Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité
David Graeber et David Wengraow
Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité
David Graeber et David Wengrow
P. 464
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Sur la place des femmes dans l’histoire (et leur invisibilisation) :
Qu’appelle-t- on « Civilisation"?
« Arrêtons-nous un instant sur le mot « civilisation » ( … )La plupart des gens quand ils parlent des « premières civilisations » ont précisément en tête les sociétés décrites dans ce chapitre et leurs héritières : l'Égypte des pharaons, le Pérou inca, le Mexique aztèque, la Chine des Hans la Rome impériale, la Grèce antique Plus quelques autres caractérisées par la vastitude et le monumentalisme. Toutes étaient des sociétés extrêmement stratifiées dont la cohésion reposait prioritairement sur le pouvoir d'un gouvernement autoritaire, le recours à la violence et la subordination totale des femmes. Derrière cette conception de la civilisation se tapit la notion de sacrifice – le sacrifice de notre liberté élémentaire, mais aussi le sacrifice de sa propre vie au nom d'un objectif toujours inatteignable ( un idéal d'ordre mondial, le
Mandat du ciel, les bénédictions que des dieux jamais rassasiés pourraient nous prodiguer, etc.). Comment s'étonner que dans certains cercles, l'idée même de civilisation soit désormais discréditée ? Il est évident que quelque chose, et même quelque chose de fondamental, est allé de travers ».
(…)
« Civilisation » dérive du latin civilis, un terme qui renvoie aux vertus de sagesse politique et d'entraide qui permettent aux sociétés de s'organiser sur la base de la coalition volontaire. Or ces vertus sont bien mieux représentées par les andins aylluz ou les villages basques qu’à la cour inca ou chez les souverains Shang. Si l'on considère que c'est l'entraide, la coopération sociale, la participation citoyenne, l'hospitalité ou même simplement le souci de l'autre qui font la civilisation, alors son histoire reste presque intégralement à écrire.
(…)
Comme nous n'avons cessé de le montrer au fil de ses pages, des groupes de taille modeste ont fondé aux quatre coins du monde des civilisations au vrai sens du terme, c'est-à-dire des communautés morales étendues.
(…)
C’est à ces civilisations authentiques que l'on doit les principales technologies du textile et de la vannerie, le tour du potier, le travail de la pierre et des perles, la voile et la navigation maritime… La liste est longue.
Sitôt que l'on adopte cette acception beaucoup plus juste du terme, on se rend compte que la civilisation est centrée sur les femmes, leur labeur, leurs préoccupations et leurs innovations.
( Des mathématiques complexes comme celles qui transparaissent dans les tablettes de la Mésopotamie antique pourraient-elles vraiment être sorties prêtes à l'emploi du cerveau d’un scribe ou d’un sculpteur tel Athéna jaillissant de la tête de Zeus?)
« Il est beaucoup plus probable qu'elles soient le fruit d'un savoir accumulé à travers les âges par le biais de pratiques très concrètes, comme l'application de la géométrie des solides et du calcul infinitésimal au tissage ou au travail des perles. Ce qu'on a pris jusqu'à présent pour la « civilisation » n’est peut être que l'appropriation par les hommes - ceux-la cela même qui gravaient leurs revendications dans la pierre – d'un système de connaissances préexistant centré sur les femmes »
Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité
David Graeber et David Wengrow
page 550