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2 janvier 2017 1 02 /01 /janvier /2017 18:11
Les philosophes et la religion communiste

Notes sur le marxisme

 

 

https://laconnaissanceouverteetsesennemis.blogspot.fr/2012/06/anciennes-notes-sur-le-marxisme-1.html

mercredi 12 octobre 2016

NOTES SUR LE MARXISME (1/3)

 

 

 

 

 

I – Ses effets secondaires malfaisants sur la probité intellectuelle la plus élémentaire

II - Prémonitions et mises en garde (avant Frédéric Nietzsche)

 

 

NOTES SUR LE MARXISME (2/3)

 

 

I – Ses effets secondaires malfaisants sur la probité intellectuelle la plus élémentaire :

 

 

GIDE : « Ce qui m’effraie, c’est que cette religion communiste comporte, elle aussi, un dogme, une orthodoxie, des textes auxquels on se réfère, une abdication de la critique … C’est trop. » André Gide (1869-1951), Journal, 13 août 1933.

 

Carte postale de la série " Les écrivains du monde pour la défense de l'URSS "

éditée en 1933 en l'honneur d'André Gide. (Merci à Philippe Brin)

 

SARTRE : « Pendant des années l’intellectuel marxiste crut qu’il servait son parti, en violant l’expérience, en négligeant les détails gênants, en simplifiant grossièrement les données et surtout en conceptualisant l’événement avant de l’avoir étudié. »

Jean-Paul Sartre (1905-1980), Questions de méthode, 1, "Marxisme et existentialisme", 1957. [À rapprocher de l’inestimable avertissement kantien :

« des pensées sans contenu sont vides ; des intuitions sans concepts sont aveugles. [Gedanken ohne Inhalt sind leer, Anschauungen ohne Begriffe sind blind.] », Critique de la raison pure, I Théorie transcendantale des éléments, 2e partie Logique transcendantale, introduction, I De la logique en général, traduction Delamarre/Marty, Paris : Gallimard 1980, Collection "Bibliothèque de la Pléiade", tome I, page 812].

 

BESANÇON : « Le système est bouclé sur lui-même puisque tout essai de réfutation révèle [à lire avec des guillemets] l’influence de la bourgeoisie, par conséquent la lutte des classes telle que le marxisme lui-même l’a définie. »

Alain Besançon, Les Origines intellectuelles du léninisme, Paris : Calmann-Lévy, 1977, XII.

 

 

 

FOUCAULT : « Pendant longtemps, la philosophie, la réflexion théorique ou la "spéculation" ont eu à l’histoire un rapport distant et peut-être un peu hautain. On allait demander à la lecture d’ouvrages historiques, souvent de très bonne qualité, un matériau considéré comme "brut" et donc comme "exact" ; et il suffisait alors de le réfléchir, ou d’y réfléchir, pour lui donner un sens et une vérité qu’il ne possédait pas par lui-même. Le libre usage du travail des autres était un genre admis. Et si bien admis que nul ne songeait à cacher qu’il élaborait du travail déjà fait ; il le citait sans honte.

 

Les choses ont changé, me semble-t-il. Peut-être à cause de ce qui s’est passé du côté du marxisme, du communisme, de l’Union soviétique. Il ne paraissait plus suffisant de faire confiance à ceux qui savaient et de penser de haut ce que d’autres avaient été voir là-bas. Le même changement qui rendait impossible de recevoir ce qui venait d’ailleurs a suscité l’envie de ne plus recevoir tout fait, des mains des historiens, ce sur quoi on devait réfléchir. Il fallait aller chercher soi-même, pour le définir et l’élaborer, un objet historique nouveau. C’était le seul moyen pour donner à la réflexion sur nous-mêmes, sur notre société, sur notre pensée, notre savoir, nos comportements, un contenu réel. C’était inversement une manière de n’être pas, sans le savoir, prisonnier des postulats implicites de l’histoire. C’était une manière de donner à la réflexion des objets historiques au profil nouveau.

