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18 février 2007 7 18 /02 /février /2007 18:09


Pour Oscar Wilde , c'est l'artiste qui révèle la nature, en lui donnant consistance et profondeur:

"Qu'est-ce donc que la Nature? Elle n'est pas la Mère qui nous enfanta. Elle est notre création. C'est dans notre cerveau qu'elle s'éveille à la vie. Les choses sont parce que nous les voyons, et ce que nous voyons, et comment nous le voyons, dépend des arts qui nous ont influencés. Regarder une chose et la voir sont deux actes très différents. On ne voit quelque chose que si l'on en voit la beauté. Alors, et alors seulement, elle vient à l'existence. A présent, les gens voient des brouillards, non parce qu'il y en a, mais parce que des poètes et des peintres leur ont enseigné la mystérieuse beauté de ces effets. Des brouillards ont pu exister pendant des siècles à Londres. J'ose même dire qu'il y en eut. Mais personne ne les a vus et, ainsi, nous ne savons rien d'eux. Ils n'existèrent qu'au jour où l'art les inventa. Maintenant, il faut l'avouer, nous en avons à l'excès. Ils sont devenus le pur maniérisme d'une clique, et le réalisme exagéré de leur méthode donne la bronchite aux gens stupides. Là où l'homme cultivé saisit un effet, l'homme d'esprit inculte attrape un rhume.
Soyons donc humains et prions l'Art de tourner ailleurs ses admirables yeux. Il l'a déjà fait, du reste. Cette blanche et frissonnante lumière que l'on voit maintenant en France, avec ses étranges granulations mauves et ses mouvantes ombres violettes, est sa dernière fantaisie et la Nature, en somme, la produit d'admirable façon. Là où elle nous donnait des Corot ou des Daubigny, elle nous donne maintenant des Monet exquis et des Pissarro enchanteurs. En vérité, il y a des moments, rares il est vrai,qu'on peut cependant observer de temps à autre, où la Nature devient absolument moderne. Il ne faut pas évidemment s'y fier toujours. Le fait est qu'elle se trouve dans une malheureuse position. L'Art crée un effet incomparable et unique et puis il passe à autre chose. La Nature, elle, oubliant que l'imitation peut devenir la forme la plus sincère de l'inculte,
se met à répéter cet effet jusqu'à ce que nous en devenions absolument las. Il n'est personne, aujourd'hui, de vraiment cultivé, pour parler de la beauté d'un coucher de soleil. Les couchers de soleil sont tout à fait passés de mode. Ils appartiennent au temps où Turner était le dernier mot de
l'art. Les admirer est un signe marquant de provincialisme".
Oscar Wilde, « Le déclin du mensonge », Intentions (1928), trad. H. Juin, Éd. UGE, colt 10-18, 1986, pp. 56-57.
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18 février 2007 7 18 /02 /février /2007 18:01
« Dans l'obscure intimité du creux de la chaussure est inscrite la fatigue des pas du labeur. Dans la rude et solide pesanteur du soulier est affermie la lente
et opiniâtre foulée à travers champs, le long des sillons toujours semblables, s'étendant au loin sous la bise. Le cuir est marqué par la terre grasse et humide. Par-dessous les semelles s'étend la solitude du chemin de campagne qui se perd dans le soir. A travers ces chaussures passe l'appel silencieux de la terre, son don tacite du grain mûrissant, son secret refus d'elle-même dans l'aride jachère du champ hivernal. À travers ce produit repasse la muette inquiétude pour la sûreté du pain, la joie silencieuse de survivre à nouveau au besoin, l'angoisse de la naissance imminente, le frémissement sous la mort qui menace. »

« La toile de Van Gogh est l'ouverture de ce que le produit, la paire de souliers de paysan, est en vérité. [...]
Dans l'oeuvre d'art, la vérité de l'étant s'est mise en oeuvre. »
Extraits de Chemins qui ne mènent nulle part (Gallimard). Heidegger
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16 février 2007 5 16 /02 /février /2007 18:39


L'artiste  ne nous fournit pas un simple fac-similé du réel. Comme Hegel, Bergson  soutient que l'art nous donne accès à la réalité même, beaucoup plus éloignée de l'appréhension usuelle que nous ne  le croyons spontanément :

