrent à avoir plus peur de l'action légale que de l'action illégale du Parti ouvrier, des succès des élections que de ceux de la rébellion. Car, là aussi, les conditions de la lutte s'étaient sérieusement transformées. La rébellion d'ancien style, le combat sur les barricades, qui, jusqu'à 1848, avait partout été décisif, était considérablement dépassé." (...)" Le lecteur comprend-il maintenant pourquoi les pouvoirs dirigeants veulent absolument nous mener là où partent les fusils et où frappent les sabres ? Pourquoi on nous accuse aujourd'hui de lâcheté, parce que nous ne descendons pas carrément dans la rue où nous sommes certains à l'avance d'être défaits ? Pourquoi on nous supplie si instamment de vouloir bien enfin jouer un jour à la chair à canon ? C'est inutilement et pour rien que ces messieurs gaspillent leurs suppliques comme leurs provocations. Nous ne sommes pas si bêtes." (...)" L'ironie de l'histoire mondiale met tout sens dessus dessous. Nous, les « révolutionnaires », les « chambardeurs », nous prospérons beaucoup mieux par les moyens légaux que par les moyens illégaux et le chambardement. Les partis de l'ordre, comme ils se nomment, périssent de l'état légal qu'ils ont créé eux-mêmes." 

La social-démocratie allemande, alors révolutionnaire, qui progresse lors de chaque élection, ouvre la voie : "Sa croissance se produit aussi spontanément, aussi constamment, aussi irrésistiblement et, en même temps, aussi tranquillement qu'un processus naturel. Toutes les interventions gouvernementales pour l'empêcher se sont avérées impuissantes. Dès aujourd'hui, nous pouvons compter sur deux millions et quart d'électeurs. Si cela continue ainsi, nous conquerrons d'ici la fin du siècle la plus grande partie des couches moyennes de la société, petits-bourgeois ainsi que petits paysans, et nous grandirons jusqu'à devenir la puissance décisive dans le pays, devant laquelle il faudra que s'inclinent toutes les autres puissances, qu'elles le veuillent ou non."

Sur ce pronostic, Engels s'est montré... optimiste, ce qui n'ôte rien à sa démonstration sur le caractère dépassé de la lutte par la violence de minorités. 
 

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10 décembre 2019 2 10 /12 /décembre /2019 12:15

Grands Dossiers n°57 - décembre 2019- janvier-février 2020

 

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17 octobre 2019 4 17 /10 /octobre /2019 17:24

Où commence, où finit le blasphème

(janvier 2015)



Depuis le début du XXIe siècle, le thème  du « retour du religieux » est devenu un lieu commun. De fait,  depuis quelques années, un certain nombre d'événements, d'actes ou performances artistiques supposées « blasphématoires »  on défrayé la chronique et suscité la colère de milliers ou de millions de croyants fervents qui se sont estimés « offensés ». On citera en premier lieu l'affaire des caricatures de Mahomet du journal Jyllands en 2005. Plus près de nous, ce sont des  événements « artistiques » visant la religion chrétienne  qui ont suscité la colère, notamment en France, des catholiques traditionnalistes  (le tableau Piss Christ,     de Andres  Serrano, 1987, le film La dernière tentation du Christ, Martin Scorsese, 1988,  et , en 2011,  les pièces de théâtre : Sur le concept du visage du fils de Dieu 2011,  Romeo Castellucci,  et Golgota Picnic,  Rodrigo Garcia 2011).  On peut donc se demander si les indignations  et les protestations occasionnées par des oeuvres ou  des actes jugés « blasphématoires »  sont révélatrices de l'intensité  persistante des sentiments religieux en pays laïc, ou bien si elles traduisent une forme insupportable d'intolérance dans les  pays dont la  tradition de libre pensée,  héritée des Lumières, est désormais dominante. Mais il convient tout d'abord de préciser ce que recouvre le mot de « blasphème »  pour une république qui ne comporte plus de religion d'État, en l'occurrence la France. La notion  conserve-t-elle la moindre pertinence ?  Et si tel est le cas, chaque communauté est-elle habilitée pour définir ce qui constitue le « blasphème » ? Ou bien  est-il possible, pour les autorités publiques, ou bien  pour n'importe quel observateur impartial,  de  déterminer où commence, et où finit le « blasphème.


