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13 décembre 2008 6 13 /12 /décembre /2008 15:39

Contrairement aux idées reçues, Adam Smith n'est pas partisan d'un  Etat faible, minimaliste. Il est favorable à un Etat auto-limité:

"Ce qu'affirme ici Adam Smith, c'est l'autonomie de la vie économique : en deçà d'une large marge de tolérance, le progrès politique - du moins au niveau des instances les plus élevées - n'est ni une condition nécessaire ni un effet probable du développement économique. Selon cette interprétation - très éloignée de celle des partisans du laisser faire ou de l'intervention minimale de l'État, et toujours fort répandue de nos jours parmi les économistes - le politique est le domaine de la « folie des hommes », alors que l'économie ressemble au jardin de Candide, en ce sens qu'on peut y travailler utilement et la faire fructifier, à la seule condition que la « folie » politique n'excède pas certaines limites assez larges et assez souples. Il apparaît que ce que préconise Smith, ce n'est pas tant un Etat qui se bornerait strictement à ses fonctions essentielles qu'un Etat dont la ca çacité de folie se heurterait à quelque limite infranchissable.
En second lieu, Smith est beaucoup moins disposé que Montesquieu et Steuart (1 à se féliciter de l'avènement de la nouvelle ère commerciale et industrielle, parce qu'elle promet d'affranchir le genre humain de maux millénaires comme les abus de pouvoir, les guerres et ainsi de suite. L'ambivalence bien connue de ses sentiments à l'égard du progrès matériel ressort d'ailleurs fort clairement de sa présentation des faits dans l'exposé historique que nous venons de citer.
[...]
De l'homme condamné par la division du travail à « consacrer toute sa vie à l'exécution de quelques opérations simples », il nous dit dans La Richesse des nations : « Quant aux grands intérêts, aux grandes affaires de son pays, il est totalement hors d'état d'en juger, et à moins qu'on n'ait pris quelques peines très particulières pour l'y préparer, il est également inhabile à défendre son pays à la guerre ; l'uniformité de sa vie sédentaire corrompt naturellement et abat son courage et lui fait envisager avec une aversion mêlée d'effroi la vie variée, incertaine et hasardeuse d'un soldat ( ...)
Déjà, dans ses Lectures, Smith avait appliqué le même argument au commerce, dans un passage où il adhère pleinement à la position « républicaine » classique selon laquelle le commerce amollit les âmes par le luxe et la corruption: « Autre effet néfaste du commerce, il énerve le courage du genre humain et tend à étouffer l'esprit martial (...). La durée de sa vie (...) ne permet à l'homme que d'apprendre un seul métier, et ce serait fort désavantageux que de contraindre chacun à s'initier à l'art militaire et à continuer de s'y exercer. Le soin de défendre le pays est donc confié à un groupe déterminé d'hommes qui n'ont rien d'autre à entreprendre, si bien que le courage militaire s'amenuise parmi la grande masse. Dès lors que leurs esprits ne sont plus sollicités que par les arts du luxe, les gens deviennent efféminés et lâches .
Et en résumant cette section de l'ouvrage, Smith revient à la charge

« Tels sont les inconvénients d'un esprit commercial. Les intelligences se rétrécissent, l'élévation d'esprit devient impossible. L'instruction est méprisée ou du moins négligée, et il s'en faut de peu que l'esprit d'héroïsme ne s'éteigne tout à fait. Il importerait hautement de réfléchir aux moyens de remédier à ces défaut".
Ces extraits ne laissent guère de doute sur les raisons qui empêchent Smith de fonder de grandes espérances sur les répercussions morales et politiques du développement économique."



Albert o. Hirschman pp 94-96 , Les passions et les intérêts

1)James Steuart, économiste anglo-saxon , 1712-1780

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commentaires

R
il me semblait que c'était Ricardo qui parlait des avantages relatifs (il reprend alors les idées de Smith en les prolongeant).
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L
<br /> Oui, là je ne saurais vous dire. Mais vous pouvez croire Hirschman sur parole!<br /> <br /> <br />
M
Je suis à la fac, en première année de licence d'anglais et science politique et j'ai l'intention de tenter le concours commun de l'IEP. Je n'ai pas d'exemple précis mais c'était une question que  je me posais, en pensant par exemple au sujet de l'IEP de Grenoble l'année dernière.Oui je veux bien que vous mettiez en ligne vos exemples, ils pourront probablement m'aider.
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R
je dois avouer que plusieurs choses m'ont échapées dans cet article. Tout d'abord le concept de "capacité de folie de l'Etat"? Ca donne une connotation extrémement négative de l'Etat non?Ensuite si Smith était "moins disposé que Montesquieu (...)à se féliciter de l'avènement de la nouvelle ère commerciale" je comprends pas pourquoi il aurait dénfendu la thèse des avantages absolus entre deux nations pour développer le commerce international.
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L
<br /> Il ne défend sûrement pas la thèse des avantages "absolus" du commerce.. mais seulement de ses avantages relatifs!<br /> de même à propos de l'Etat, sa position est ambivalente. On a besoin de l'Etat mais attention l'Etat permet le pire, s'il n'est pas auto-limité.. (voir à ce sujet mon corrigé: "les hommes ont<br /> inventé l'Etat pour ne pas obéir aux hommes")<br /> <br /> <br />
M
Sans rapport avec le sujet de votre article,  j'ai une question de méthode à laquelle vous pourrez probablement me répondre: comment procéder lorqu'on est face à un sujet de dissertation qui est une citation? La dissertation consiste-t-elle à expliquer cette citation ou bien doit-on faire cela en introduction? Dans ce cas, en quoi consiste le développement? Elargir le sujet  à partir de la citation? Discuter la citation? ...Merci
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L
<br /> Oui Maud, vous êtes en terminale ou en prépa?<br /> Quelle est la citation, car cela dépend un peu des citations.<br />  En général je suggère une problématique en intro (principal pb soulevé) puis une explication de ce qu'a voulu dire l'auteur, en deux ou trois points. Puis une aprtie de discussion<br /> critique.<br />  J'ai un ou deux exemple de citations commentées par moi. Vouvez-vous que je les mette en ligne?<br /> <br /> <br />
Z
Le développement économique est à mon sens le pilier de toute société moderne car ses revenus conditionnent le financement de tout le reste : éducation nationale, système de santé, défense nationale etc...Nier ou débiner l'idée de développement économique et de commerce c'est se vouer à l'impuissance pure et simple dans tous les domaines, y compris intellectuel.
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L
<br /> oui Zorba, je suis d'accord...<br /> <br /> <br />