"À quoi vise l'art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l'esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience? Le poète et le romancier qui expriment un état d'âme ne le créent certes pas de toutes pièces ; ils ne seraient pas compris de nous si nous n'observions en nous, jusqu'à un certain point, ce qu'ils nous disent d'autrui. Au fur et à mesure qu'ils nous parlent, des nuances d'émotion et de pensée nous apparaissent, qui pouvaient être représentés en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle l'image photographique qui n'a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera. Le poète est ce révélateur. Mais nulle part la fonction de l'artiste ne se montre aussi clairement que dans celui des arts qui fait la plus large place à l'imitation, je veux dire la peinture ; les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes. Un Corot, un Turner, pour ne citer que ceux-là, ont aperçu dans la nature bien des aspects que nous ne remarquions pas. - Dira-t-on qu'ils n'ont pas vu, mais créé, qu'ils nous ont livré des produits de leur imagination, que nous adoptons leurs inventions parce qu'elles nous plaisent, et que nous nous amusons simplement à regarder la nature à travers l'image que les grands peintres nous en ont tracée ? - C'est vrai dans une certaine mesure; mais, s'il en était uniquement ainsi, pourquoi dirionsnous de certaines oeuvres - celles des maîtres - qu'elles sont vraies? Où serait la différence entre le grand art et la pure fantaisie? Approfondissons ce que nous éprouvons devant un Turner ou un Corot : nous trouverons que si nous les acceptons et les admirons, c'est que nous avions déjà perçu quelque chose de ce qu'ils nous montrent. Mais nous avions perçu sans apercevoir. C'était, pour nous, une vision brillante et évanouissante, perdue dans la foule de ces visions également brillantes, également évanouissantes, qui se recouvrent dans notre expérience comme des dissolving views et qui constituent par leur interférence réciproque, la vision pâle et décolorée que nous avons habituellement des choses. Le peintre l'a isolée ; il l'a si bien fixée sur la toile que, désormais, nous ne pourrons nous empêcher d'apercevoir dans la réalité ce qu'il y a vu lui-même".
Henri BERGSON, Matière et Mémoire (1896), PUF, 1968, p. 148 sq.
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11 février 2007 7 11 /02 /février /2007 12:19
Une illusion salutaire


 Même si l'art relève de l'illusion, il permet de surmonter le pessimisme ou le découragement:

Notre dernière gratitude envers l'art. - Si nous n'avions pas approuvé les arts, si nous n'avions pas inventé cette sorte de culte de l'erreur, nous ne pourrions pas supporter de voir ce que nous montre maintenant la science : l'universalité du non-vrai, du mensonge, et que la folie et l'erreur sont conditions du monde intellectuel et sensible. La loyauté aurait pour conséquence le dégoût et le suicide. Mais à notre loyauté s'oppose un contrepoids qui aide à éviter de telles suites : c'est l'art, en tant que bonne volonté de l'illusion; nous n'interdisons pas toujours à notre oeil de parachever, d'inventer une fin : ce n'est plus dès lors l'imperfection, cette éternelle imperfection, que nous portons sur le fleuve du devenir, c'est une déesse dans notre idée, et nous sommes enfantinement fiers de la porter. En tant que phénomène esthétique, l'existence nous reste supportable, et l'art nous donne les yeux, les mains, surtout la bonne conscience qu'il faut pour pouvoir faire d'elle ce phénomène au moyen de nos propres ressources. Il faut de temps en temps que nous nous reposions de nous-mêmes, en nous regardant de haut, avec le lointain de l'art, pour rire ou pour pleurer sur nous il faut que nous découvrions le héros et aussi le fou qui se dissimulent dans notre passion de connaître; il faut que nous soyons heureux, de temps en temps, de notre folie, pour pouvoir demeurer heureux de notre sagesse ! Et c'est parce que, précisément, nous sommes au fond des gens lourds et sérieux, et plutôt des poids que des hommes, que rien ne nous fait plus de bien que la marotte: nous en avons besoin vis-à-vis de nous-mêmes, nous avons besoin de tout art pétulant, flottant, dansant, moqueur, enfantin, bienheureux, pour ne pas perdre cette liberté qui nous place au-dessus des choses et que notre idéal exige de nous. Ce serait pour nous un recul, - et précisément en raison de notre irritable loyauté - que de tomber entièrement dans la morale et de devenir, pour l'amour des super -sévères exigences que nous nous imposons sur ce point, des monstres et des épouvantails de vertu. Il faut que nous puissions aussi nous placer au-dessus de la morale ; et non pas seulement avec l'inquiète raideur de celui qui craint à chaque instant de faire un faux pas et de tomber, mais avec l'aisance de quelqu'un qui peut planer et se jouer au-dessus d'elle! Comment pourrions-nous en cela nous passer de l'art et du fou?
(...) Et tant que vous aurez encore, en quoi que ce soit, honte de vous, vous ne sauriez être des nôtres.
Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir (1882), trac. Alexandre Vialatte, colt. « Idées », Gallimard, 1972, p. 15 l .
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11 février 2007 7 11 /02 /février /2007 12:17