 

On voyait se dessiner entre philosophie et histoire un type de relations qui n’étaient ni la constitution d’une philosophie de l’histoire ni le déchiffrement d’un sens caché de l’histoire. Ce n’était plus une réflexion sur l’histoire, c’était une réflexion dans l’histoire. Une manière de faire faire à la pensée l’épreuve du travail historique ; une manière aussi de mettre le travail historique à l’épreuve d’une transformation des cadres conceptuels et théoriques. Il ne s’agit pas de sacraliser ou d’héroïser ce genre de travail. Il corresponde à une certaine situation. C’est un genre difficile qui comporte beaucoup de dangers, comme tout travail qui fait jouer deux types d’activités différents. On est trop historien pour les uns et, pour les autres, trop positiviste. Mais, de toute façon, c’est un travail qu’il faut faire soi-même. Il faut aller au fond de la mine ; ça demande du temps ; ça coûte de la peine. Et quelquefois on échoue. Il y a en tout cas une chose certaine : c’est qu’on ne peut pas dans ce genre d’entreprise réfléchir sur le travail des autres et faire croire qu’on l’a effectué de ses propres mains ; ni non plus faire croire qu’on renouvelle la façon de penser quand on l’habille simplement de quelques généralités supplémentaires. Je connais mal le livre [de Jacques Attali] dont vous me parlez. Mais j'ai vu passer depuis bien des années des histoires de ceci ou de cela - et vous savez, on voit tout de suite la différence entre ceux qui ont écrit entre deux avions et ceux qui ont été se salir les mains. Je voudrais être clair. Nul n'est forcé d'écrire des livres, ni de passer des années à les élaborer, ni de se réclamer de ce genre de travail. Il n'y a aucune raison d'obliger à mettre des notes, à faire des bibliographies, à poser des références. Aucune raison de ne pas choisir la libre réflexion sur le travail des autres. Il suffit de bien marquer, et clairement, quel rapport on établit entre son travail et le travail des autres. Le genre de travail que j'évoquais, c'est avant tout une expérience - une expérience pour penser l'histoire de ce que nous sommes. Une expérience beaucoup plus qu'un système. Pas de recette, guère de méthode générale. Mais des règles techniques : de documentation, de recherche, de vérification. Une éthique aussi, car je crois qu'en ce domaine, entre technique et éthique, il n'y a pas beaucoup de différences. D'autant moins peut-être que les procédures sont moins codifiées. Et le principal de cette éthique, c'est avant tout de respecter ces règles techniques et de faire connaître celles qu’on a utilisées. »

Michel Foucault (1926-1984), « À propos des faiseurs », Libération, 21 janvier 1983, entretien avec Didier Éribon.

 

 

 

BOUVERESSE : « Pour n’avoir pas vu le goulag là où il crevait les yeux de tout le monde, un certain nombre d’intellectuels se croient obligés depuis quelque temps de le détecter partout où il n’est pas, en particulier dans l’exercice normal du droit de critique, qui devrait constituer justement, en matière intellectuelle, la plus fondamentale des libertés. »

Jacques Bouveresse (né en 1940), Le Philosophe chez les autophages, II, Paris : Minuit, 1984.

 

 

 

 

 

« Si l’on regarde ce qu’a produit la période durant laquelle on a pensé que la philosophie était de la "lutte de classes dans la théorie" [allusion à Louis Althusser], ou quelque chose de ce genre, il n’y a pas de quoi être fier: cela a produit essentiellement de la pseudo-science, de la mauvaise philosophie, et de la politique imaginaire. »

Jacques Bouveresse, « Entretien avec Christian Delacampagne », Le Monde, 25-26 juin 1995.

 

* * * * *

 

Cette malhonnêteté intellectuelle des marxistes, des staliniens, ce manque de probité, a muté en une police de la parole exercée par la correction (au double sens de rectification et de punition) politique sur les propos dits réactionnaires, antisémites et racistes d'abord, puis dit révisionnistes, puis dit homophobes, puis dits islamophobes, xénophobes ou nationalistes.

