« Même épuré, même classique, l'art est violent. Même lorsqu'il parle d'amour, l'art dénonce
l'amour. Il dévoile le cosmique, le métaphysique, dans la vie, qui est lutte entre les forces du bien et du mal. En cela, l'art est une Apocalypse, qui consiste à dire aux mortels : repentez-vous ! Regardez-vous, et faites pénitence, car la fin du monde est proche ! L'artiste en lutte contre le mal dit : Et s' il n' en reste qu'un je serai celui-là. Il est le prophète. Il n'est pas l'encensoir, le tapis rouge du monarque ; il ne transcrit ni n'écoute ses paroles de sage. Ni fidèle ni nostalgique, il n'est pas ému : il va cracher sur les tombes.
Comme dit Camus, l'art est ce mouvement « qui exalte et nie en même temps ». Par le même trait de plume, l'artiste peint la société dans sa misère et dans son espoir, l'enfer et le paradis, la terre et les cieux. Et l'homme révolté n'est pas celui qui souffre de ne pas posséder assez le monde : il est celui qui refuse le monde tel qu'il est. L'art n'est pas une drogue, un paradis artificiel qui permet de s'évader d'ici bas pour habiter un univers concurrent : pugnace, il est face au monde, ni au-dessus, ni en dessous, mais contre lui.
L'artiste n'est pas l'hagiographe (1) « l'empoisonneur public ». L'endroit dans lequel il se meut est plein de soufre, de bruit et de fureur, en plein, coeur des ténèbres. Ceux qui par chance ou par malheur tombent sur son œuvre s'enfuient ou le ferment. Ils oublient. Ou alors ils continuent, et ils se perdent. Le monde, par l'art, n'en est plus le même, car l'art touche les choses archaïques, et les fait disparaître pour, d'un coup de plume, les faire renaître à elles-mêmes, différentes. L'artiste est celui qui ne change rien, mais qui fait savoir. Il est celui qui suggère ; qui prédit ; qui interprète et commente. Par-delà la morale, bien plus loin que la science, vanité de la raison qui, par son extravagance suprême, ignore son ignorance, il est une raison plus profonde qui raisonne dans les coulisses, à l'insu de tous et qui pourtant gouverne le monde : c'est la force des ténèbres » ».*
Eliette Abecassis, (Petite métaphysique du meurtre,1998)
Hagiographe : à l’origine celui qui rédige la vie des saints.