 Nietzsche démystifie ici le génie:

"L'activité du génie ne paraît pas le moins du monde quelque chose de foncièrement différent de l'activité de l'inventeur en mécanique, du savant astronome ou historien, du maître en tactique. Toutes ces activités s'expliquent si l'on représente des hommes dont la pensée est active dans une direction unique, qui utilisent tout comme matière première, qui ne cessent d'observer diligemment leur vie intérieure et celle d'autrui qui ne se lassent pas de combiner leurs moyens. Le génie ne fait rien que d'apprendre d'abord à poser des pierres, ensuite à bâtir, que de chercher toujours des matériaux et de travailler toujours à y mettre la forme. Toute activité de l'homme est compliquée à miracle, non pas seulement celle du génie: mais aucune n'est un «miracle». - D'où vient donc cette croyance qu'il n'y a de génie que chez l'artiste, l'orateur et le philosophe? qu'eux seuls ont une « intuition » ? (mot par lequel on leur attribue une sorte de lorgnette merveilleuse avec laquelle ils voient directement dans l'« être »!) Les hommes ne parlent intentionnellement de génie que là où les effets de la grande intelligence leur sont le plus agréables et où ils ne veulent pas d'autre part éprouver d'envie. Nommer quelqu'un « divin » c'est dire: ici nous  n'avons pas à rivaliser». En outre: tout ce qui est fini, parfait, excite l'étonnement, tout ce qui est en train de se faire est déprécié. Or personne ne peut voir dans l'oeuvre de l'artiste comment elle s'est faite; c'est son avantage, car partout où l'on peut assister à la formation, on est un peu refroidi. L'art achevé de l'expression écarte toute idée de devenir; il s'impose tyranniquement comme une perfection actuelle. Voilà pourquoi ce sont surtout les artistes de l'expression qui passent pour géniaux, et non les hommes de science. En réalité cette appréciation et cette dépréciation ne sont qu'un enfantillage de la raison".
Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, trad. A.-M. Desrousseaux, Éd. Mercure de France, 1899.
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9 février 2007 5 09 /02 /février /2007 19:26

Dans "Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci ", Freud a  analysé  un rêve d'enfant de Léonard. Il a découvert que l'oeuvre d'art a , pour l'artiste,une fonction un peu comparable à celle des  rêves pour tout un chacun (satisfaire partiellement et de manière indirecte nos désirs les plus fous):