 

 

II - Prémonitions et mises en garde (avant Frédéric Nietzsche) :

 

CICÉRON  : « [La République] tombée aux mains d’hommes moins désireux de modifier l’État que de le détruire. »

Cicéron, Des devoirs, II, 1.

 

SÉNÈQUE : « Nous ne vivons pas sous un roi, que chacun dispose de lui-même.[…] Qui suit un autre, il ne suit rien. Il ne trouve rien, voire il ne cherche rien. »

Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius [Ad Lucilium epistulae morales], XXXIII, 4, 10 [pour les deux dernières phrases, c'est la traduction de Montaigne].

 

MONTAIGNE : « Le changement donne seul forme à l’injustice et à la tyrannie. […] amender les défauts particuliers par une confusion universelle et guérir la maladie par la mort […] Toutes grandes mutations ébranlent l'État, et le désordonnent. » MontaigneEssais, III, ix, page 958 de l'édition Villey/PUF/Quadrige.

 

MONTESQUIEU, De l'Esprit des lois

 

 

 

 

PORTALIS :

« Nous appelons esprit révolutionnaire, le désir exalté de sacrifier violemment tous les droits à un but politique, et de ne plus admettre d’autre considération que celle d’un mystérieux et variable intérêt d’État. » Jean-Étienne-Marie Portalis, 1746-1807, emprisonné sous la Terreur, Discours préliminaire sur le projet de Code civil.

Voilà une bonne définition du totalitarisme ; le KGB soviétique, que le quotidien Le Monde appelait Comité d'État pour la Sécurité, était en réalité un Comité pour la Sécurité de l'État [Комитет государственной безопасности].

 

MILL :

« Forcer des populations non préparées à subir le communisme, même si le pouvoir donné par une révolution politique permet une telle tentative, se terminerait par une déconvenue […] L’idée même de conduire toute l’industrie d’un pays en la dirigeant à partir d’un centre unique est évidemment si chimérique, que personne ne s’aventure à proposer une manière de la mettre en œuvre. […] Si l’on peut faire confiance aux apparences, le principe qui anime trop de révolutionnaires est la haine. » John Stuart Mill  (1806-1873), Essays on Economics and Society, Chapters on Socialism, 1879, « The difficulties of Socialism ».

 

HUGO :

« Communisme. Une égalité d’aigles et de moineaux, de colibris et de chauves-souris, qui consisterait à mettre toutes les envergures dans la même cage et toutes les prunelles dans le même crépuscule, je n’en veux pas […] Communisme. Rêve de quelques uns et cauchemar de tous. »

Victor Hugo, Dossier "Idées ça et là", VI, publié par Henri Guillemin (1903-1992) en 1951 dans Pierres.

 

MARX : « Toutes les révolutions ont perfectionné cette machine [le pouvoir gouvernemental] au lieu de la briser. »

Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, VII.

 

Depuis : « Jusqu’à présent, il n’est pas une révolution qui, en fin de compte, n’ait abouti à un renforcement de la mécanique administrative. » (LénineL'État et la révolution, II). Et : « Il n’y a pas de "jusqu’à présent" qui tienne: la petite phrase reste vraie et ce que Lénine écrivait en 1917, il pourrait le récrire encore. », André GideJournal, Feuillets II, Été 1937.

