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9 avril 2020 4 09 /04 /avril /2020 10:10

La diversité des cultures contredit-elle l’existence de valeurs universelles ?

 

 

 

 

  On prendra soin  de distinguer le point de vue anthropologique et le point de vue éthico-juridique, car la confusion des deux plans  est l’une des clés  des  opinions   relativistes. Les anthropologues peuvent bien constater que, de fait, aucune règle ne vaut pour toute société, tout en reconnaissant, comme le fit  Montesquieu, que l’existence de la règle en tant que telle  est un fait universel. En d’autres termes les principes fondamentaux de la vie en société sont partout les mêmes (l’interdit de l’inceste, l’obligation de l’échange, l’encadrement de la violence) même si le contenu et l’extension des prescriptions correspondantes varient considérablement suivant les climats et les localités. Mais ce n’est pas parce que les parisiens ne « partagent  pas les mêmes valeurs » suivant qu’ils logent sur la rive gauche ou sur la rive droite de la Seine   que l’on doit en conclure qu’ils forment  deux espèces d’hommes différentes. « Dans la maison de la culture, il y a de nombreux appartements et chacun vit dans le sien  mais cela ne nous empêche pas  de nous inviter à dîner », comme l’écrit joliment le  philosophe Isaiah Berlin.   

(…)

La vérité,   selon le philosophe Karl Jaspers, est  ce qui nous rattache les uns aux autres. Qu’ils soient sophistes, sceptiques, pluralistes, anti-humanistes ou relativistes, les philosophes placent tous  leur argumentation sous le signe d’une même exigence de rigueur, de probité et donc de validité,  ou, osons le terme,  de « vérité ».   Que  l’on soit philosophe  ou pas,  il est de toute manière impossible de s’ adresser  à quelqu’un sans supposer que ce  vis-à-vis peut éventuellement, non seulement vous comprendre, mais aussi  adhérer aux valeurs implicites dont vous vous réclamez.  Il est  également absurde    de  prétendre mettre les hommes en garde contre l’intolérance et l’impérialisme, comme le font certains relativistes,  tout en oubliant  qu’alors on   prône implicitement une éthique qui par définition enveloppe une échelle de normes acceptable  par tout  être intelligent,  sans  préjuger de ses convictions.    Et ce sont d’ailleurs les mêmes philosophes, de Rousseau à Lévi-Strauss en passant par Hume ou  Montesquieu  qui réclament    la plus grande compréhension  à l’égard des différences culturelles  et  la plus grande tolérance  envers  l’altérité, et qui prônent  parallèlement  un idéal de justice  universalisable. Il n’y a donc pour finir pas l’ombre d’une contradiction entre la reconnaissance de la diversité des cultures,  non seulement en tant que  fait,  mais aussi comme  une valeur primordiale,  et l’universalité non pas des « valeurs », en elles-mêmes, car celles-ci sont  conventionnelles et aléatoires,  mais de certaines  normes et principes  éthiques universalisables. En d’autres termes, les hommes devraient pouvoir s’accorder, par delà leurs  croyances religieuses ou philosophiques, sur la nécessité de lutter contre le mal. Car il est vrai -pour tous donc- qu’il y a du mal, c’est-à-dire de l’intolérable.    Mais s’il y a du mal, c’est qu’il y a aussi du bien – certes  très relatif ! – même, si  ce bien,  les uns le nomment « paix » « tolérance » ou « patience »  et  d’autres « royaume des cieux » par exemple. N’est-il pas sensé de supposer que tous   les hommes pourraient  s’entendre sur la nécessité  de régler  leurs  désaccords,   ou même seulement de les exprimer, mais   sans  faire exploser la planète ? Nous devrions pouvoir  nous  retrouver dans cette  idée    de « concorde discordante » dont les dialogues aporétiques de Platon, par exemple, ont  constitué  une illustration éblouissante.  Posons  pour finir, à titre d’épreuve,    le fait que tous les hommes ont le même droit   d’avoir des droits  différenciés,  dont en tout premier lieu celui  d’adhérer, dans les limites du raisonnable,  aux  valeurs  qui sont celles de  leur communauté d’origine.

 

  (Extrait  de Cours particulier de philosophie, Belin,  2007)

 

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