"L'artiste, comme le névropathe, s'était' retiré loin de la réalité insatisfaisante dans ce monde imaginaire, mais à l'inverse du névropathe il s'entendait à trouver le chemin du retour et à reprendre pied dans la réalité. Ses créations, les oeuvres d'art, étaient les satisfactions imaginaires de désirs inconscients, tout comme les rêves, avec lesquels elles avaient d'ailleurs en commun le caractère d'être un compromis, car elles aussi devaient éviter le conflit à découvert avec les puissances de refoulement. Mais à l'inverse des productions asociales narcissiques du rêve, elles pouvaient compter sur la sympathie des autres hommes, étant capables d'éveiller et de satisfaire chez eux les mêmes inconscientes aspirations du désir. De plus elles se servaient, comme « prime de séduction » , du plaisir attaché à la perception de la beauté de la forme. Ce que la psychanalyse pouvait faire, c'était - d'après les rapports réciproques des impressions vitales, des vicissitudes fortuites et des oeuvres de l'artiste - reconstruire sa constitution et les aspirations instinctives en lui agissantes, c'est-à-dire ce qu'il présentait d'éternellement humain. C'est dans une telle intention que je pris par exemple Léonard de Vinci pour objet d'une étude, étude qui repose sur un seul souvenir d'enfance dont il nous fit part, et qui tend principalement à élucider son tableau de la Sainte Anne. Mes amis et élèves ont depuis entrepris de nombreuses analyses semblables d'artistes et de leurs oeuvres. La jouissance que l'on tire des oeuvres d'art n'a pas été gâtée par la compréhension analytique ainsi obtenue. Mais nous devons avouer aux profanes, qui attendent ici peut-être trop de l'analyse, qu'elle ne projette aucune lumière sur deux problèmes, ceux sans doute qui les intéressent le plus. L'analyse ne peut en effet rien nous dire de relatif à l'élucidation du don artistique, et la révélation des moyens dont se sert l'artiste pour travailler, le dévoilement de la technique artistique, n'est pas non plus de son ressort"
Sigmund Freud, Ma vie et la psychanalyse, 1925,trad. M. Bonaparte, Éd. Gallimard,1968, pp. 79-81.
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8 février 2007 4 08 /02 /février /2007 19:18