 

SUITE

 

 

 

 

Publié par A. Claude Courouve à 11:04

 

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31 décembre 2016 6 31 /12 /décembre /2016 12:46

 

"Comme Mlle Lambercier avait pour nous l'affection d'une mère, elle en avait aussi l'autorité, et la portait quelquefois jusqu'à nous infliger la punition des enfants quand nous l'avions méritée. Assez longtemps elle s'en tint à la menace, et cette menace d'un châtiment tout nouveau pour moi me semblait très effrayante ; mais après l'exécution, je la trouvai moins terrible à l'épreuve que l'attente ne l'avait été, et ce qu'il y a de plus bizarre est que ce châtiment m'affectionna davantage encore à celle qui me l'avait imposé. Il fallait même toute la vérité de cette affection et toute ma douceur naturelle pour m'empêcher de chercher le retour du même traitement en le méritant ; car j'avais trouvé dans la douleur, dans la honte même, un mélange de sensualité qui m'avait laissé plus de désir que de crainte de l'éprouver derechef par la même main. Il est vrai que, comme il se mêlait sans doute à cela quelque instinct précoce du sexe, le même châtiment reçu de son frère ne m'eût point du tout paru plaisant. Mais, de l'humeur dont il était, cette substitution n'était guère à craindre, et si je m'abstenais de mériter la correction, c'était uniquement de peur de fâcher Mlle Lambercier ; car tel est en moi l'empire de la bienveillance, et même de celle que les sens ont fait naître, qu'elle leur donna toujours la loi dans mon cœur.
Cette récidive, que j'éloignais sans la craindre, arriva sans qu'il y eût de ma faute, c'est-à-dire de ma volonté, et j'en profitai, je puis dire, ensûreté de conscience. Mais cette seconde fois fut aussi la dernière, car Mlle Lambercier, s'étant sans doute aperçue à quelque signe que ce châtiment n'allait pas à son but, déclara qu'elle y renonçait et qu'il la fatiguait trop. Nous avions jusque-là couché dans sa chambre, et même en hiver quelquefois dans son lit. Deux jours après on nous fit coucher dans une autre chambre, et j'eus désormais l'honneur, dont je me serais bien passé, d'être traité par elle en grand garçon.
Qui croirait que ce châtiment d'enfant, reçu à huit ans par la main d'une fille de trente, a décidé de mes goûts, de mes désirs, de mes passions, de moi pour le reste de ma vie, et cela précisément dans le sens contraire à ce qui devait s'ensuivre naturellement ?"

Les Confessions, Livre I;, JJ. Rousseau 

 

 
 
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30 décembre 2016 5 30 /12 /décembre /2016 18:31

"La tentation du Bien est beaucoup plus dangereuse que celle du mal"

http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/12/30/la-tentation-du-bien-est-beaucoup-plus-dangereuse-que-celle-du-mal_5055470_3232.html

 

Pour tous ceux qui n'ont pas le temps de lire mon livre, vous pouvez vous contenter de lire l'entretien de Boris Cyrulnik et Tzvetant Todorov ce soir dans le Monde (comment sortir du manichéisme qui revient en force aujourd'hui?) car ils disent tout comme moi... 

C'est troublant !

 

"Tous les grands criminels de l'histoire ont été animés par le désir de répandre le Bien" 

 

http://next.liberation.fr/livres/2016/11/23/le-bien-une-notion-mise-a-mal_1530457

 

 

 

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23 décembre 2016 5 23 /12 /décembre /2016 12:27

Voici un extrait de mon dialogue avec Marx,en 2014 La philosophie comme un roman, Hermann)

 

LHL : L’ « autodestruction du capitalisme » n’est donc pas un mécanisme exclusivement  économique : vous le déduisez aussi de la souffrance croissante des travailleurs prolétarisés et de la révolte prévisible  de ces travailleurs. Vous annoncez donc une révolution… sans en préciser ni le contexte historique ni l’échéance.  A l’issue de ce grand bouleversement, dont les modalités restent floues, la philosophie aura achevé sa tâche : élever la conscience explicite de l’humanité dans le but de faire enfin  advenir  un  « homme total », c’est-à-dire un homme qui aura  tourné la page de l’aliénation. Pourriez-vous nous expliquer comment vous réinterprétez la notion d’ « aliénation »  en la  détournant son contenu originel, qui était idéaliste ? 

