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26 novembre 2006 7 26 /11 /novembre /2006 15:32

Lévi-Strauss évoque ici les réactions d'hostilité qui accompagnent le plus souvent la découverte de l'autre - ici de l'autre culture:


 

 

Le nouveau monde de Terrence Malick

 

"L'attitude la plus ancienne,et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n'est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc.., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l'Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or, derrière ces épithètes se dissimule un même jugement: il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l'inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain; et sauvage, qui veut dire «de la forêt », évoque aussi un genre de vie animal par opposition à la culture humaine. [...]

Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les «sauvages» (ou tous ceux qu'on choisit de considérer comme tels) hors de l'humanité, est justement l'attitude la plus marquante et la plus instinctive de ces sauvages mêmes. [...]
L'humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village; à tel point qu'un grand nombre de populations dites primitives se désignent elles-mêmes d'un nom qui signifie les «hommes » (ou parfois - dirons-nous avec plus de discrétion? - les « bons », les « excellents » , les « complets »), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus ou même de la nature humaine, mais qu'ils sont tout au plus composés de «mauvais», de « méchants », de « singes de terre » ou « d'oeufs de pou ». On va souvent jusqu'à priver l'étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une « apparition». Ainsi se réalisent de curieuses situations où deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique. Dans les Grandes Antilles, quelques années après la découverte de l'Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d'enquête pour rechercher si les indigènes avaient ou non une âme, ces derniers s'employaient à immerger des Blancs prisonniers, afin de vérifier, par une surveillance prolongée, si leur cadavre était ou non sujet à la putréfaction. [...]

En refusant l'humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie".
Claude Lévi-Strauss,  Race et histoire, Éd. Denoël-Gonthier, coll. Médiations, 1968, pp. 19-22.

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(image du Nouveau Monde de Terrence Malick)

