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19 janvier 2009 1 19 /01 /janvier /2009 21:38

Introduction aux Pensées sur la religion de Pascal :

L’Apologétique contre la philosophie.

 

"L’idée « d’apologétique contre la philosophie » peut surprendre, car le statut de Pascal en tant que philosophe est communément perçu comme une évidence. Cependant, la réalité est bien plus complexe qu’elle n’y paraît.

            La vie de Pascal (1623-1662) a été courte et très remplie. Il ne s’est pas seulement intéressé à la religion, il a également été un brillant scientifique très admiré dés son époque par les plus grands (Descartes, Leibniz).  Cependant, il n’y a pas consacré beaucoup de temps car, comme le pensait Descartes, il ne s’agissait selon lui que d’un entraînement vers « un usage spirituel et religieux».            Il s’est converti deux fois (1646 et en 1653), pourtant cela ne signifie pas, comme on le croit souvent, qu’il y eut une profonde rupture entre une vie mondaine et scientifique dans la première partie de sa vie, puis une vie religieuse dans la deuxième partie de sa vie. Il a continué ses recherches physiques et mathématiques et a poursuivi des activités mondaines après chacune de ses conversions.                                                                                                                                                                                Le statut de son œuvre est également complexe, car il n’a pas laissé ou publié d’écrits ou d’essais réellement aboutis. Les Pensées elles-mêmes ne sont qu’un ensemble de brouillons, de notes abrégées, de citations répertoriées selon un ordre choisi par l’éditeur.                                    Pascal avait une personnalité combattive ; il a défendu plusieurs causes diverses. il  souhaitait convaincre de la réalité de la nouvelle physique tout comme défendre Antoine Arnault (co-auteur de la Logique de Port-Royal) condamné par la Sorbonne. Mais son principal combat est celui pour le christianisme. Le premier combat qu’il faut alors mener contre la concupiscence se fait par la conversion. Le deuxième combat doit être mené par  l’apologétique pour convaincre les athées ou croyants assez indifférents.

 

L’apologétique d’un converti

Pour Pascal, « se convertir » a un sens différent de celui du langage courant. Cela ne se limite pas du stade de l’incroyance à celui de croyance. Cela peut aussi concerner le passage d’un stade de chrétien sociologique  à une vie structurée par la pensée chrétienne.                                                 

Un véritable chrétien doit selon lui consacrer tous ses efforts à obtenir la grâce. Il doit avoir conscience qu’il n’est rien devant Dieu. Toute sa vie doit être structurée selon les exigences du christianisme : à chacune de ses deux conversions successives, Pascal semble toujours plus soucieux de son salut et d’intégrer davantage  le christianisme.                                                                                  Une fois converti, Pascal cherche également la conversion d’autrui.

Au sens premier, une « apologie » est un discours visant à défendre une personne contre une accusation. Une apologie de la religion va la défendre contre les attaques qui lui ont adressées, dans le but de convertir. Elle va donc se baser non seulement sur une argumentation développée, mais également par des moyens rhétoriques.                                                                                                                    La rhétorique suppose  une adaptation selon l’auditoire : Pascal désire s’adresser aux gens du monde, nobles ou bourgeois, incroyants ou croyants « tièdes », qu’il connaît bien pour les avoir beaucoup fréquentés.                                                                                                                                                              Le projet d’écrire cette apologie prend forme peu à peu, pourtant ce projet ne va pas de soi. En effet, selon Pascal lui-même, la conversion ne dépend pas de l’individu, mais de la volonté de Dieu. Son idée de convertir par l’apologie de la religion semble donc inconséquente. Cependant, on doit considérer qu’elle a pour but de seulement préparer l’individu à recevoir la grâce de Dieu. Elle doit mettre en valeur la religion afin qu’elle soit considérée comme respectable, donner envie de vivre en chrétien.

Comment Pascal aurait-il réalisé ce projet ? Une des questions les plus controversées est celle du plan que Pascal aurait choisi pour écrire son apologie, et donc quel devrait être l’ordre des Pensées.