KM : Chez Hegel, l’aliénation est un processus philosophique qui n’a pratiquement rien à voir avec les conditions de vie  des hommes réels. Dans la conception hégélienne, c’est l’esprit qui s’aliène lui-même - il se projette dans ses réalisations  - notamment lorsqu’il est élabore des institutions, produit des œuvres d’art  ou construit des édifices. Il se scinde alors, il   se sépare   de lui-même : étymologiquement,  « aliénation »  désigne le processus par lequel on devient  étranger à soi-même. Au terme de ces extériorisations   successives,  l’esprit reprend cependant possession de lui-même : pour Hegel « aliénation » ne rime pas avec « désolation ».  Ce mouvement  qui découle de la nature de l’esprit est à la fois nécessaire et positif.

LHL : L’aliénation est au contraire, d’après vous,   un  phénomène contingent lié à l’exploitation de l’homme par l’homme,  notamment dans le capitalisme. Pour que l’homme puisse s’accomplir, il doit donc en finir une fois pour toutes  avec  cette aliénation. Ce que vous jugez  est à la fois possible et souhaitable.

KM : L’aliénation est un processus sociologique qui se manifeste  par le fait que les hommes ont édifié des organisations collectives dans lesquelles ils ne se retrouvent plus. Les individus et les collectivités perdent la maîtrise de leur propre existence dans un système  qui est désormais soumis à des lois autonomes. Selon moi, comme vous le savez,  la racine de toutes les formes d’aliénation est l’aliénation économique, mais  la critique de l’économie capitaliste enveloppe aussi une  critique philosophique et morale de la situation subie par l’homme dans un régime capitaliste. 

 LHL : L’aliénation est selon vous  d’abord imputable à la propriété privée des moyens de production, et, en second lieu, à l’anarchie du marché. A ce propos,   j’aurai deux questions. Voici la première : seuls les prolétaires sont-ils aliénés,  ou bien cette dégradation de notre humanité concerne-t-elle la société tout entière ? La seconde question a trait aux institutions et aux croyances religieuses : celles-ci sont-elles  exclusivement déterminées par le système d’exploitation capitaliste ?

KM : La première question tout d’abord : en tant qu’elle est imputable à la propriété privée des instruments de production, l’aliénation se manifeste par le fait que le travail, qui définissait à l’origine  l’essence  de l’homme, perd ces caractéristiques humaines. Dans la mesure où il travaille dans des conditions intolérables,  l’homme  est déshumanisé. Ceci vaut essentiellement pour les prolétaires,  mais,  comme je l’ai expliqué par ailleurs, tous les travailleurs tendent à se « prolétariser » et  par conséquent la  déshumanisation  ne peut que  se généraliser. Au lieu que le travail soit l’expression de l’homme lui-même,  il se voit partout dégradé en un moyen de vivre qui ampute l’homme du meilleur de ses capacités. Les entrepreneurs eux aussi sont aliénés, dans la mesure où l’entrepreneur devient esclave d’un marché imprévisible soumis aux aléas de la concurrence : ce n’est pas parce qu’il exploite ses salariés qu’il est lui-même épanoui dans son travail ni  pleinement humain dans son existence sociale.

LHL : Il me semble pourtant que les progrès de la science et des techniques  devraient  permettre, à terme,  un  adoucissement de la condition des travailleurs. On appelle cela, en général,  le « progrès »… Les machines, par exemple, soulagent les hommes en se substituant à eux pour les tâches les plus ingrates.