Devoir : (etym :  latin debere, de de et habere, " tenir quelque chose de quelqu'un, lui en être redevable ") 1) Sens général : obligation sociale ou morale, propre à une fonction déterminée (le devoir de réserve) ou bien d'ordre plus général (le devoir de solidarité) 2) Chez Kant : commandement qui s'impose à la volonté soit de façon conditionnelle (obligation relative à un objectif particulier) soit de façon inconditionnelle. Le devoir proprement dit est le devoir moral inconditionnel  qui s'impose à tout homme et qui vaut pour tout homme. Le devoir  (au sens moral) implique une idée de l'homme tel qu'il soit capable de concevoir une loi qui  puisse  être reconnue et adoptée pour toutes les volontés raisonnables, c'est-à-dire par tous les êtres doués de raison.
Mœurs/ Morale : (etym : du latin mores, " mœurs ", et de moralis, chez Cicéron, qui traduit le grec ethikos, relatif aux mœurs, moral) 1) Sens ordinaire : les mœurs sont les habitudes, les coutumes et les règles d'une société relatives à la bonne conduite et au devoir. La morale est la théorie de l'action humaine en tant qu'elle se préoccupe de ce qui doit être et vise le bien. 2) Chez Kant : les mœurs recouvrent le domaine des conduites inspirées par les désirs et les inclinations, tandis que la morale renvoie à l'action qui relève de la libre volonté. La morale  (dite de Kant) se contente d'expliciter les principes qui sont à l'œuvre dans toute expérience d'ordre moral, autrement dit   liée  à  l'observation d'  impératifs catégoriques.
Sentiment : (etym : sentire,  " percevoir par les sens ", " sentir ", " ressentir "). 1) Sens ordinaire : tous les états affectifs de l'homme qui, par opposition aux émotions fugitives, comportent une certaine stabilité, tels que l'amour, la joie, le chagrin, mais aussi les sensations et les plaisirs esthétiques ou moraux 2) Philosophie : en tant que forme supérieure de l'activité affective, le sentiment est  le propre de l'homme. Certains sentiments peuvent même comporter une dimension spirituelle ou morale, comme la bienveillance, la générosité,  le sentiment religieux  etc...3) Chez certains moralistes (Hume, Rousseau), le sentiment  est le véritable fondement de toutes les inclinations morales qui ne sont des formes de sympathie ou d'amour sublimées. Ils s'opposent en cela aux philosophes rationalistes   (Platon, Descartes, Kant) qui considèrent que le devoir procède de la connaissance de la Loi, elle-même instaurée  par la raison.
Vertu :  (etym latin virtus, " mérite essentiel ", " vertu " ) 1) Sens ordinaire (vieilli) : volonté de bien faire, souci de l'intérêt de l'autre, force morale. 2) Sens ancien : puissance, aptitude ou capacité propre à un être (exemple : la vertu de l'œil est de bien voir). 3) Sens moderne : a) Chez Montesquieu : préférence accordée par le citoyen à l'intérêt du tout (l'Etat) par rapport à la partie ( individu), probité  et amour des lois. La vertu (synonyme de civisme) est le principe  de la République, c'est-à-dire à la fois son esprit et son fondement. b) Chez Rousseau :  préférence accordée à l'intérêt de  l'autre par rapport au sien propre, bienveillance à l'égard du genre humain ; la vertu,  conçue  ici comme un sentiment altruiste,  est  naturellement dérivée de l'amour de soi et de la compassion c) Chez Kant : disposition constante de la volonté qui observe la loi morale dans un esprit totalement désintéressé.
 CHEZ KANT :
Impératif hypothétiques/catégoriques :  L'impératif (etym : imperare, " commander ") est un commandement de la raison qui s'adresse à la volonté.  L'impératif hypothétique ordonne ce qui est indispensable pour réaliser n'importe quel objectif. L'impératif catégorique commande de faire son devoir inconditionnellement, c'est-à-dire quels que puissent être les obstacles ou les objections.
Fondement (s)  : (etym : fundare, " fonder ") 1) Sens général : ensemble des éléments qui constituent  les principes de base   d'une doctrine ou d'une  théorie philosophique. 2) Chez Kant : c'est la raison qui détermine une chose et précède donc logiquement cette chose. Le fondement de la morale est à chercher dans un examen de la raison par la raison, c'est-à-dire dans ce que Kant appelle la critique de la raison pure pratique.
Nature : Chez Kant : la nature est " l'existence des choses en tant que déterminées par des lois universelles ". La science de la nature, chez Kant, ne porte que sur ce qui est objet d'expérience possible, jamais sur les choses en soi.
Loi / loi morale : (etym : latin lex,  " loi ") 1) Sens scientifique : la loi est une relation constante entre les faits,  ou entre les phénomènes ; elle  ne comporte jamais d'exception 2) Sens juridique : règle obligatoire établie par une autorité souveraine afin d'encadrer et de stabiliser les relations entre les hommes 3)   La loi morale, chez Kant :  elle est le principe de détermination de la volonté qui est valable pour tous les êtres raisonnables. Elle revêt par définition un caractère d'universalité.
Matière/ forme :  (etym :  latin mater,  " mère ", " source " et  latin forma, ensemble des caractéristiques extérieures d'une chose) . Chez Kant : la matière est le contenu, le but ou encore la fin de l'action, c'est-à-dire ce en vue de quoi nous l'accomplissons, comme la réussite ou le plaisir par exemple. La forme consiste exclusivement dans son universalité, c'est-à-dire dans un caractère qui lui est inhérent. De façon générale, les formes sont chez Kant des principes qui ordonnent des matériaux empiriques, qui mettent en ordre les données de l'expérienc
Pratique :  (etym :  grec :  prattein, " agir ") . Chez Kant :  la pratique est le domaine de ce qui relève  de la liberté. Ce terme désigne plus précisément le champ des actions humaines en tant qu'elles se soumettent, ou sont susceptibles de se soumettre,  à la loi morale.
 Phénomènes/ choses en soi : Chez Kant : les phénomènes désignent le réel en tant qu'il est connu, c'est-à-dire tel qu'il se manifeste au sujet qui appréhende le réel suivant sa sensibilité et son entendement, tandis que la
chose en soi désigne ce même réel tel qu'il est en lui même.  La chose en soi est inconnaissable, par définition, mais nous pouvons nous efforcer de la penser.
Piétisme : (etym :  latin : pietas, " piété ")   Doctrine austère  d' une secte protestante luthérienne (17 ième siècle)  qui prône la métamorphose morale de l'homme en insistant sur la piété personnelle et le sentiment religieux plutôt que sur une stricte orthodoxie.
A priori/ a posteriori : Expressions latines qui signifient respectivement : " en partant de ce qui vient avant " et " en partant de ce qui vient après ", c'est-à-dire  ce qui précède et ce qui suit. Chez Kant, " avant " et " après " prennent un sens logique. Est a priori ce qui précède logiquement l'expérience, et qui en constitue donc la condition de possiblilité.  Est a posteriori ce qui en découle et ne peut donc être établi autrement qu'à partir d'elle. L'universel et le nécessaire sont les marques de l' a priori.
 PS : j'ai fait un résumé de la morale de Kant dans mon livre: Cours particulier de philosophie .