I  Orthodoxie du blasphème


Le mot « blasphème » vient du grec « blasphêma », dérivé de « blàptein » injurier,  et « phêmê » ou « phâma », réputation. La traduction latine est « blasphêmia » qui signifie « diffamation ». La définition usuelle du « blasphème » est : « une parole ou un discours qui insulte violemment la divinité ». La notion fut définie par le théologien  Francisco Suarez au XVI e siècle en Espagne, dans le contexte de l'inquisition,  comme « toute parole de malédiction, reproche ou irrespect prononcée contre Dieu ». Le blasphème ne concerne que le domaine de la religion. Mais il ne se limite pas aux insultes ou paroles irrévérencieuses  prononcées à l'encontre de Dieu.  Il peut aussi constituer une offense à l'égard de ce qui est considéré comme sacré ou inviolable, au-delà donc de la stricte divinité. On remarque que le blasphème ne concerne que la religion et non les religieux (dire par exemple que « tous les prêtres sont pédophiles » n'est pas un blasphème, stricto sensu). Néanmoins, ce sont les religieux qui définissent ce qui relève du sacré, de la religion, et donc du blasphème. La question posée ici implique trois types d'éclaircissements : l’un concerne les différentes définitions du blasphème, le second les actes qu'elle désigne, le dernier celle de ses conditions de possibilité politique.

1)      Définition du blasphème : le blasphème est une offense verbale contre une religion ou contre l'un de ses dogmes. C'est ce caractère verbal qui distingue le blasphème du sacrilège, qui est un acte s'apparentant à une profanation, tel que le fait de violer, détruire ou souiller des objets dédiés au culte.  Pour ce qui concerne la motivation, qui constitue le délit ou le crime, elle est la même : insulter ou profaner Dieu ou la divinité. Toutefois, on peut se demander qui  (ou quels objets) est (sont)  visé (s) par le blasphème. Théoriquement, c'est la religion, ou Dieu. Mais la religion est une abstraction et Dieu ne peut être profané qu'à travers ses représentants, ou ses symboles. D'où l'extension du domaine du blasphème à la parole de Dieu,  aux dogmes,  à ses prophètes, aux croyances de ses adeptes. Par exemple un Traité des trois imposteurs a circulé au 17e siècle qui accusait de blasphème, entre autres, Machiavel, Giordano Bruno, Hobbes Spinoza et d'Holbach.  On sait que Giordano Bruno a été  condamné au bûcher et exécuté en 1600 pour ses écrits jugés blasphématoires parce qu'il récusait le géocentrisme, tandis que Spinoza a été excommunié pour hérésie en 1656 par sa communauté à Amsterdam. Aucun n'avait injurié Dieu pourtant ! En revanche, ils avaient tous remis en cause l'autorité de l'Église, indissociable de ses dogmes.

2)      Les actes incriminés : ils peuvent être des trois sortes : parole hérétique (qui insulte Dieu ou la religion), imprécation (« Pour  en finir avec Dieu », titre d'un ouvrage contemporain  de  Richard  Dawkins), ou simple irrespect, comme une parole de protestation ou d'indignation contre un décret divin.  Exemples de blasphèmes : nier l'existence de Dieu, injurier ou vandaliser une représentation de Dieu, mentir, se parjurer, représenter Dieu (pour les religions qui l'interdisent) ou a fortiori le caricaturer.  Le second commandement de la Bible interdit de « prononcer le nom de Dieu en vain » : donc, en toute rigueur, dire « sacré nom de Dieu », par exemple, c'est blasphémer. Autre exemple : Voltaire a pu être jugé blasphématoire pour avoir dit, entre autres, que le « christianisme est la plus ridicule, la plus absurde et la plus sanglante religion qui ait jamais infecté le monde », (Lettre à Frédéric II, janvier 1767).