KM : Ce n’est pas du tout ce que l’on observe. Je peux vous expliquer pourquoi. La plus grande division du travail détruit la spécialité du travailleur et  substitue au travail qualifié un travail que tout le monde peut faire. Elle accentue de ce fait la concurrence entre les ouvriers. Parallèlement, l’accroissement du travail productif, en forçant les capitalistes industriels à travailler avec des moyens toujours plus étendus et plus performants, ruine les petits industriels et les jette dans le prolétariat. De plus, on peut s’attendre à ce que tous ces phénomènes destructeurs que la libre concurrence fait naître  à l’intérieur d’un pays se reproduisent dans des proportions gigantesques  sur le marché de l’univers.
LHL : C’est effectivement ce que nous promet la généralisation du système capitaliste à la planète tout entière. Vous avez des accents lyriques   lorsque vous évoquez la manière dont la bourgeoisie a tout réduit à des rapports d’argent. Je vous cite : «  Elle a noyé dans les eaux  glacées du calcul égoïste les frissons sacrés de l’exaltation religieuse, de  l’enthousiasme chevaleresque, de la mélancolie sentimentale des petits bourgeois. Elle a dissout la dignité personnelle dans la valeur d’échange et substitué aux innombrables libertés reconnues par lettres patentes et chèrement acquises la seule liberté sans scrupule du commerce. En un mot elle a substitué à l’exploitation que voilaient les illusions religieuses et politiques l’exploitation ouverte, cynique, directe et toute crue.  La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités tenues jusqu’ici pour vénérables et considérées avec une piété mêlée de crainte. Elle a transformé le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, l’homme de science, en salariés à ses  gages 
».

 J’avoue que je trouve votre charge éloquente, mais un tout petit peu excessive.  Il est vrai que  ce passage figure dans un  « Manifeste », c’est-à-dire  un texte de propagande,  n’est-ce pas ?

KM : Un texte militant. Quoi qu’il en soit, je ne désavoue pas ces propos, en tout cas  pas sur le fond.  Même si le style est enflammé et  le  trait  parfois un peu forcé, je veux bien le reconnaître.

LHL : J’en viens donc  à ma seconde question, qui porte  sur  l’aliénation religieuse. Vous affirmez que les illusions religieuses s’expliquent elle aussi  par l’exploitation économique. Moyennant quoi, dans le passage que je viens de citer, vous semblez  nostalgique d’une époque précapitaliste, puisqu’alors la religion  atténuait   en la masquant l’exploitation « ouverte, cynique, directe et toute crue ».

KM : Non, je ne regrette absolument pas cette époque  où la religion conduisait les hommes à supporter leurs conditions avec  fatalisme ! La croyance religieuse n’est pour moi qu’un stupéfiant, et ce type  de médication désamorce toute velléité de révolte ou de révolution.

LHL : Votre magnifique  texte sur l’opium du peuple, restera,  je crois,  dans toutes les mémoires. Me permettez-vous de le citer intégralement ?

KM : Bien entendu,  je vous en prie.

 
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21 décembre 2016 3 21 /12 /décembre /2016 16:39

 

Si la politique n'est rien d'autre qu'un rapport de force, si les lois ne sont qu’une imposture au service des puissants (« Et l’on voit partout le fort armé contre le faible du redoutable pouvoir des lois » Rousseau ), on ne peut que donner raison à  Thrasimaque :

 

« Au fond, la justice n'est pour le dominé que le fait de concourir au bien d'un autre. Celui qui respecte ses contrats et s’acquitte de ses  contributions n'est que le dindon de la farce.

 Lorsque Socrate  demande à Thrasimaque (République, 1)  si  la justice est un vice  à ses yeux, il choisit donc plutôt de la définir comme une noble naïveté, alors que agir injustement relève de la prudence, de la sagesse et de la vertu»

 

 

 

Éloges de l’injustice, Céline Spector, p. 48.

