L’art adoucit la barbarie
Eveiller l’âme, renseigner l’homme sur lui-même, le mettre en présence des vrais intérêts de l’esprit, voilà ce qui pourrait être considéré comme le principal bénéfice de l’art. Hegel précise toutefois que l’adoucissement de la barbarie, qui se produit en effet au moyen de l’art, n’en est pas le but ultime. Éveiller l’âme n’est en fin de compte qu’un moyen en vue de son véritable but final, qui n’est autre que la liberté :
« Nous voyons ainsi que l’art agit en remuant, dans leur profondeur, leur richesse et leur variété, tous les sentiments qui s’agitent dans l’âme humaine, et en intégrant dans le champ de notre expérience ce qui se passe dans les régions intimes de cette âme.
[ …]
Ce qui importe c'est que le contenu que nous avons devant nous éveille en nous des sentiments, des penchants, des passions ; mais, que ce contenu nous soit donné à travers la représentation ou que nous le connaissions pour en avoir eu une intuition dans la vie réelle, ce fait nous est tout à fait indifférent sous ce rapport. Nous pouvons, par la représentation, être aussi fortement saisis, secoués, remués que par la perception. Toutes les passions, amour, joie, colère, pitié, angoisse, respect et admiration, sentiment de l’honneur, amour de la gloire, etc. peuvent envahir notre âme sous l’action des représentations que nous recevons de l’art. L’art peut évoquer en nous et faire éprouver à notre âme tous les sentiments, et c’est avec raison qu'on voit dans cet effet la manifestation essentielle du pouvoir et de l'action finale, sinon, comme on le pense souvent, son but final.
[ …]
Il s’agit donc de rechercher ce but essentiel, cette fin en soi de l’art. Divers sont les contenus susceptibles de remuer notre âme, et l’art doit faire entre ces contenus un choix et, pour opérer ce choix, il doit posséder un critère précis, en rapport avec ce qu'il considère comme sa destination véritable.
Cette destination peut être définie d’une façon formelle d’abord, autrement dit d’une façon telle que n’importe quelle œuvre d’art puisse s’en acquitter. L’art aurait notamment pour but l’adoucissement de la barbarie en général, et chez un peuple qui débute seulement dans la vie civilisée cet adoucissement des moeurs constitue en effet le but principal qu’on assigne à l’art ». G.W.F. Hegel, Esthétique, Coll. « Champs », premier volume, tard. S. Jankélévitch, Ed. Flammarion, 1979, pp. 42 et 44-45.