 

Plan de l’apologie et ordre des « pensées »

            L’ouvrage de Pascal n’étant ni abouti, ni entamé, on ignore jusqu’à ce par quoi il aurait commencé. Les indications ne manquent pourtant pas, glissées dans certaines pensées consacrées au plan et grâce à un classement par liasses de ces pensées par Pascal lui-même. On peut donc esquisser une idée vraisemblable de son mouvement d’ensemble, à défaut d’un plan précis.

            L’apologie devait tout d’abord décrire pourquoi l’Homme est misérable sans Dieu, par la faiblesse de sa raison et la suprématie de son imagination, par un bonheur rendu impossible et une mort certaine. Puis désigner la contradiction dans l’Homme puisqu’il est par ailleurs d’une inexplicable grandeur.  Il pense, désire le bonheur et veut atteindre la vérité.

            Il fallait ensuite expliquer et surmonter cette contradiction.  Pour Pascal, les philosophes ne peuvent parvenir à résoudre cette difficulté car la simple raison est impuissante.               Mais la religion chrétienne le peut, grâce au dogme du pêché originel : l’Homme a failli. Il garde des traces partielles de sa nature première, qui était la perfection. Cette idée apporte l’espoir de la rédemption, d’une grâce possible de Dieu.

            Il reste cependant difficile de confirmer cette structure car « l’ordre de la charité » (du discours amoureux ou de celui qui veut inciter à l’amour de Dieu) n’est pas celui de l’ordre argumentatif de la géométrie (hypothético-déductif). Il s’agit seulement d’un texte polarisé par le sujet de l’être aimé (Dieu).

            Quel sera donc le style argumentatif de Pascal et en quoi se distingue-t-il de la philosophie ?

Apologétique de rupture

            Le genre apologétique existait avant Pascal. Ce genre était peu estimé, car considéré comme en-dessous de la théologie et à objectif propagandiste. La tâche inachevée de Pascal est pourtant une réussite intellectuelle, rhétorique et, en un sens, philosophique.

            On peut parler de deux types d’apologie : l’apologie de continuité et l’apologie de rupture. La première tente de démontrer l’omniprésence implicite de Dieu, par exemple parce que l’Homme aime l’art. Elle vise donc à convaincre que tout Homme est croyant sans le savoir. La conversion ne ferait que rendre cohérente l’existence humaine. Pascal s’oppose totalement à cette thèse.

            Selon lui, la vie humaine n’est absolument rien. Il ne parle pas de cohérence de l’existence humaine pour inciter à la conversion, car celle-ci n’est due qu’à la grâce de Dieu. Cette conversion doit bouleverser la vie humaine et non s’y ajouter : on doit choisir de façon radicale entre l’amour des choses terrestres d’un côté, et l’amour de Dieu de l’autre.

            L’idée de discontinuité est très importante chez Pascal. Selon lui la pensée est de trois ordres : l’ordre de la chair (le plaisir, la gloire), l’ordre de l’esprit (la connaissance) et l’ordre de la charité (l’amour de Dieu). On ne peut en aucun cas passer de l’un à l’autre. La conversion est donc une nouvelle fois soulignée comme étant une rupture.

L’exclusion de la philosophie

            Cela introduit l’idée d’inutilité de la philosophie, qui est incertaine, fragile. Pour les modernes, la philosophie est avant tout un exercice de pensée. Mais pour les Anciens, la philosophie doit amener le sage au bonheur, à la complétude. La philosophie peut alors apparaître comme un moyen de salut possible.                                                                                                                                                         Cette idée horrifie Pascal, car il ne suffit pas de se convertir, il faut opérer la bonne conversion, la conversion chrétienne et non la conversion philosophique. Il doit donc s’atteler à montrer l’échec de la philosophie car selon lui, elle échoue dans ses deux objectifs : connaître l’Homme, et lui apporter le bonheur. La religion chrétienne, elle, en est capable.

                Il va présenter l’histoire de la philosophie comme un éternel combat entre deux conceptions : le stoïcisme, qui voit la grandeur sans voir la misère, et le scepticisme qui voit la misère sans voir la grandeur ; d’un côté Epictète vante la puissance de la volonté humaine et de l’autre Montaigne souligne la folie des Hommes. Chacun d’eux a, selon Pascal décrit avec fidélité ce qu’il a vu, mais n’a eu qu’une vision partielle de la réalité. Cependant une « synthèse » des deux philosophies n’aurait aucun sens. Il faut donc renoncer aux deux à la fois.