3)       Le contexte politique et religieux : ce sont les religions elles-mêmes qui définissent le blasphème. Ce sont elles qui déterminent ce qui est offensant dans le blasphème. Or ce contenu est très variable en fonction des interdits. Par exemple, représenter Dieu n'est nullement l'offenser dans la religion catholique,  notamment dans ses versions orthodoxes (Église orthodoxe), bien au contraire ! D'un point de vue juridique, seul un État religieux peut intégrer le concept de « blasphème » dans sa loi.  Dans les États à religion officielle, le blasphème est un délit, voire un crime, car il est censé s'attaquer aux fondements de l'ordre social (les exemples les plus notables sont ceux de l'Iran et du Pakistan). Il n'en va pas de même en terre chrétienne aujourd'hui.

Toutefois, certaines communautés religieuses interviennent parfois pour se défendre contre ce qu'elles tiennent pour une agression. Par exemple, en  1989, l'épiscopat catholique a tenté de convaincre les tribunaux d'Allemagne d'utiliser la législation antiblasphème  (toujours en vigueur !) pour condamner des athées qui soutenaient que « l'Église était le plus grand criminel de l'histoire de l'humanité ». En vain toutefois.


Conclusion :
Dans les États laïcs, en particulier européens, fortement marqués par les combats des Lumières, le blasphème peut être invoqué par certaines minorités quand leur sentiment religieux est violemment malmené. Néanmoins, aujourd'hui, la laïcité  et le pluralisme sont entrés dans les mœurs, en tout cas en Europe,  à tel point que la religion n'est plus considérée comme étant le fondement du lien social. Elle n'est même plus considérée comme « sacrée ».

II Un concept  non moins paradoxal  qu'élastique

 Paradoxal puisque sa raison d'être est de sanctuariser ce qu'il nie, à savoir le sacré. Élastique, car il peut désigner tout  (du  simple fait de prononcer le nom de Dieu au fait de le représenter immergé dans de l'urine) et son contraire: le fait de blesser non plus Dieu,  mais une communauté, ou une certaine idée de l'humanité, voire certaines  convictions, y compris athées. Ainsi, la décision prise  aujourd'hui  en France (décembre 2011) d'incriminer en France la négation du génocide arménien (loi adoptée par l'Assemblée nationale en décembre 2011)   a été vécue  par les autorités turques comme une sorte de blasphème contre non pas une divinité, mais contre  le peuple turc.


1)      « Le crime est un moment du châtiment ». Cette formule sibylline prêtée à Durkheim  signifie que le crime n'est pas un acte que l'on pourrait définir en lui-même  (par exemple : « l'atteinte aux biens et aux personnes »). Le seul dénominateur commun, en effet,  de tous les crimes dans toutes les sociétés connues est le châtiment. C'est donc le châtiment qui désigne et qualifie le crime. C'est parce qu'un acte (par exemple le blasphème) est jugé  tel qu'il mérite  un châtiment suprême ou exemplaire qu'on le qualifie de « crime » (la divulgation d'un secret d'État par exemple). Pour Durkheim, « nous ne pouvons pas dire qu'un acte est  criminel parce qu'il heurte la conscience commune. Mais au contraire qu'il est criminel parce qu'il froisse la conscience commune. Nous ne le réprouvons pas parce qu'il est un crime, mais parce qu'il froisse la conscience commune" (Les règles de la méthode sociologique). Autrement dit, la peine a pour fonction principale de réaffirmer la force de la conscience collective, notamment en réaffirmant la validité des normes et des interdits propres à une société.
On voit à quel point cette analyse est pertinente en ce qui concerne le « blasphème ». On chercherait en vain le dénominateur commun des actes jugés blasphématoires (en quoi  le fait de dire que « l'univers est infini » - propos qui a mené Giordano Bruno au bûcher - est-il offensant pour Dieu, par exemple ?). Déjà, dans Euthyphron, Platon se demandait comment l'on peut prétendre définir la vraie piété : qui peut savoir en effet ce qui plaît aux Dieux (les sacrifices et les offrandes ? oui, mais lesquels ?) et ce qui leur déplaît souverainement? Ainsi un acte injuste,  ou simplement violent, quoique légal (comme, dans Euthyphron, le litige qui est le point de départ du débat, à savoir le fait pour un fils de dénoncer  à la Justice son père, auteur d'un crime involontaire). Le prêtre est bien obligé d'avouer à Socrate qu'il est incapable de lui répondre.

