Socrate
Par sa vie et par sa mort, Socrate appartient à la légende. Sa figure surplombe toute la tradition philosophique occidentale dans laquelle il tient à la fois le rôle de héros fondateur et de figure exemplaire du philosophe. Ses deux propositions les plus célèbres : « Tout ce que je sais, c’est que je sais ne rien » et « Connais-toi toi-même » constituent à elles seules une indication de la mission qu’il assigne à la philosophie : la recherche de la vérité et de la sagesse, mais dans la conscience aiguë de la fragilité de nos connaissances et de la précarité de notre condition.
Sa vie
Fils d’un tailleur de pierre et d’une sage-femme, Socrate est né vers –469. La cité athénienne est alors à son apogée ; elle connaît un rayonnement intellectuel et artistique exceptionnel, notamment grâce à ses institutions démocratiques exemplaires. Le temple du Parthénon, construit entre –449 et –432 à l’initiative de Périclès, est l’un des symboles de cette grandeur. C’est à l’ombre de cette cité magistrale que Socrate va faire ses premières armes. Destiné tout d’abord à reprendre le métier de son père, il y renonce vers l’âge de 30 ans pour se consacrer à la philosophie. Selon la légende, l’oracle de Delphes l’ayant désigné comme « le plus sage des hommes », il comprend ce propos comme l’annonce d’une mission quasi divine : « C’est Apollon qui lui avait assigné de vivre en philosophant, en se scrutant lui-même et les autres » (Apologie de Socrate). Dès lors, il arpente les rues d’Athènes, sur les places, sur les marchés, interrogeant sans cesse ses concitoyens en vue de démasquer leurs préjugés et des les exhorter à la connaissance sincère de leur véritable personnalité. Contrairement aux sophistes, qui enseignent l’art de se faire valoir et de flatter le peuple par des discours habiles, Socrate est pauvre, scrupuleux et intègre. Incarnation de la mauvaise conscience de la cité, exaspérant les notables et les politiques, il sera comparé à un taon qui harcèle un grand cheval somnolent (la cité athénienne). Pour cette raison, il se fera des ennemis mortels ; mais dans le même temps il exerce une véritable fascination sur ses disciples et ses proches.
Conversion de l’âme
N’ayant rien écrit, Socrate n’est connu qu’indirectement à travers les écrits de ses contemporains, comme Xénophon et Aristophane, et de ses disciples, tout spécialement Platon. L’art socratique du dialogue repose sur la méthode de la maïeutique (littéralement : l’art d’accoucher, qui lui viendrait en partie de sa mère, ici appliquée à l’esprit). Pour Socrate, la connaissance est essentiellement réflexive ; la vérité ne peut être inculquée du dehors : le maître ne transmet pas le savoir comme on transvaserait un liquide d’un récipient dans un autre. L’acte philosophique est avant tout au contraire une conversion de l’âme qui libère l’homme de l’ignorance et lui donne accès au seul contenu véritable – idées et principes – qu’il possède déjà, de manière latente, sans en être conscient. En ce sens, la philosophie de Socrate n’est dissociable ni de sa vie ni de sa personnalité. On ne saurait donc la confondre avec celle de Platon, même si celui-ci fit de Socrate, jusque dans ses dialogues de maturité, le porte-parole de sa propre philosophie devenue beaucoup plus ample et plus systématique. Ce sont les dialogues de jeunesse de Platon qui donnent l’idée la plus exacte de sa véritable personnalité et de sa doctrine. Pour la plupart aporétiques, c’est-à-dire conduisant à des impasses, ces textes montrent bien que la démarche de Socrate était essentiellement critique, n’imposant aucune doctrine explicite, et ne proposant qu’une sagesse négative c’est-à-dire axée principalement sur la conscience de notre ignorance.
Le procès et la mort
En –404, la fin de la guerre du Péloponnèse signe la défaite d’Athènes face à Sparte. La démocratie athénienne cède la place au régime dit des Trente tyrans. Un an plus tard, la démocratie est rétablie, mais les Athéniens recherchent des responsables de la défaite de la cité. Or, Socrate compte parmi ses anciens amis ou disciples des hommes qui ont participé au gouvernement des Trente. Dans ce contexte, il est accusé de corrompre la jeunesse et de ne pas reconnaître les dieux de la cité. Il se présente devant un tribunal composé de 500 juges tirés au sort. Loin de préparer un discours pour se défendre, il ose réclamer d’être logé et nourri gratuitement par l’État jusqu’à la fin de ses jours. La provocation est telle que les juges le condamnent à mort. Selon la coutume, il devra boire la ciguë lorsqu’un certain navire sacré sera de retour à Athènes. Ses plus proches amis lui proposent d’organiser son évasion. Mais Socrate, fidèle à son respect des lois et de la justice, préfère passer les quelques jours qui lui restent à discuter avec eux dans sa prison, comme Platon le raconte dans le dialogue intitulé Criton. Le jour de l’exécution il éloigne sa femme Xanthippe, puis boit la coupe de poison d’un trait, entouré de ses amis. Il s’éteint à l’âge de 70 ans.
Lectures :
Aristophane - Les Nuées
Platon - Apologie de Socrate
Platon - Criton