            D’autre part, le stoïcisme comme le scepticisme a pour fin de trouver une conduite à suivre dans l’existence, et leurs attitudes orgueilleuse ou égoïste rend impossible la grâce de Dieu. Connaître ces philosophies n’est pourtant pas dangereux à condition de n’en conclure que leur profonde inutilité. Encore une fois, la discontinuité et la volonté de rupture réapparaît : il faut renier de façon radicale la philosophie. Toute  l’apologie de Pascal repose sur l’ambition de démontrer que la religion chrétienne réussit là où la philosophie a failli. Ainsi, la conversion chrétienne serait la seule envisageable. Renoncer à la philosophie pour la foi sous-entend pourtant considérer la raison comme très limitée, et donc se remettre totalement à Dieu.

 

Anthropologie de la Nature déchue

            Montaigne et Epictète avaient raison tous deux : l’Homme est malmené par la contradiction entre sa grandeur et sa misère. Et cela s’explique par le dogme du pêché originel. L’Homme a été crée parfait, mais a désiré se passer de Dieu. Il est donc à présent déchiré entre l’instinct qui lui reste de chercher le bonheur en Dieu, et sa concupiscence qui l’en empêche.

             La corruption de l’Homme est irrémédiable. Cependant, Jésus-Christ a été envoyé pour apporter une rédemption possible ;  étant à la fois Homme et Dieu, il rappelle à l’Homme sa nature première. Il vainc la mort par la résurrection : on doit en conclure que la mort n’est que la punition du pêché originel, donc heureuse. Pour Pascal, le discours chrétien apporte la clé des problèmes de la philosophie : le dogme et les connaissances de l’Homme sur l’Homme se concilient, et on peut espérer le bonheur.

 

Examen philosophique de l’anthropologie de Pascal

            L’argumentation de Pascal se montre extrêmement cohérente : si l’on admet le dogme du pêché originel, tout ce qui tourne autour de l’Homme (la justice, son désir insatiable, l’imagination, etc.) peut être expliqués.

                L’admission d’un tel dogme ne va pas de soi, car elle implique l’hérédité d’une punition : il semble injuste d’être rendu responsable d’une faute commise par nos pères. Par ailleurs, elle dévalorise la raison, qui a été corrompue. Cependant notre condition peut être expliquée par ce dogme. L’Homme sans le pêché originel, et l’idée du pêché originel sont deux thèses inconcevables, mais la seconde est la plus évidente compte tenue de sa puissance explicative. Le déchirement entre la philosophie d’Epictète et celle de Montaigne se justifie. L’énigme de la nature humaine contradictoire (pleine à la fois de grandeur et de misère) se comprend enfin.               Il demeure pourtant un paradoxe. En effet, l’explication qui s’impose ici à la raison est fondée sur l’acceptation entière d’une thèse qui est un mystère.

Impuissance et puissance de la raison

            Pascal n’a fait aucune démonstration lorsqu’il avance la thèse selon laquelle l’idée du pêché originel est moins inconcevable que l’absence du pêché originel. Il en est de même lorsqu’il affirme que l’évidence du christianisme est supérieure ou égale à l’évidence contraire. Le christianisme est selon lui conforme à la raison, et non démontrable par la raison.

            La notion de raison peut prendre trois sens.    La raison est tout d’abord la capacité de démonstrations à condition de disposer de certitudes initiales, comme pour les mathématiques. On peut lui reprocher la fragilité de ses fondements.                Elle est également la capacité de connaissances, au sens métaphysique. Mais c’est à elle que Pascal reproche les débordements que sont les illusions et l’orgueil. Enfin, elle est la capacité de cohérence : on peut discerner ce qui a du sens. Pascal l’oppose à ce qu’il appelle « folie ».

            Il affirme que la religion chrétienne est une folie, mais seulement si l’on en suit les critères des Grecs, qui eux-mêmes étaient excessivement orgueilleux. Ainsi, la religion chrétienne reste cohérente avec elle-même  puisque, admettant qu’elle est une folie, elle refuse d’être démontrée. Sans « preuve », la religion chrétienne ne peut prétendre correspondre au deuxième sens de la notion de raison. Mais sa cohérence est démontrée, et elle relève donc de la troisième notion de raison.     Pascal désire donc dans son apologie montrer la cohérence de la religion chrétienne par le rejet de la conception classique de la raison. Mais montrer une cohérence relève encore du domaine de la raison, et c’est la raison humble, découlant du christianisme, qui va montrer que la raison est limitée et doit parfois s’effacer.