On connaît la suite : Socrate a été condamné à mort non pour blasphème, mais pour impiété, ce qui revient  à peu de choses près au même... En bref, d'un point de vue social, le but des lois est de définir des interdits  et de fixer les sanctions correspondantes  afin non seulement de protéger les intérêts  des  citoyens mais aussi de valider les convictions de la conscience commune. Autrement dit le but de l'instauration d'un délit ou d'un crime, c'est de fixer des bornes et de « rassurer les honnêtes gens » (Durkheim).

2)      Les Inquisiteurs médiévaux  et les nouveaux justiciers ont pour objectif de voler au secours d'un « sacré »  jugé menacé.   On peut évoquer ici la controverse de Valladolid (1550), et le reproche qui était adressé aux habitants du Nouveau Monde par la  voix du chanoine  Sépulvéda : les Indiens sont des blasphémateurs puisqu'ils nient ou ignorent le Dieu chrétien. Il est donc permis voire  recommandé de les asservir ou de les exterminer en cas de  résistance. On peut citer les cas emblématiques de Spinoza, Galilée ou Darwin dans les siècles  passés. En ce qui concerne Spinoza, il lui fut reproché de discuter certains dogmes judaïques.  Galilée a eu le tort de remettre en cause le dogme religieux selon lequel  l'homme étant le chef d'oeuvre de la création  devait nécessairement être situé à son centre. Le second a soutenu que les espèces suivantes évoluent au cours des siècles, ce qui implique qu'elles ne sont pas d'emblée parfaites ni adaptées strictement à leur milieu.   Enfin, dans les temps modernes, une « fatwa » a été prononcée contre  l'écrivain Salman Rushdie pour un roman qui ne s'en prenait pourtant au Prophète que de manière voilée et humoristique.

On remarque que dans tous ces cas les blasphémateurs n'étaient pas des provocateurs et qu'ils ne cherchaient nullement à agresser ou insulter le « divin ». En revanche ils portaient atteinte aux sentiments religieux d'une communauté qui se jugeait elle-même fragilisée ou menacée, à tort ou à raison. Le but des « justiciers »    et  des inquisiteurs est  de préserver un « sacré » jugé en péril. Dans le cas de l'Inquisition espagnole, et notamment dans le contexte de la controverse de Valladolid, ce qui devait être sauvegardé,  en premier lieu, ce sont les intérêts des Conquistadors.

3)      Toutes les oeuvres de l'esprit peuvent être jugées blasphématoires - par nature. En ce qui concerne la science, on se référera aux textes de Russell (Science et religion, et Pourquoi je ne suis pas chrétien) qui montrent que les thèses scientifiques se sont toujours heurtées aux dogmes religieux et ont dû les combattre et les réfuter, parfois au péril de leurs inventeurs. La philosophie, quant à elle, de Socrate à Nietzsche, en passant par Spinoza  est sinon « blasphématoire » (de nombreux philosophes croient en Dieu)  du moins  portée au blasphème, dans la  mesure où, par définition, elle rejette tous les dogmes ! Même de fervents croyants comme Pascal ou Kierkegaard ont pu tenir des propos licencieux (voici comment Kierkegaard invoque Job par exemple : « Parle donc Ô Job Inoubliable. [.] J'ai besoin de toi, j'ai besoin d'un homme qui sache se plaindre à pleine voix, faisant retentir de ses échos le ciel où Dieu délibère avec Satan pour dresser des plans contre un homme. » La répétition). Aujourd'hui  le philosophe Hans Jonas considère que Dieu ne peut plus être tenu pour pleinement  responsable de sa création, car alors il faudrait lui imputer le mal absolu (Le concept de Dieu après Auschwitz). On pourrait aisément multiplier les exemples. Bref la philosophie questionne et remet en cause tout ce qui s'apparente à une « vérité » définitive et incontestable.  Elle ne peut donc que se moquer des interdits soi-disant « dictés par Dieu ».

Quant à la littérature, on peut estimer qu'elle est blasphématoire par vocation. Si l'on s'en tient aux cas exemplaires de Madame Bovary et des Fleurs du mal, l'un et l'autre étaient effectivement attentatoires à la religion. Citons par exemple la scène où  Emma Bovary est d'autant plus excitée qu'elle fait l'amour sous un crucifix. Mais en réalité, les deux écrivains étaient  aussi des blasphémateurs  patentés  puisqu'ils piétinaient les valeurs sacrées de la bourgeoisie montante de l'époque, à commencer par  le mariage et la famille.

