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29 août 2017 2 29 /08 /août /2017 09:36
Le droit ne peut faire l'économie de toute référence à  la nature

 

La justice ne peut pas  dépendre exclusivement de conventions

Usbek, le héros des « Lettres persanes », explique ici à son interlocuteur Rhédi que l'idée de justice n'est pas arbitraire, ni même conventionnelle. Elle est donc naturelle. C' est au nom de cette idée de justice universelle que la conscience morale peut m'interdire, dans certaines circonstances, l'obéissance aux lois de la cité :

« La justice est un rapport de convenance, qui se trouve réellement entre deux choses; ce rapport est toujours le même, quelque être qui le considère, soit que ce soit Dieu, soit que ce soit un Ange, ou enfin que ce soit un homme.
Il est vrai que les hommes ne voient pas toujours ces rapports; souvent même, lorsqu'ils les voient, ils s'en éloignent, et leur intérêt est toujours ce qu'ils voient 1e mieux. La Justice élève la voix; mais elle a peine à se faire entendre dans le tumulte des passions.
[...] Quand il n'y aurait pas de Dieu, nous devrions toujours aimer la Justice, c'est-à-dire faire nos efforts pour ressembler à cet Etre dont nous  avons une si belle idée, et qui, s'il existait, serait nécessairement juste. Libres que nous serions du joug de la Religion, nous ne devrions pas l'être de celui de l'Équité.


Voilà, Rhédi, ce qui m'a fait penser que la justice est éternelle et ne dépend point des conventions humaines; et, quand elle en dépendrait, ce serait une vérité terrible, qu'il faudrait se dérober à soi-même.
Nous sommes entourés d'hommes plus forts que nous; ils peuvent nous nuire de mille manières différentes; les trois quarts du temps, ils peuvent le faire impunément. Quel repos pour nous de savoir qu'il y a dans le coeur de tous ces hommes un principe intérieur qui combat en notre faveur  et nous met à couvert de leurs entreprises! ».
 Montesquieu, Lettres persanes (1721), Lettre LXXXIII, Le Livre de poche, 1984, p. 161-163.

 

 

Si le droit n'était que le produit de conventions humaines, tous les systèmes  se vaudraient.. y compris les plus iniques !

"Toutes les sociétés ont leur idéal, les sociétés cannibales pas moins que les sociétés policées. Si les principes tirent une justification suffisante du fait qu’ils sont reçus dans une société, les principes du cannibale sont aussi défendables et aussi sains que ceux de l’homme policé. De ce point de vue, les premiers ne peuvent être rejetés comme vrais purement et simplement. Et puisque tout le monde est d’accord pour reconnaître que l’idéal de notre société est changeant, seule une triste et morne habitude nous empêcherait d’accepter en toute tranquillité une évolution vers l’état cannibale. S’il n’y a pas d’étalon plus élevé que l’idéal de notre société, nous sommes parfaitement incapables de prendre devant lui le recul nécessaire au jugement critique. Mais le simple fait que nous puissions nous demander ce que vaut l’idéal de notre société montre qu’il y a dans l’homme quelque chose qui n’est point totalement asservi à sa société et par conséquent que nous sommes capables, et par là obligés, de rechercher un étalon qui nous permette de juger de l’idéal de notre société comme de tout autre. Cet étalon ne peut être trouvé dans les besoins des différentes sociétés, car elles ont, ainsi que leurs composants, de nombreux besoins qui s’opposent les uns aux autres : la question de la priorité se pose aussitôt. Cette question ne peut être tranchée de façon rationnelle si nous ne disposons pas d’un étalon qui nous permette de distinguer entre besoins véritables et besoins imaginaires et de connaître la hiérarchie des différentes sortes de besoins véritables. Le problème soulevé par le conflit des besoins sociaux ne peut être résolu si nous n’avons pas connaissance du droit naturel.

Léo Strauss, Droit naturel et histoire (1953), trad. par M. Nathan et E. de Dampierre, Éditions Flammarion, 1986, p. 14. 

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commentaires

J
Je suis d'accord avec vous Bernard ,il y a d'abord l"action ,puis l"émotion et les empreintes qu'elle laisse dans la mémoire ,à partir de, et sur laquelle s'exerce la raison .L'Homme devrait être naturellement meilleur qu'il ne l'est depuis qu'il a rompu les liens fondamentaux qui le reliaient originellement à la nature et qui ont introduit en lui la frustration existentielle dont il souffre depuis .C'est cette frustration et la nécessité de la compenser par des substituts artificiels en tout genre que la raison se charge de fabriquer et de justifier ,et que l'on nomme morale .
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B
Ce droit naturel dont nos maîtres ont eu l'intuition a été mis en évidence par les recherches en éthologie montrant que nous ne sommes pas une page blanche à notre naissance:<br /> <br /> "La philosophie occidentale a adopté une vision descendante de la morale en en faisant un produit de la raison cognitive. A mon sens, c’est l’inverse qui est vrai. Nous interagissons et éprouvons de ce fait des émotions : de là naît la posture morale. Le raisonnement moral vient donc a postériori, et la morale se construit du bas vers le haut. Par exemple, si l’on place des gens dans des scanners et qu’on leur demande de résoudre des dilemmes moraux, ils activent d’anciens centres émotionnels, enfouis dans le cerveau. La décision morale puise à une source cérébrale vieille de plusieurs millions d’années."<br /> ……<br /> <br /> "Il s’agit là du sens de l’équité, plus complexe que l’aversion à l’injustice, et qui s’approche du comportement humain. Le sens de l’équité est caractéristique des animaux coopératifs."<br /> (Frans de Waal)<br /> <br /> Il faudrait demander à nos élites politiques de relire leurs classiques, eux qui ne jurent que par le droit qu'ils ont eux-mêmes promulgué, et dont on a encore eu une illustration malheureuse très récemment.<br /> Si cette qualité primordiale est parvenue jusqu'à nous, c'est qu'elle a participé à notre survie, et par les temps qui courent plus nécessaire que jamais.
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