L'article de Jean Clair paru ce mois-ci dans Causeur arrive à point nommé!
En voici quelques extraits:
François Miclo:
« Quel est cet hiver de la culture que vous prophétisez ?
«[ …]La prolifération fébrile des « biens culturels » va de pair avec la longue agonie de la culture qui se dépouille et ressemble à une branche morte recouverte par le manteau de neige grisâtre de la laideur, de la technique et de la marchandisation ».
[…]
« Notre époque vit dans la haine du beau et dans la délectation de l’avilissement »
[…]
« Il n'y a plus ni tenue ni retenue. Cet art mutant correspond à l'état infantile décrit par Freud, où le nourrisson tout-puissant ne produit jamais que sa propre déjection pour l'offrir à sa mère. C'est l'incontinence du moi: « je pisse donc je pense! » Retour au primitif, dans le registre du répugnant en prime. C'est la négation même de l'art, puisque celui-ci naît précisément de la sublimation du réel, transformant jusqu'aux éléments naturels comme le fumier ou la terre en matériaux précieux, pigments, ocres, huiles, vernis qui, soumis à des canons esthétiques, permettent de représenter un univers transcendant du Bien et du Beau ».
[…]
« Le musée-patrimoine devient le musée-marché. Quant aux oeuvres, louées moyennant finance, et non plus prêtées, elles deviennent de vulgaires produits utilisés pour la fabrication de ces autres produits que sont les expositions thématiques dites « de prestige », surtout quand elles sont organisées à l'étranger avec le concours d'une multinationale du divertissement. Dans ce monde où la culture a été bannie, la valeur esthétique est détrônée par la valeur marchande et le raffinement par le culte de la laideur, « dérangeante » de préférence ».
[…]
« Le visiteur de musée est une sorte de pèlerin moderne. Ses pas, comme ceux des pèlerins à la fin du Moyen Âge, sont guidés par l'espoir de trouver un salut et un sens non plus dans les saints, le Christ ou la Vierge, mais dans une supposée jouissance esthétique. Cet espoir s'achève sur une désillusion et un désarroi communs. La solitude de l'homme moderne le pousse à aller en troupeau dans les musées, comme si se rassembler dans un lieu clos pour regarder des oeuvres sans les voir allait recréer des liens qui n'existent plus ».
Jean Clair La nuit des musées Causeur Avril 2011