Néanmoins aujourd'hui, en régime laïc, la philosophie a fait son ouvre, et même les croyants rejettent l'idée de « blasphème » et accordent aux agnostiques la liberté de croire ou de ne pas croire. (« Nous vous laissons la liberté de croire, laissez-nous la liberté de penser ».)
La notion de « vérité absolue » n'ayant plus cours, aucun croyant n'a le droit de récuser les convictions de l'autre.

Conclusion :


Le « blasphème » au sens originel  du terme (« insulter la religion ou le divin »)   ne comporte  plus de réelle pertinence en tant que concept juridique, en  tout cas en occident chrétien. Cela ne signifie pas que l'idée de blasphème est devenue caduque en terre laïque, comme on va le voir.  En effet, à  la question : « peut-on tout dire ? » la réponse reste invariablement : non !

III Le blasphème après la « Mort de Dieu »

Le texte de Nietzsche  du Gai savoir concernant la « mort de Dieu » date de 1882. Au début du XXe siècle, Max Weber évoque le « désenchantement du monde » et la « guerre des Dieux » :  entendez le pluralisme qui caractérise les sociétés industrialisées issues du christianisme, notamment protestant. Le « désenchantement du monde » signifie que la foi  et donc la religion sont reléguées dans le seul domaine privé. La « guerre des Dieux » désigne le fait que plusieurs systèmes de représentations cohérentes de l'univers sont désormais en concurrence dans une même société. Dans un tel contexte, la notion de « blasphème »  change de sens :

1)      Le blasphème en régime  laïc : tandis que dans un État théocratique, le blasphème sera sévèrement puni car il s'attaque au fondement même de l'ordre social, au contraire, dans un État laïc, le blasphème peut éventuellement être sanctionné (cela a pu être le cas en Allemagne, en Finlande, au Danemark) afin de préserver la paix sociale, mais indépendamment de toute considération religieuse. Le pouvoir politique doit alors arbitrer entre liberté d'expression et droit au respect de la religion.

Toutefois ces dispositions  sont rares et peu contraignantes  (Exemples : aux États-Unis, interdiction en 1952 d'un court-métrage de Rossellini jugé blessant et diffamatoire ; interdiction en 1994 d'une comédie musicale en Allemagne ridiculisant l'Église catholique ; en janvier 2010, en Irlande, un article de loi prévoit une amende de 25000 euros pour toute personne tenant « des propos grossièrement abusifs ou insultants sur des éléments considérés comme sacrés par une religion et choquant ainsi un nombre substantiel de fidèles de cette religion (Le monde 26 décembre 2011, « L'art très contemporain du blasphème »http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/12/24/blaspheme-l-eternel-retour_1622124_3224.html ) ..

De manière générale, dans un État laïc, on considère, depuis le Siècle des Lumières, que la liberté de conscience implique la liberté d'expression. Chacun est libre de s'exprimer, y compris sur des sujets religieux. Les laïcs considèrent que la liberté de pensée est absolue ou elle n'est pas.

De plus, critiquer une religion, ou ses dogmes,
ne peut être considéré comme un blasphème : une critique n'est pas une insulte, car on ne peut

« insulter » une idée ni un dogme. Le droit au « blasphème »  est donc déduit du « droit à la libre expression » lui-même  garanti par la loi qui fixe également la forme et les limites de cette critique.

 Enfin, un État pluraliste considère  qu'une parole n'est pas « blasphématoire dans l'absolu », de même que l'idée même de « vérité » ou de Bien et de Mal « absolus » n'ont plus cours. Seules les Églises définissent ce qu'elles jugent blasphématoires, mais leurs sentiments n'ont  pas force de loi.

Est-ce  à dire que toute notion de «blasphème »  est caduque ? Nullement !