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8 février 2007 4 08 /02 /février /2007 18:32

Art : (etym : ars, artis, talent, savoir-faire,   traduction du grec technè,  technique, savoir-faire) 1) Sens  premier : ensemble de techniques ou  de procédés visant un résultat pratique, en particulier dans le cadre d'un métier 2) Sens usuel : Activité ayant en général pour fin de produire de belles apparences, ou bien comportant sa fin en elle-même  comme la danse par exemple 3) Système des beaux-arts comprenant les  arts plastiques ( architecture, sculpture, peinture) et les arts musicaux (musique, danse, poésie) 4) Chez Aristote :  Création de formes et manifestation de liberté de  l'homme qui intervient dans le cours de la nature dans  la mesure où celui-ci laisse une place  à la contingence au hasard 5) Selon Kant :  Activité autonome   visant  la création de formes et d'œuvres  d'autant plus belles (suscitant un plaisir esthétique) qu'elles ne sont subordonnées à aucune fin préétablie.  L'artiste de génie " donne des règles à l'art " contrairement à l'artiste académique qui s'inscrit dans un cadre préexistant. 6) Selon Hegel : Manifestation sensible de l'Idée, l'art désigne un mode d'expression de l'absolu  qui  révèle la vérité mais  à travers les apparences (" l'apparence est un  moment essentiel de l'essence "). En tant que forme éminente de la conscience, l'art est destiné à disparaître pour être remplacée par la religion et la philosophie. 7) Pour la sociologie contemporaine, l'art recouvre toutes les activités reconnues       (cf " art vivant ") et approuvées par des institutions qualifiées, et (ou) qui suscitent un large consensus social.
Esthétique :  (etym : aisthétikos, qui peut être perçu par les sens) Terme inventé  vers 1750 pour désigner une " science des sentiments ", puis une " science du beau "  Substantif 1) Sens usuel : théorie de l'art et des conditions du beau 2) Chez Kant : qui concerne le beau sensible. Les jugements esthétiques sont soit empiriques soit purs.  Les premiers expriment ce qui , dans une représentation, d'agréable ou de désagréable. Seuls les seconds, qui portent sur la forme, et qui ne s'appuient pas sur des concepts,  sont, à proprement parler des jugements de goût : " le beau est ce qui plaît universellement et sans concept " 3) Chez Hegel :  philosophie des beaux-arts qui prend pour objet le " vaste empire du beau ", conçu comme " manifestation de l'esprit sous une forme sensible ".
Adjectif : désigne tout ce qui suscite un sentiment mélangé de plaisir et d'admiration, sentiment généralement rapporté au beau, mais pas toujours.  L'art contemporain se définit par  la recherche d'une écriture,  par l'émergence d'un style et  d'une vision,  ou même  par l'invention d'un geste  ou d'un dispositif  original, et non plus par le souci de  célébrer et de magnifier la nature ou de dévoiler la spiritualité inhérente aux productions des hommes.