L’argument des deux infinis et l’argument du pari

            Pascal s’est beaucoup appuyé sur le concept d’ « infini », car il s’agit d’une preuve que la raison admet quelque chose qu’elle ne peut pas comprendre.  « Disproportion de l’Homme » est une « pensée » traitant de l’infiniment grand et de l’infiniment petit dans l’univers. Ces notions désignent l’homme comme n’étant qu’un détail entre ces deux infinis. Il ne peut donc connaître de stabilité, il ne peut se repérer ni se définir (dans l’infini il ne peut y avoir un système de référence). Cela sous-entend que L’Homme n’a aucune valeur par lui-même, preuve de l’antihumanisme religieux de Pascal. C’est le Christ qui, par sa venue, offre à l’Homme un centre dans l’histoire et dans l’univers.

            Dans un autre fragment de texte, dit « argument du pari »,  Pascal ne s’intéresse  plus seulement à l’infini en physique et en cosmologie, mais en mathématiques.  Il y est dit que le principe du pari est avantageux si le gain possible est supérieur à la mise.               Si l’on applique cela à l’existence de l’individu, la mise est la vie terrestre : sacrifier une vie de plaisirs contre une chance sur deux d’obtenir la vie éternelle. Il s’agit d’un pari avantageux puisque la mise est finie et qu’il y a une chance sur deux de gagner l’infini.

                Cette thèse a été très critiquée, pour trois principales raisons. Tout d’abord le pari dépend de l’existence même de l’enjeu (l’enjeu étant Dieu et la vie éternelle), ce qui ne devrait pas être le cas dans un pari. Ensuite, la valeur de la vie est nulle si Dieu existe, mais représente l’infini si la mort est le néant : la valeur de la mise dépend donc du résultat du jeu. Enfin, on peut qualifier d’immoral de rabaisser la religion à un simple pari.

Pascal ne cherche pas à démontrer que « parier » sur Dieu est seulement avantageux, et à motiver ainsi la conversion. Mais le lecteur est invité à penser que se convertir au christianisme est raisonnable, puisque cela peut être assimilé à une démonstration mathématique.

Pascal et la philosophie

                Tout nous mène à penser que le rapport de Pascal à la philosophie est, bien que subtil,  réellement ambiguë. En effet, si, comme il le dit, la raison doit se soumettre à la volonté divine, l’apologie ne peut que montrer que le christianisme ne contredit pas la raison. En reprenant la formule attribuée à Aristote, « montrer qu’il ne faut pas philosopher, c’est encore philosopher », on voit que c’est précisément ce que fait Pascal. Donc il montre que la religion fait preuve de plus de raison et « philosophe » mieux que la philosophie, tout en rejetant la philosophie.

Le rôle de la philosophie est de rendre raison. Pascal semble souhaiter substituer la philosophie à la religion. La religion peut rendre raison de toute chose, mais on ne peut rendre raison de la religion. Tout comme la philosophie, elle rend raison, mais elle ne repose pas seulement sur la raison, mais également sur la foi. Cela dégrade la philosophie lorsqu’elle est indépendante de la foi. Les textes de Pascal sont sujets à polémique, et bousculent donc la philosophie. Pascal n’a pas inventé une philosophie de la religion. Les Pensées ne sont pas non plus un texte découlant d’une idée religieuse préconçue. Il s’agit d’une explication religieuse par le moyen de la philosophie. Elle heurte la philosophie en empruntant les moyens propres à la philosophie.

Indépendamment de leur but apologétique, les thèmes abordés par Pascal (le décentrement du monde, la rationalité du pari, la recherche d’un point fixe qui serait centre de l’Univers) restent extrêmement puissants. Ainsi, bien qu’il s’agisse d’un texte écrit pour motiver notre conversion, on peut l’étudier d’un point de vue philosophique".

Exposé réalisé en janvier 2009 Héloïse Darves-Bornoz d'après la présentation de Bernard Sève, collection Profil Hatier.

 

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