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commentaires

G
Mon commentaire porte sur le sens de cette célèbre et vertigineuse formule de Levi-Strauss : " le barbare c'est d'abord celui qui croit en la barbarie." Elle est brillante, elle est d'une grande difficulté pourtant. Elle signifie bien en un sens que le barbare c'est toujours moi, qui voit les autres comme des barbares. C'est celui qui dit qui l'est. Et cela se comprend parce que l'ethnocentrisme est une illusion analogue au géocentrisme en astronomie : l'autre est toujours vu comme en dehors de la civilisation, dont je suis le seul centre. L'ethnocentrisme est donc l'ombre portée de la civilisation, comme sa faute originelle. Et ce qui lui permet en même temps de s'assurer de sa valeur. C'est son mythe fondateur. <br /> Pour sortir de l'illusion, il faut se décentrer. Montaigne, que l'on rapproche souvent de Levi-Strauss. nous enseigne comment on peut le faire. Mais ce décentrement est la pointe même d'une haute civilisation, capable de se comprendre elle-même grâce au miroir de l'autre, comme seul l'esprit est capable de le faire lorsque je me regarde dans un miroir. <br /> J'en viens à ma remarque : il me semble nécessaire de voir dans cette opération un point de divergence entre Montaigne et Levi-Strauss. Ce que Montaigne nomme nature, dont la sauvagerie serait proche, ce n'est pas un état de fait, un degré zéro de la civilisation, comme on le lui a reproché. C'est une norme : la seule norme universelle que puisse reconnaître un philosophe sceptique. C'est la norme de notre existence sensible : les cannibales en effet tuent leur ennemi avant de manger ; en cela ils sont plus "civilisés" que nous, car étant resté plus proche de leur nature sensible, ils ne se soucient pas d'infliger des souffrances inutiles à ceux qu'ils ont défaits, souffrances infligées au nom d'une raison qui se croit maîtresse de l'univers, et qui n'est pourtant même pas maîtresse d'elle-même.
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L
merci !
J
Très très intéressant tout cela !
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L
Merci (pour lui)
T
vous êtes tellement méprisante! C'est fou!
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L
Où ça? Quand ça? Qu'est-ce que j'ai fait?<br /> Regardez les autres commentaires.. C'est la première que l'on me dit cela sur ce blog..
H
est-ce que quelqu'un pourait s'il vous plait reformuler pour moi:<br /> "le barbare c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie"<br /> avec des mots plus simple<br /> merci d'avance
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L
??? c'est moi qui ne suis pas respectueuse?
O
je suis d'accord avec lui, la façon dont vous répondez aux gens n'est pas vraiment très respectueuse...
H
d'accord merci beaucoup
L
Hugo, les mots sont simples ! <br /> C'est comme à la récréé: "c'est celui qui le dit qui l'est" <br /> Celui qui traite l'autre de barbare montre par là même qu'il n'est pas très... intelligent, civilisé ou cultivé... comme vous voudrez..
S
<br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> ayant moi-même des diffultés à apréhender ce texte, je me permet de vous poser quelques questions : dans cet extrait, Lévi-Strauss utilise-t-il deux études de deux cultures différentes<br /> (occidentale, proche du lecteur, et celle désignée comme "sauvage") afin d'établir un parallélisme entre les deux et ainsi de convaincre le lecteur de sa thèse, c'est-à-dire : la façon dont<br /> chaque être humain rejette ce qui lui est différent lui est inhérent, mais la seule barbarie qui existe vient de celui qui y croit ? Si je ne suis pas très claire : est-ce à cette fin ou pour une<br /> tout autre raison ? De plus, la phrase commencant par "Cette attitude ne me semble pas très claire : est-ce l'énoncé de sa thèse ? <br /> <br /> <br /> Merci de votre aide :)<br />
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L
<br /> <br /> ce n'est pas très clair vos questions..<br /> <br /> <br />  Levi-strauss nous dit tout simplement que le plus sauvage n'est pas celui qu''on croit...<br />  L'attitude qui est primitive, grossière, c'est celle qui consiste à penser que l'Autre est un sauvage.... en même temps c'est une attitude quasi universelle...<br /> <br /> <br />  Ce qui est  regrettable  ce n'est pas l'altérité, la "barbarie" supposée de 'lautre, évidemment, mais l'ethnocentrisme.<br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> ce que je veux savoir c'est qu’elle est la thèse et qu’elle est l'antithèse de ce texte<br />
Répondre
L
<br /> <br /> Théo vous  êtes désespérant! Dans un texte il y a UNE thèse. Pas une thèse ET une antithèse!<br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> Je cherche l'anti-these du texte svp<br />
Répondre
L
<br /> <br /> ????<br /> <br /> <br /> bizarre comme question!<br /> <br /> <br />  La thèse de Levi-Strauss est une anti-thèse, c'est à dire une réfutation.. La bonne question serait: quelle est la thèse -la position, l'attitude -  que Levi-Strauss récuse.. et réfute<br /> par son argumentation...<br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> bonjour ,<br /> <br /> <br /> je cherche de l'aide svp<br /> <br /> <br /> D'apres le texte , des hommes ont considéré que certains peuples n'étaient pas civilisés . Quelles en furent les conséquences ?<br />
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L
<br /> <br /> C'est la question posée par votre prof!!! Jene vais pas faire votre devoir à votre place! <br /> <br /> <br />  Que pensez-vous du fait que certains considèrent que les autres peuples sont des barbares? C'est bien comme attitude?  A votre avis?<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> qu'est-ce qui montre dans le texte que les espagnols et kes indigénes font preuve de la meme barbarie ? quelle aurais-été l'attitude de l'homme vraiment civilisé ?<br />
Répondre
L
<br /> <br /> Abdelnour, soignez votre expression!<br /> <br /> <br />  Il me semble que les esapgnols sont plus barbares encore: prenez la peine de lire le texte!<br /> <br /> <br />  L'homme vraiment civilisé selon Levi-Strauss est curieux et admiratif de ce qui lui est étranger, comme Montaigne par exempele évoquant les "cannibales"<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Comment appelleriez-vous cette attitude vis-à-vis de la diversité des cultures, dont Lévi-Strauss dit qu'elle est à la fois très ancienne<br /> et naïve ?<br />
Répondre
L
<br /> <br /> c'est la barbarie<br /> <br /> <br /> <br />