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10 janvier 2015 6 10 /01 /janvier /2015 11:51

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Où commence, où finit le blasphème ? 
voici un passage d'un artcile publié par moi en 2012 :

 

 

 

De manière générale, dans un État laïc, on considère, depuis le Siècle des Lumières, que la liberté de conscience implique la liberté d'expression. Chacun est libre de s'exprimer, y compris sur des sujets religieux. Les laïcs considèrent que la liberté de pensée est absolue ou elle n'est pas.

De plus, critiquer une religion, ou ses dogmes,
ne peut être considéré comme un blasphème : une critique n'est pas une insulte, car on ne peut

« insulter » une idée ni un dogme. Le droit au « blasphème »  est donc déduit du « droit à la libre expression » lui-même  garanti par la loi qui fixe également la forme et les limites de cette critique.

 Enfin, un État pluraliste considère  qu'une parole n'est pas « blasphématoire dans l'absolu », de même que l'idée même de « vérité » ou de Bien et de Mal « absolus » n'ont plus cours. Seules les Églises définissent ce qu'elles jugent blasphématoires, mais leurs sentiments n'ont  pas force de loi.

Est-ce  à dire que toute notion de «blasphème »  est caduque ? Nullement !

2)       La question du blasphème se recentre sur celle de «  sacré ». De même qu'il n'y a pas de société sans « crime », il n'y a pas de société sans sacré. Comme le disait si bien Sade en son temps, il nous faut un Dieu, ne serait-ce que pour le profaner : « Je voudrais qu'un moment tu puisses exister/Pour jouir du plaisir de mieux t'insulter » (Histoire de Juliette). Le sacré, c'est le domaine de tout ce que les hommes doivent tenir pour intouchable, inviolable, qui suscite à la fois crainte et révérence, ou même terreur. Aujourd'hui, pour nous, laïcs, le « sacré » n'est plus le divin (Dieu, une divinité, ou un principe transcendant quel qu'il soit).  Mais le sacré n'est pas éliminé pour autant, tant s’en faut.
L'équivalent de l'ancien « sacré » désormais, par exemple en France, ce sont les droits de l'homme, tels que définis dans la Déclaration de 1789 et dans celle de 1948. Les droits de la personne humaine, droit à la vie mais aussi à la dignité sont jugés « indérogeables », ce qui est le terme juridique qui est l'équivalent du mot « sacré ». Or, la liberté d'expression fait partie de ces droits sacrés.

3)      Limites de la liberté d'expression et nouveaux types de « blasphèmes ». Aujourd'hui, outre le blasphème traditionnel (propos outrageants pour telle ou telle communauté car il heurte ses convictions  religieuses), on voit apparaître toutes sortes de nouveaux interdits. On parlera par exemple  de blasphème antirépublicain  lorsque des  paroles ou gestes insultent les symboles de la république, tels que le drapeau, la Marseillaise ou les représentants de la justice.

 Par ailleurs,  la liberté d'expression est encadrée  par la loi (
Loi de 1881 sur la liberté de la presse : « Tout citoyen peut être amené à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». La provocation aux crimes et délits reste sanctionnée (art. 23) de même que l'apologie de crimes contre  l'humanité ou l'incitation à la haine ou la violence en raison de la religion (art. 24) ou la diffamation contre un groupe religieux. Des éléments »blasphématoires sont interdits dans les publications destinées à la jeunesse.

Certains déplorent même une extension illimitée du domaine du sacré et donc des nouveaux « blasphèmes » ; il serait difficile  aujourd'hui par exemple de publier un livre tel  que Lolita de Nabokov.  L'écrivain Renaud Camus observe  dans son Journal  qu'il serait  audacieux aujourd'hui de représenter un personnage  pédophile ou antisémite,  ou même les deux  à la fois !  (« L'ombre gagne », tel est le titre qu'il donnerait à un tel roman). Élisabeth  Levy  observe pour sa part que « dès qu'on ouvre la bouche, on court le risque d'émettre un jugement qui pourra blesser, énerver,  voire rendre complètement dingue un de ses contemporains, ou plus vraisemblablement, un groupe constitué en minorité  vexée, laquelle pourra à ce titre déployer une hargne légitime à l'encontre du délinquant par la parole »  (« Osez le blasphème », in  Causeur, décembre 2011)

Conclusion : Le « blasphème » existe toujours, mais il a changé sous deux aspects décisifs. D'une part, il n'a plus trait au divin, mais au sacré, qui est  désormais associé aux  seuls « droits humains ». D' autre part, la loi protège non pas la religion mais les croyants. Enfin, les sanctions  sont rares et plutôt modérées, car ces infractions sont des délits, en aucun cas des crimes.

Conclusion
Le blasphème est un concept élastique, disions-nous.  Il est donc impossible de répondre avec précision à la question : «où commence, où finit le blasphème ? ».  L'erreur serait toutefois de croire que son périmètre coïncide  tout simplement avec celui du divin, ou du  même celui du sacré. Car le blasphème se « définit » ou plutôt s'apprécie (car définir signifie « délimiter) en fonction d'un sentiment, notamment d'un courroux, dont les sources et les effets sont impossibles à anticiper et à  circonscrire. Le blasphème est donc une notion floue et variable selon les États, les Églises et les contextes historiques. Néanmoins,   on peut tout de même  remarquer que certaines religions semblent plus  sensibles au blasphème que d'autres. Ce sont celles qui interdisent toute représentation du divin. En revanche, la religion chrétienne, si l'on en croit certains historiens des religions, était plus apte  à la fois à susciter et, paradoxalement, à tolérer,   le blasphème, et même  à ouvrir la voie à   l'athéisme. D'une  part, l'Incarnation, c'est-à-dire l'idée d'un Dieu qui se fait homme, balaie l'ancienne conception du divin (séparé, inaccessible, etc..). Le Christ s'expose en unissant son destin à celui des hommes : si Dieu s'incarne, alors on peut le représenter, le portraiturer, voire le caricaturer. Dans un tel contexte, puisque Dieu s'est donné une forme humaine, tout est envisageable, y compris la négation de son existence. D'autre part, pour le Christ, il faut séparer le politique du religieux (« Mon royaume n'est pas de ce monde
... »). Enfin, dans l'horizon juif et chrétien, l'obéissance n'est pas l'alpha et l'oméga de la foi. Par exemple dans la Genèse, on voit Abraham négocier en quelque sorte avec Dieu  (dans l'épisode de Sodome) tandis que Job remet en question, et même s'indigne de  ses décrets. Le rapport au sacré, et donc au blasphème, n'est  pas exactement le même dans toutes les religions.

      http://lewebpedagogique.com/blog/ou-commence-ou-finit-le-blaspheme/

 

 

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