2)       La question du blasphème se recentre sur celle de «  sacré ». De même qu'il n'y a pas de société sans « crime », il n'y a pas de société sans sacré. Comme le disait si bien Sade en son temps, il nous faut un Dieu, ne serait-ce que pour le profaner : « Je voudrais qu'un moment tu puisses exister/Pour jouir du plaisir de mieux t'insulter » (Histoire de Juliette). Le sacré, c'est le domaine de tout ce que les hommes doivent tenir pour intouchable, inviolable, qui suscite à la fois crainte et révérence, ou même terreur. Aujourd'hui, pour nous, laïcs, le « sacré » n'est plus le divin (Dieu, une divinité, ou un principe transcendant quel qu'il soit).  Mais le sacré n'est pas éliminé pour autant, tant s’en faut.
L'équivalent de l'ancien « sacré » désormais, par exemple en France, ce sont les droits de l'homme, tels que définis dans la Déclaration de 1789 et dans celle de 1948. Les droits de la personne humaine, droit à la vie mais aussi à la dignité sont jugés « indérogeables », ce qui est le terme juridique qui est l'équivalent du mot « sacré ». Or, la liberté d'expression fait partie de ces droits sacrés.

3)      Limites de la liberté d'expression et nouveaux types de « blasphèmes ». Aujourd'hui, outre le blasphème traditionnel (propos outrageants pour telle ou telle communauté car il heurte ses convictions  religieuses), on voit apparaître toutes sortes de nouveaux interdits. On parlera par exemple  de blasphème antirépublicain  lorsque des  paroles ou gestes insultent les symboles de la république, tels que le drapeau, la Marseillaise ou les représentants de la justice.

 Par ailleurs,  la liberté d'expression est encadrée  par la loi (
Loi de 1881 sur la liberté de la presse : « Tout citoyen peut être amené à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». La provocation aux crimes et délits reste sanctionnée (art. 23) de même que l'apologie de crimes contre  l'humanité ou l'incitation à la haine ou la violence en raison de la religion (art. 24) ou la diffamation contre un groupe religieux. Des éléments »blasphématoires sont interdits dans les publications destinées à la jeunesse.

Certains déplorent même une extension illimitée du domaine du sacré et donc des nouveaux « blasphèmes » ; il serait difficile  aujourd'hui par exemple de publier un livre tel  que Lolita de Nabokov.  L'écrivain Renaud Camus observe  dans son Journal  qu'il serait  audacieux aujourd'hui de représenter un personnage  pédophile ou antisémite,  ou même les deux  à la fois !  (« L'ombre gagne », tel est le titre qu'il donnerait à un tel roman). Élisabeth Levy  observe pour sa part que « dès qu'on ouvre la bouche, on court le risque d'émettre un jugement qui pourra blesser, énerver,  voire rendre complètement dingue un de ses contemporains, ou plus vraisemblablement, un groupe constitué en minorité  vexée, laquelle pourra à ce titre déployer une hargne légitime à l'encontre du délinquant par la parole »  (« Osez le blasphème », in  Causeur, décembre 2011)


Conclusion : Le « blasphème » existe toujours, mais il a changé sous deux aspects décisifs. D'une part, il n'a plus trait au divin, mais au sacré, qui est  désormais associé aux  seuls « droits humains ». D' autre part, la loi protège non pas la religion mais les croyants. Enfin, les sanctions  sont rares et plutôt modérées, car ces infractions sont des délits, en aucun cas des crimes.
 

 

 

Conclusion
Le blasphème est un concept élastique, disions-nous.  Il est donc impossible de répondre avec précision à la question : «où commence, où finit le blasphème ? ».  L'erreur serait toutefois de croire que son périmètre coïncide  tout simplement avec celui du divin, ou du  même celui du sacré. Car le blasphème se « définit » ou plutôt s'apprécie (car définir signifie « délimiter) en fonction d'un sentiment, notamment d'un courroux, dont les sources et les effets sont impossibles à anticiper et à  circonscrire. Le blasphème est donc une notion floue et variable selon les États, les Églises et les contextes historiques. Néanmoins,   on peut tout de même  remarquer que certaines religions semblent plus  sensibles au blasphème que d'autres. Ce sont celles qui interdisent toute représentation du divin. En revanche, la religion chrétienne, si l'on en croit certains historiens des religions, était plus apte  à la fois à susciter et, paradoxalement, à tolérer,   le blasphème, et même  à ouvrir la voie à   l'athéisme. D'une  part, l'Incarnation, c'est-à-dire l'idée d'un Dieu qui se fait homme, balaie l'ancienne conception du divin (séparé, inaccessible, etc..). Le Christ s'expose en unissant son destin à celui des hommes : si Dieu s'incarne, alors on peut le représenter, le portraiturer, voire le caricaturer. Dans un tel contexte, puisque Dieu s'est donné une forme humaine, tout est envisageable, y compris la négation de son existence. D'autre part, pour le Christ, il faut séparer le politique du religieux (« Mon royaume n'est pas de ce monde
... »). Enfin, dans l'horizon juif et chrétien, l'obéissance n'est pas l'alpha et l'oméga de la foi. Par exemple dans la Genèse, on voit Abraham négocier en quelque sorte avec Dieu  (dans l'épisode de Sodome) tandis que Job remet en question, et même s'indigne de  ses décrets. Le rapport au sacré, et donc au blasphème, n'est  pas exactement le même dans toutes les religions.

