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8 février 2007 4 08 /02 /février /2007 18:27
Pour l'ethnologue Claude Lévi-Strauss , l'art est un moyen pour l'homme de s'approprier la réalité, matériellement et intellectuelle : l'analogie entre l'art et le modèle réduit permet de rendre compte de cette appropriation.

"La question se pose de savoir si le modèle réduit, qui est aussi le «chef-d'oeuvre» du compagnon, n'offre pas, toujours et partout, le type même de l'oeuvre d'art. Car il semble bien que tout modèle réduit ait vocation esthétique - et d'où tirerait-il cette vertu constante, sinon de ses dimensions mêmes? Inversement, l'immense majorité des ceuvres d'art sont aussi des modèles réduits. On pourrait croire que ce caractère tient d'abord à un souci d'économie, portant sur les matériaux et sur les moyens, et invoquer à l'appui de cette interprétation des oeuvres incontestablement artistiques, bien que monumentales. Encore faut-il s'entendre sur les définitions : les peintures de la chapelle Sixtine sont un modèle réduit en dépit de leurs dimensions imposantes, puisque le thème qu'elles illustrent est celui de la fin des temps. Il en est de même avec le symbolisme cosmique des monuments religieux. D'autre part, on peut se demander si l'effet esthétique, disons d'une statue équestre plus grande que nature, provient de ce qu'elle agrandit un homme aux dimensions d'un rocher, et non de ce qu'elle ramène ce qui est d'abord, de loin, perçu comme un rocher aux dimensions d'un homme. Enfin, même la « grandeur nature » suppose un modèle réduit, puisque la transposition graphique ou plastique implique toujours la renonciation à certaines dimensions de l'objet : en peinture, le volume ; les couleurs, les odeurs, les impressions tactiles, jusque dans la sculpture ; et, dans les deux cas, la dimension temporelle, puisque le tout de l'oeuvre figurée est appréhendé dans l'instant.
Quelle vertu s'attache donc à la réduction, que celle-ci soit d'échelle, ou qu'elle affecte les propriétés ? (...)
À l'inverse de ce qui se passe quand nous cherchons à connaître une chose ou un être en taille réelle, dans le modèle réduit la connaissance du tout précède celle des parties. Et même si c est
là une illusion, la raison du procédé est de créer ou d'entretenir cette illusion, qui gratifie l'intelligence et la sensibilité d'un plaisir qui, sur cette seule base, peut déjà être appelé esthétique.
Nous n'avons jusqu'ici envisagé que des considérations d'échelle, qui, comme on vient de le voir, impliquent une relation dialectique entre grandeur - c'est-à-dire quantité - et la qualité. Mais le modèle réduit possède un attribut supplémentaire : il est construit, man made, et, qui plus est,       « fait à la main ». Il n'est donc pas une simple projection, un homologue passif de l'objet : il constitue une véritable expérience sur l'objet; or, dans la mesure où le modèle est artificiel, il devient possible de comprendre comment il est fait, et cette appréhension du mode de fabrication apporte une dimension supplémentaire à son être ; de plus - nous l'avons vu à propos du bricolage, mais l'exemple des « manières » des peintres montre que c'est aussi vrai pour l'art -, le problème comporte toujours plusieurs solutions. Comme le choix d'une solution entraîne une modification du résultat auquel aurait conduit une autre solution, c'est donc le tableau général de ces permutations qui se trouve virtuellement donné, en même temps que la solution particulière offerte au regard du spectateur, transformé de ce fait - sans même qu'il le sache - en agent. (...) Autrement dit, la vertu intrinsèque du modèle réduit est qu'il compense la renonciation à des dimensions sensibles par l'acquisition de dimensions intelligibles".
Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Plon, 1962, p. 34-36.
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commentaires

B
<br /> "À l'inverse de ce qui se passe quand nous cherchons à connaître une chose ou un être en taille réelle, dans le modèle réduit la connaissance du tout précède celle des parties..." Hum à<br /> partir de là je suis perdu , pourriez vous me donner la "thèse" (puisque c'est le mot consacré) du texte en deux mots (ou un peu plus!)?<br /> <br /> (pourtant ça partait bien, le début était limpide!)<br /> <br /> (C'est moi qui comprend rien ou c'est vrai que c'est pas très clair? )<br /> <br /> <br />
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L
<br /> La thèse du texte est la suivante: "toute oeuvre d'art est un monde en réduction".<br />  Il y a là un bénéfice. pour le créateur (mettre le monde en boîte en quelque sorte) mais aussi pour le spectateur.<br />  Le spectateur a un sentiment de maîtrise, car il profite de la maîtrise du créateur, dans la mesure où il comprend que cette représnatation était une représentation possible parmi<br /> d'autres.<br />  Il y a un plaisir de l'intelligence dans la contemplation esthétique. Kant le dit autrement:le sentiment du beau réconcilie l'imagination et l'entendement..<br /> <br /> <br />