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30 octobre 2006 1 30 /10 /octobre /2006 19:02


 Voici un fragment  de l'article de Pierre Hassner lu dans le dernier bulletin de Amnesty International (Novembre 2006)


"Lutter contre le terrorisme pose des problèmes et des dilemmes moraux et juridiques extrêmement graves mais relativement simples. Le terrorisme est par définition une atteinte au droit en général et aux droits de l'Homme en particulier. Le combattre est indispensable et légitime mais risque d'encourager des atteintes au droit et de faire passer le souci des droits de humains au second plan. Le problème des rapports entre devoir d'ingérence et démocratie est bien plus ambigu et complexe. Existe-t-il, comme certains l'affirment, un droit
émergent à la démocratie ? Sa promotion est-elle en train de devenir une norme acceptée par tous, même ceux qui refusent les actions américaines entreprises en son nom ? Ou faut-il préférer la formulation de Gareth Ewans et Mohammed Sahnoun, selon laquelle l'État a la responsabilité de protéger ses citoyens mais, s'il ne s'acquitte pas de cette tâche, ou, à plus forte raison, si c'est lui qui menace ses citoyens, la responsabilité de les protéger, y compris contre lui, passe à la communauté internationale ?
Faut-il donc-partir des droits de l'individu plutôt que de ceux de la communauté? Y a-t-il une définition universelle de la démocratie, ou celle que  l''Occident veut promouvoir est-elle connotée socialement ou culturellement, comme l'affirment les intégristes marxistes ou musulmans, ou les tenants des « valeurs asiatiques »  L'émancipation et l'égalité des femmes est-elle une exigence de nature politique, culturelle ou religieuse ? On peut en discuter indéfiniment.

Quelques règles provisoires
Quelques règles provisoires semblent cependant émerger. D'une part, ne pas imposer les institutions démocratiques aux peuples qui n'en veulent pas, mais soutenir ceux - dissidents ou électeurs comme en Ukraine - qui en sont privés et qui la réclament. D'autre part, éviter autant que possible de heurter les sentiments d'identité ou de fierté nationale, culturelle ou religieuse, et favoriser les synthèses ou les compromis ad hoc entre les principes démocratiques et les traditions des peuples concernés. Surtout, donner le plus tôt possible la parole - et les responsabilités - à ces derniers. C'est « l'intégration respectueuse » ou « l'intervention modeste » dont parle Sandrine Tolloti  dans Alternatives Internationales.On aura compris que, quant aux moyens, on ne peut que préférer le bilan de l'Union européenne auprès de ses voisins (ingérence par le soft power, par la conditionnalité de l'aide et de l'adhésion, par l'aide aux ébauches d'institutions et de forces démocratiques) à celui des États-Unis en Irak; ceux-ci démon-trent tous les jours que la force, même supérieure, ne suffit pas à instaurer la paix et la démocratie. Certes, les circonstances sont différentes: l' Europe ne peut, elle non plus, renoncer à l'emploi de la force, devant une menace imminente ou un génocide ; les États-Unis se sont davantage investis pour encourager les oppositions démocratiques dans bien des pays. Mais la conception européenne de l'utilisation de la force la réserve aux cas extrêmes et l'insère dans un ensemble politique et économique. Inversement, la promotion de la démocratie par les États-Unis risque, dans le « grand Moyen-Orient » plus qu'ailleurs, d'être contreproductive par simplisme, arrogance ou partialité, et surtout par suite de la méfiance et de la rancune qu'inspirent la puissance du promoteur et sa politique passée. D'où la question essentielle : qui?   Qui décidera, qui agira, qui jugera, qui gèrera ? L'important est de voir que, dans un système international mixte et fluctuant, ce ne sont pas forcément les mêmes, mais que les rôles des différents acteurs doivent, autant que faire se peut, être complémentaires et coordonnés. L'ingérence ne peut être confiée exclusivement ni à un empire qui se veut bienveillant mais ne reconnaît pas d'autre légitimité que celle qui lui vient de sa Constitution et de ses électeurs ni à un Conseil de sécurité inégalitaire, exposé aux vetos de puissances non démocratiques, ni à une bureaucratie onusienne qui dépend du bonvouloir des États. L'ambition des réformistes ne peut être la fusion de la justice et de la force ; elle ne peut être que de promouvoir des pratiques et des normes qui réduiront leur écart en encourageant dans l'ordre politique comme dans l'ordre juridique la délibération et le dialogue, la responsabilité et la réciprocité".
Pierre Hassner
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