 
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17 décembre 2016 6 17 /12 /décembre /2016 17:15
POURQUOI JE NE SUIS PAS RELATIVISTE

D'une part je ne pense pas que l'homme soit  la mesure de toute chose, car je crois, comme Leo Strauss, au droit naturel  (c'est un axiome) :

 

« Toutes les sociétés ont leur idéal, les sociétés cannibales pas moins que les sociétés policées. Si les principes tirent une justification suffisante du fait qu’ils sont reçus dans une société, les principes du cannibale sont aussi défendables et aussi sains que ceux de l’homme policé. De ce point de vue, les premiers ne peuvent être rejetés comme mauvais purement et simplement. Et puisque tout le monde est d’accord pour reconnaître que l’idéal de notre société est changeant, seule une triste et morne habitude nous empêcherait d’accepter en toute tranquillité une évolution vers l’état cannibale. S’il n’y a pas d’étalon plus élevé que l’idéal de notre société, nous sommes parfaitement incapables de prendre devant lui le recul nécessaire au jugement critique. Mais le simple fait que nous puissions nous demander ce que vaut l’idéal de notre société montre qu’il y a dans l’homme quelque chose qui n’est point totalement asservi à sa société et par conséquent que nous sommes capables, et par là obligés, de rechercher un étalon qui nous permette de juger de l’idéal de notre société comme de tout autre. Cet étalon ne peut être trouvé dans les besoins des différentes sociétés, car elles ont, ainsi que leurs composants, de nombreux besoins qui s’opposent les uns aux autres : la question de la priorité se pose aussitôt. Cette question ne peut être tranchée de façon rationnelle si nous ne disposons pas d’un étalon qui nous permette de distinguer entre besoins véritables et besoins imaginaires et de connaître la hiérarchie des différentes sortes de besoins véritables. Le problème soulevé par le conflit des besoins sociaux ne peut être résolu si nous n’avons pas connaissance du droit naturel ».

 

Léo Strauss, Droit naturel et histoire (1953), trad. par M. Nathan et E. de Dampierre, Éditions Flammarion, 1986, p. 14. 

 

Ensuite, je crois, comme le Don Juan de Molière, que deux et deux font quatre :

 

http://www.liberation.fr/debats/2016/12/11/post-verite-pourquoi-les-menteurs-prennent-le-pouvoir_1534554

 Enfin,  mon bouquin comporte un chapitre consacré à la réfutation du relativisme (ce qui est en fait le propos de tout le livre..)

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16 décembre 2016 5 16 /12 /décembre /2016 18:35
Sur le bien et le mal, suite...

Demain discussion avec Raphaël Enthoven sur Europe 1, .. Sinon pour tous ceux qui sont en possession du livre j'en parle volontiers avec vous ici....

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16 décembre 2016 5 16 /12 /décembre /2016 16:34
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13 décembre 2016 2 13 /12 /décembre /2016 14:10

« Après plusieurs consultations faites sur les moyens de rappeler la Vérité dans le Monde,  d’où les hommes l’ avaient chassée, pour mettre le mensonge à sa place, il fut délibéré de la détremper avec force sucre, pour lui ôter son amertume ; et puis de la saupoudrer de beaucoup d’ambre, pour tempérer l’odeur forte et désagréable qu’elle rendait. Après quoi on donnerait à boire aux hommes dans une tasse d’or, et non dans un verre, de peur qu’ils ne la vissent au travers ; en disant, que c’était un breuvage exquis, apporté de bien loin, et plus précieux que le Chocolat, le Café et le Sorbet […] L’on commença par les Princes, afin qu’à leur exemple, tout le monde en voulût boire : mais comme ils ont l’odorat très fin, ils sentirent d’une lieue l’amertume de cette boisson, et commencèrent d’avoir mal au cœur, et de s’efforcer à vomir…»

Balthazar Gracian, chapitre 3 Criticon  (1651)

 
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9 décembre 2016 5 09 /12 /décembre /2016 12:43
Avions-nous oublié le mal?

A lire ce matin dans Libé, ITV de Céline Spector: 

"La cruauté est devenue un angle mort de la pensée" 

 Une tendance de la philosophie dominante nous laisse "démunis au moment daffronter le mal radical" 

http://www.liberation.fr/debats/2016/12/08/celine-spector-le-mal-ce-n-est-pas-qu-un-calcul_1533939

 

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