 

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16 octobre 2019 3 16 /10 /octobre /2019 15:48

Après lecture de  Spinoza (Traité théologico-politique, livre 20), et de Rousseau,  je  propose de réintroduire  la distinction entre « contestation » et « sédition ».

 

En démocratie (je parle de démocratie formelle : élections régulières, alternance, contre-pouvoirs, justice indépendante, presse libre etc.. - bref un Etat de droit) , la contestation des lois et des décisions du pouvoir  est non seulement tolérable mais souhaitable ( c’est le  « citoyen-contrôleur » dont parle Alain ou encore le citoyen de Rousseau qui ne renonce jamais à sa souveraineté).

  Donc on  contestera les lois - à visage découvert-  en employant tous les moyens disponibles, soit légaux soit tolérés par le pouvoir,  car non-violents (boycotts, manifestations de toutes sortes). « Non-violents » :  c’est-à-dire qui s’interdisent de blesser physiquement  ou moralement des personnes. Pas de propos délibérément agressifs, pas de provocations, pas de graffitis insultants,  pas de gestes déplacés  (humiliants) … Ceci accompagnant bien sûr tous les autres moyens légaux traditionnels :  tribunes, pétitions….

 

La sédition,  au contraire,  c’est le fait de chercher à renverser ou à déstabiliser le pouvoir « en employant la ruse, la colère ou la haine » (Spinoza). Le moyen le plus couramment employé consiste à contester la légitimité du pouvoir en employant, notamment,  des moyens retors  tels que la « diffamation des  magistrats » (Spinoza), autrement dit des élus, des juges et de tous les représentants de l’Autorité.

 

 

  Pour moi on peut (et même on doit) contester les lois qui nous paraissent injustes et même les décisions d’ un  gouvernement   démocratiquement élu s’il nous apparaît qu’il  ne tient pas ses promesses. Sans pour autant  contester la légitimité du pouvoir ni exprimer la perspective  de le renverser .. par la force ou la violence !

 

 

 

Rousseau. : «  Il  est contre la nature du corps politique que le souverain s'impose une loi qu'il ne puisse enfreindre «  (Du contrat social,  livre premier,  chapitre 7,  Du souverain).

Livre II,   chapitre un : « Si donc le  peuple promet simplement d’obéir, il se dissout par cet acte, il perd sa  qualité de peuple ; à l'instant il y a un maître,  il n'y a plus de souverain, et dès lors le corps politique est détruit »

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16 octobre 2019 3 16 /10 /octobre /2019 15:45

Le droit établi  dans  une société donnée (même démocratique)  peut et même doit toujours rester contestable au nom d’une loi supérieure.
Léo Strauss explique pourquoi dans le texte suivant :

 

 