Œuvre :  (etym : latin opus, " activité ", " œuvre ") 1) Sens ordinaire : activité ou produit du travail humain 2) Esthétique : ensemble organisé de matériaux et de symboles mis en formes par un ou plusieurs artistes, artisans et exécutants (ex : les cathédrales) 3) Chez Hegel : les œuvres sont des manifestations sensibles de l'Idée, c'est-à-dire du " divin " au sens philosophique de ce terme.  Les œuvres  d'art expriment  un contenu spirituel, mais ce contenu n'est jamais dissociable de la forme sensible qui le manifeste 4) Chez Hannah Arendt :  l'œuvre est opposée à la production ordinaire.  Tandis que le travail nous soumet, en règle générale,  à l'empire de la nécessité (nous travaillons pour consommer le produit de notre travail) l'activité artistique nous en  libère en nous arrachant au cycle ininterrompu de la production/consommation.  Les œuvres ne sont pas consommées ; elles existent pour durer, comme en témoigne leur longévité.
Formes symboliques (Etym :  latin : forma, " forme " et  grec   sumbolon,  objet coupé en deux qui servait de signe de reconnaissance). Notion courante dans le domaine  esthétique, qui a été  théorisée plus particulièrement par le  philosophe allemand Ernst  Cassirer  (La philosophie des formes symboliques 1923-1929). Chez Paul Ricoeur et Ernst Cassirer, les formes symboliques sont l'ensemble des productions signifiantes, des institutions et des œuvres ( langage, mythes, récits historiques,cérémonies, dispositifs religieux, œuvres d'art...) qui structurent  le monde et lui donnent une (ou des) significations déterminées. Ces formations " font partie d'un processus vivant " mais la conscience fixe dans ces processus certains points d'arrêt et de repos : " ainsi la conscience préserve en eux le flux perpétuel qui les caractérise ; mais ce flux ne se perd pas dans l'indéterminé, il s'articule autour de certains centres formels et sémantiques " (La philosophie des formes symboliques 1 Le  langage, introduction)

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8 février 2007 4 08 /02 /février /2007 18:27
Pour l'ethnologue Claude Lévi-Strauss , l'art est un moyen pour l'homme de s'approprier la réalité, matériellement et intellectuelle : l'analogie entre l'art et le modèle réduit permet de rendre compte de cette appropriation.

"La question se pose de savoir si le modèle réduit, qui est aussi le «chef-d'oeuvre» du compagnon, n'offre pas, toujours et partout, le type même de l'oeuvre d'art. Car il semble bien que tout modèle réduit ait vocation esthétique - et d'où tirerait-il cette vertu constante, sinon de ses dimensions mêmes? Inversement, l'immense majorité des ceuvres d'art sont aussi des modèles réduits. On pourrait croire que ce caractère tient d'abord à un souci d'économie, portant sur les matériaux et sur les moyens, et invoquer à l'appui de cette interprétation des oeuvres incontestablement artistiques, bien que monumentales. Encore faut-il s'entendre sur les définitions : les peintures de la chapelle Sixtine sont un modèle réduit en dépit de leurs dimensions imposantes, puisque le thème qu'elles illustrent est celui de la fin des temps. Il en est de même avec le symbolisme cosmique des monuments religieux. D'autre part, on peut se demander si l'effet esthétique, disons d'une statue équestre plus grande que nature, provient de ce qu'elle agrandit un homme aux dimensions d'un rocher, et non de ce qu'elle ramène ce qui est d'abord, de loin, perçu comme un rocher aux dimensions d'un homme. Enfin, même la « grandeur nature » suppose un modèle réduit, puisque la transposition graphique ou plastique implique toujours la renonciation à certaines dimensions de l'objet : en peinture, le volume ; les couleurs, les odeurs, les impressions tactiles, jusque dans la sculpture ; et, dans les deux cas, la dimension temporelle, puisque le tout de l'oeuvre figurée est appréhendé dans l'instant.
Quelle vertu s'attache donc à la réduction, que celle-ci soit d'échelle, ou qu'elle affecte les propriétés ? (...)
À l'inverse de ce qui se passe quand nous cherchons à connaître une chose ou un être en taille réelle, dans le modèle réduit la connaissance du tout précède celle des parties. Et même si c est
là une illusion, la raison du procédé est de créer ou d'entretenir cette illusion, qui gratifie l'intelligence et la sensibilité d'un plaisir qui, sur cette seule base, peut déjà être appelé esthétique.
Nous n'avons jusqu'ici envisagé que des considérations d'échelle, qui, comme on vient de le voir, impliquent une relation dialectique entre grandeur - c'est-à-dire quantité - et la qualité. Mais le modèle réduit possède un attribut supplémentaire : il est construit, man made, et, qui plus est,       « fait à la main ». Il n'est donc pas une simple projection, un homologue passif de l'objet : il constitue une véritable expérience sur l'objet; or, dans la mesure où le modèle est artificiel, il devient possible de comprendre comment il est fait, et cette appréhension du mode de fabrication apporte une dimension supplémentaire à son être ; de plus - nous l'avons vu à propos du bricolage, mais l'exemple des « manières » des peintres montre que c'est aussi vrai pour l'art -, le problème comporte toujours plusieurs solutions. Comme le choix d'une solution entraîne une modification du résultat auquel aurait conduit une autre solution, c'est donc le tableau général de ces permutations qui se trouve virtuellement donné, en même temps que la solution particulière offerte au regard du spectateur, transformé de ce fait - sans même qu'il le sache - en agent. (...) Autrement dit, la vertu intrinsèque du modèle réduit est qu'il compense la renonciation à des dimensions sensibles par l'acquisition de dimensions intelligibles".
Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Plon, 1962, p. 34-36.
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8 février 2007 4 08 /02 /février /2007 18:19


