Le labeur, l’œuvrer et l’action
Tout d’abord, le travail (le labeur) n’est pas la seule activité qui soit caractéristique de l’homme. En dehors du travail Hannah Arendt cite : l’œuvre, autrement dit l’activité créatrice, artistique, et ce qu’elle appelle l’action. Le travail est selon elle l’activité qui correspond au processus biologique du corps humain, activité par laquelle il se rapproche de l’animal. À l’opposé l’œuvre est l’activité qui correspond à - dit-elle - « la non naturalité » de l’existence humaine autrement dit l’activité par laquelle il se différencie le plus de l’univers nature du monde animal notamment.
L’action est la condition de toute vie politique c’est l’activité qui « correspond à la condition humaine de la pluralité » c’est-à-dire qui permet aux hommes de vivre ensemble tout en étant différents les uns des autres et acceptant cette différence. Le monde moderne a eu tendance à remplacer l’artisanat par le travail : le résultat est que les objets du monde moderne sont devenus des produits du travail dont le destin est d’être consommés par opposition aux produits d’une œuvre destinée à durer.
Quant à l’activité noble par excellence, l’action politique, son image ne cesse de se dégrader dans le monde. Pour Hannah Arendt, Aristote, ce fut pourtant cette aptitude à constituer un monde à la fois pluriel et commun qui caractérise l’homme et non pas le travail. Pour elle contrairement à Marx, il n’y a pas de différence fondamentale entre la construction et le travail industriel par exemple.
On notera que Alain défend la même thèse quoique avec des arguments différents : le domaine du travail et celui de la répétition indéfinie du même. Alain oppose des « ruines vénérables » à des déchets industriels par exemple.
Le travail aliéné
D’autre part, le travail n’est pas toujours gratifiant ni épanouissant ni émancipateur ni humanisant.
L’homme se réalise dans son travail dans la mesure où la nature devient son œuvre et sa réalité nous dit Marx. En ce sens, il s’objective : c’est l’aliénation au sens de Hegel, c’est-à-dire dans son sens positif. L’homme se réalise par le travail ? Sauf que dans le travail aliéné - ce qui était quand même le cas le plus courant au 19 siècle, quand Marx le dénonce - , l’homme est privé de sa vie essentielle, de sa vie générique. On a donc chez Marx cette position paradoxale : le travail est l’essence de l’homme, mais, par le travail, l’homme se départit de son essence.
C’est pourquoi dans le même ordre d’idées, dans la filiation même des thèses marxistes, on peut considérer (Paul Lafargue) qu’il n’est pas raisonnable que l’homme cherche l’accomplissement de soi dans le seul travail. Aujourd’hui des auteurs comme André Gorz et Dominique Meda affirment qu’il est grand temps de désenchanter le travail et de relativiser sa valeur.