« Toutes les sociétés ont leur idéal, les sociétés cannibales pas moins que les sociétés policées. Si les principes tirent une justification suffisante du fait qu’ils sont reçus dans une société, les principes du cannibale sont aussi défendables et aussi sains que ceux de l’homme policé. De ce point de vue, les premiers ne peuvent être rejetés comme mauvais purement et simplement. Et puisque tout le monde est d’accord pour reconnaître que l’idéal de notre société est changeant, seule une triste et morne habitude nous empêcherait d’accepter en toute tranquillité une évolution vers l’état cannibale. S’il n’y a pas d’étalon plus élevé que l’idéal de notre société, nous sommes parfaitement incapables de prendre devant lui le recul nécessaire au jugement critique. Mais le simple fait que nous puissions nous demander ce que vaut l’idéal de notre société montre qu’il y a dans l’homme quelque chose qui n’est point totalement asservi à sa société et par conséquent que nous sommes capables, et par là obligés, de rechercher un étalon qui nous permette de juger de l’idéal de notre société comme de tout autre. Cet étalon ne peut être trouvé dans les besoins des différentes sociétés, car elles ont, ainsi que leurs composants, de nombreux besoins qui s’opposent les uns aux autres : la question de la priorité se pose aussitôt. Cette question ne peut être tranchée de façon rationnelle si nous ne disposons pas d’un étalon qui nous permette de distinguer entre besoins véritables et besoins imaginaires et de connaître la hiérarchie des différentes sortes de besoins véritables. Le problème soulevé par le conflit des besoins sociaux ne peut être résolu si nous n’avons pas connaissance du droit naturel »

 

Léo Strauss, Droit naturel et histoire (1953), trad. par M. Nathan et E. de Dampierre, Éditions Flammarion, 1986, p. 14.

 

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15 octobre 2019 2 15 /10 /octobre /2019 08:43

Sous cette expression de sensus communis on doit comprendre l'Idée d'un sens commun à tous, c'est-à-dire d'une faculté de juger, qui dans sa réflexion tient compte en pensant (a priori) du mode de représentation de tout autre homme, afin de rattacher pour ainsi dire son jugement à la raison humaine tout entière et échapper, ce faisant, à l'illusion, résultant de conditions subjectives et particulières pouvant aisément être tenues pour objectives, qui exercerait une influence néfaste sur le jugement. C'est là ce qui est obtenu en comparant son jugement aux jugements des autres, qui sont en fait moins les jugements réels que les jugements possibles, et en se mettant à la place de tout autre, tandis que l'on fait abstraction des bornes, qui de manière contingente sont propres à notre faculté de juger; on y parvient en écartant autant que possible ce qui dans l'état représentatif est matière, c'est-à-dire sensation, et en prêtant uniquement attention aux caractéristiques formelles de sa représentation (...). Sans doute cette opération de la réflexion paraît bien trop artificielle pour que l'on puisse l'attribuer à cette faculté que nous nommons le sens commun; toutefois elle ne paraît telle, que lorsqu'on l'exprime dans des formules abstraites; il n'est en soi rien de plus naturelle que de faire abstraction de l'attrait et de l'émotion, lorsqu'on recherche un jugement qui doit servir de règle universelle

.Les maximes (...) du sens commun (...) sont les maximes suivantes : 1. Penser par soi-même; 2. Penser en se mettant à la place de tout autre; 3. Toujours penser en accord avec soi-même. La première maxime est la maxime de la pensée sans préjugés, la seconde maxime est celle de la pensée élargie, la troisième maxime est celle de la pensée conséquente. La première maxime est celle d'une pensée qui n'est jamais passive. On appelle préjugé la tendance à la passivité et par conséquent à l'hétéronomie de la raison (...). En ce qui concerne la seconde maxime de la pensée nous sommes bien habitués par ailleurs à appeler étroit d'esprit (borné, le contraire d'élargi) celui dont les talents ne suffisent pas à un usage important (...). Il n'est pas en ceci question des facultés de la connaissance, mais de la manière de penser et de faire de la pensée un usage final; et si petit selon l'extension et le degré que soit le champ couvert par les dons naturels de l'homme, c'est là ce qui montre cependant un homme d'esprit ouvert que de pouvoir s'élever au-dessus des conditions subjectives du jugement, en lesquelles tant d'autres se cramponnent, et de pouvoir réfléchir sur son propre jugement à partir d'un point de vue universel (qu'il ne peut déterminer qu'en se plaçant au point de vue d'autrui). C'est la troisième maxime, celle de la manière de penser conséquente, qui est la plus difficile à mettre en oeuvre; on ne le peut qu'en liant les deux premières maximes et après avoir acquis une maîtrise rendue parfaite par un exercice répété.

Kant, Critique de la faculté de juger, §40, 1790

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