Le mariage hétérosexuel est-il la normalité ?
Serge Provost
Professeur de philosophie
« L’hétérosexualité n’a rien de normal, elle est juste courante. »
Dorothy Parker.
Freud, ce « réactionnaire bourgeois viennois typique » du début 20e, a-t-il quelque chose à nous apprendre sur le mariage des homosexuels de notre début 21e ?
Sa théorie, quoiqu’on en pense, nous force à reconsidérer nos catégories usuelles de normalité et d’anormalité. Comme il l’a lui-même noté à maintes reprises, la polysémie du terme « normalité » invite à la réserve. Mieux que quiconque, il a montré que ce concept « piégé » possédait trois sens distincts à ne jamais confondre.
Le premier est d’ordre statistique. Par exemple, si une personne possède 70 ou 140 de quotient intellectuel alors que la moyenne de la population se situe entre 100 et 110, elle passera pour « anormale ». Le second est d’ordre « sanitaire ». Il désigne le fonctionnement adéquat d’une partie d’un tout. Par exemple, si vous passez un examen médical et que le médecin constate que tous les organes de votre corps accomplissent leurs fonctions, il dira que tout fonctionne « normalement ». Le troisième sens, plus problématique, est d’ordre normatif. Il concerne l’obéissance impérative à des normes sociales, morales, religieuses, vestimentaires, etc. Dans cette acception, le normal réfère au socialement acceptable. Or, l’objectif de toute norme, note Freud, est l’atteinte d’une certaine conformité. C’est ici que le bât blesse.
Freud pose une autre question fondamentale : « Mais qu’est-ce qu’une sexualité « normale » ? S’agit-il d’être en règle avec « son » désir ou, au contraire, d’obéir aveuglément aux normes du groupe ? L’interrogation mérite réponse, car ce qui est satisfaisant pour l’individu, en matière sexuelle ne correspond généralement pas à la définition donnée par la majorité. Il écrit : [...] « chacun de nous dépasse soit ici, soit là, dans sa propre vie sexuelle, les frontières étroites de ce qui est normal » […] (Freud, Cinq psychanalyses, P.U.F.1966, p.35.) Le sexuel est le terrain de prédilection de la diversité. Le « normal » de monsieur X ne correspond pas à celui de monsieur Y.
De surcroît, la normalité sociale, trop rigidement définie, pourrait rendre fou tel ou tel sujet si elle ne correspond pas à son mode de satisfaction pulsionnelle. La renonciation individuelle, tout comme la répression sociale, entraîne de lourdes conséquences psychiques. L’institution du mariage, note Freud, a poussé bien des hommes à vivre une double vie faite d’hypocrisie, à prendre maîtresses et fréquenter les maisons closes. Elle a également incité les femmes à naviguer « entre un désir inapaisé, l’infidélité ou la névrose » (Freud, La vie sexuelle, P.U.F. 1969, pp.33-42.) Imaginez un seul instant que vous vivez dans un pays islamique intégriste... Habitué comme vous l’êtes à vivre dans un climat de permissivité, votre équilibre mental n’en serait-il pas sérieusement perturbé ?
Comme on peut le constater, la psychanalyse invite à jeter un second regard sur les jugements trop souvent réducteurs lorsqu’il est question de comparer la sexualité majoritaire (l’hétérosexualité), minoritaire (l’homosexualité) et déviante (les perversions). N’en déplaise aux censeurs qui font de la vie sexuelle une question de morale, constate Freud, les « trois sexualités » se confondent plus souvent qu’on ne le croit, y compris chez les individus dits normaux (Freud, La vie sexuelle, P.U.F.1969, pp.33-42.) Il semblerait même que l’exploration des régions anales ferait désormais partie de l’éventail des pratiques hétérosexuelles… Pour ce qui est de l’exhibitionnisme, du voyeurisme et du sadisme, rappelons seulement que ses formes larvées sont en vente libre dans tous les Clubs Vidéo d’Occident. Et, en un clic de souris, sur Internet. Et sur les pages de vos amis, sur Facebook...