    Contre Platon, qui jugeait l'imitation en art superflue et dangereuse, Hegel revalorise les apparences. Les apparences, dans l'art, ne sont pas une plate répétition de la  réalité   : elles en constituent plutôt une tranfiguration qui nous révèle l'essence des choses:

   " Le reproche d'indignité qui s'adresse à l'art comme produisant ses effets par l'apparence et l'illusion serait fondé si l'apparence pouvait être regardée comme ce qui ne doit pas être. Mais l'apparence est essentielle à l'essence. La vérité ne serait pas si elle ne paraissait ou plutôt n'apparaissait pas, si elle n'était pas pour quelqu'un, si elle n'était pas pour elle-même aussi bien que pour l'esprit en général. Dès lors ce n'est plus sur le paraître que doit tomber le reproche, mais sur la sorte particulière d'apparence employée par l'art pour donner réalité au vrai en soi. Mais si on qualifie d'illusions ces apparences sous lesquelles l'art donne existence à ses conceptions, ce reproche a surtout du sens par comparaison avec le monde extérieur des apparences et sa matérialité immédiate, et aussi par rapport à notre propre affectivité, à notre monde intérieur et sensible : monde extérieur et monde intérieur - à tous deux, dans notre vie empirique, dans la vie de notre apparence même, nous sommes habitués à donner la dignité et le nom de réalité effective et de vérité, par opposition à l'art à qui manquent pareille réalité et pareille vérité. Mais, justement, tout cet ensemble du monde empirique intérieur et extérieur n'est pas le monde de la réalité véritable, mais on peut dire de lui, bien plus exactement que de l'art, qu'il est une simple apparence et une trompeuse illusion. C'est au-delà de l'impression immédiate et des objets perçus immédiatement qu'il faut chercher la véritable réalité. Car n'est vraiment réel que ce qui est en soi et pour soi, la substance de la nature et de l'esprit, ce qui, tout en se manifestant dans l'espace et dans le temps, continue d'exister en soi et pour soi et est ainsi véritablement réel. Or c'est précisément l'action de cette force universelle que l'art présente et fait apparaître. Sans doute cette réalité essentielle apparaît aussi dans le monde ordinaire - intérieur et extérieur - mais confondue avec le chaos des circonstances passagères, déformée par les sensations immédiates, mêlée à l'arbitraire des états d'âme, des incidents, des caractères, etc. L'art dégage des formes illusoires et mensongères de ce monde imparfait et instable la vérité contenue dans les apparences, pour la doter d'une réalité plus haute créée par l'esprit lui-même. Ainsi, bien loin d'être de simples apparences purement illusoires, les manifestations de l'art renferment une réalité plus haute et une existence plus vraie que l'existence courante".

    Leçons sur l'esthétique ( professées entre 1818 et 1829, publiées en 1835), trad. Bénard, in  Esthétique, choix de C. Khodoss, P.U.F., 1954, pp.8-9.
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