Qu’est-ce que la philosophie ?
Pour le lycéen qui est sur le point d’entrer en terminale, la perspective d’étudier la philosophie suscite des sentiments mitigés. Rien d’étonnant à cela : tout ce qui est inconnu fait peur et tel est le cas de la philosophie pour la plupart des jeunes. D’autre part, la rumeur publique vous a sans doute annoncé que cette matière est redoutable car elle comporterait, en ce qui concerne l’examen final, des résultats aléatoires : peut-être avez-vous-même entendu dire que les profs notent de façon fantaisiste! Or c’est totalement faux ! Les propos que je vais tenir ici n’ont pas pour objectif de vous tranquilliser totalement, mais ils vont au moins vous permettre d’y voir plus clair, et donc d’aborder cette discipline avec confiance et sérénité.
Vous pensez peut-être ignorer en quoi consiste la philosophie, mais vous vous trompez ! Le langage courant utilise largement ce terme dans une acception qui est pertinente même si elle est partielle et trop floue : vous avez souvent entendu les journalistes demander à un homme politique, un chef d’entreprise ou même un entraineur sportif quelle est sa « philosophie », ce qui signifie ici sa vision du monde, ou bien, plus précisément, les grandes orientations de son projet professionnel ou existentiel. Vous connaissez aussi l’expression « soyez philosophe », ce qui signifie : « ne demandez pas l’impossible, essayez de vous réconcilier avec le réel ». Enfin, vous avez sûrement entendu s’exprimer à l’occasion des philosophes connus, tels que Michel Serres ou Slavoj Žižek par exemple. Par conséquent, vous savez déjà, au moins vaguement, en quoi consiste la philosophie : il s’agit d’une forme de réflexion et d’attitude par laquelle chacun d’entre nous se singularise en décidant pour lui-même, et seulement pour lui-même, quel sens il entend donner à son existence, mais aussi au monde environnant tel qu’il le perçoit. Je dis bien « pour lui-même et seulement pour lui-même », car la philosophie se distingue radicalement, de ce point de vue, de toute les religions ou autres sagesses populaires qui sont par nature collectives et, en ce sens, parfois subies plutôt que choisies.
Cette acception de la philosophie est correcte, mais aussi largement insuffisante. Correcte car, nous vous le dirons à longueur de leçons ou d’ouvrages, il appartient à chacun d’élaborer sa propre philosophie et de penser par lui-même. En ce sens, chacun d’entre nous peut accéder à la philosophie, il n’est pas nécessaire pour cela d’avoir « lu tous les livres » ni « d’avoir appris tout ce qui s’enseigne dans les écoles » comme le souligne Descartes. Le sens commun, qui est partagé par tous les hommes, est amplement suffisant pour parvenir à « penser par soi-même », ce qui constitue le but et même une définition possible de l’acte de philosopher. En ce sens, tous les hommes sont, ou bien peuvent devenir un jour, philosophes. Mais si tel est bien le cas, vous demanderez à juste titre pourquoi cette matière fait l’objet d’un enseignement. La réponse est aisée : de même que n’importe quel enfant peut apprécier la musique, ou bien encore danser sans avoir suivi aucun cours, néanmoins les plus grands musiciens ont appris le solfège, de même que les danseurs professionnels ont atteint la maîtrise de leur art en observant une discipline des plus rigoureuses. La philosophie est une manière de réfléchir et un art de vivre qui, comme toutes les activités humaines, s’approfondit par la fréquentation régulière des travaux et des œuvres des penseurs qui nous ont devancés. Descartes exprime cette idée tout simplement en soulignant que, bien que nous ayons tous en nous-mêmes les moyens de raisonner, nous ne possédons pas forcément cette méthode qui pourtant indispensable pour bien conduire notre raison, et en faire le meilleur usage possible. De même Kant nous explique dans un texte fameux (Qu’est-ce que les Lumières ?) que tous les enfants possèdent dès la naissance une intelligence suffisante pour pouvoir un jour (le moment venu) penser par eux-mêmes, mais qu’ils ont néanmoins besoin tout au long de leur enfance de tuteurs. Ce sont les éducateurs (parents et instituteurs) qui les soutiendront et les guideront afin qu’un jour ils parviennent à « marcher droit » (métaphoriquement), c’est-à-dire à « instituer » (faire se tenir debout) leur propre personnalité et à développer leurs propres idées.
Les professeurs de philosophie, mais aussi les œuvres des grands philosophes à la lecture desquelles vos professeurs vont vous introduire, seront pour vous des exemples et des modèles que vous apprendrez à comprendre et à apprécier, non pas pour les imiter ou les reproduire, mais vous en inspirer et vous en imprégner afin de parvenir à mieux penser… par vous-mêmes ! C’est en ce sens que Kant insiste sur le fait que l’on peut apprendre à philosopher, et non pas apprendre la philosophie, comme nous le verrons dans une prochaine leçon (texte de Kant).
Mais tout d’abord je vous parlerai dans les jours qui viennent des origines de la philosophie.