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20 mai 2017 6 20 /05 /mai /2017 09:44
Le retour du philosophe-roi ?
 

L’élection d’Emmanuel Macron a remis au goût du jour une figure que l’on croyait réservée à des époques révolues : celle du «philosophe roi». Ayant suivi des études de philosophie et travaillé avec Paul Ricœur, le nouvel élu suscite une curiosité pour un thème qui remonte à l’Antiquité grecque.

Il faut accorder sa part à ce qui relève du storytelling. Déjà marquée par la jeunesse et le charme, l’image du nouveau président ressort encore embellie d’être associée à la philosophie. Il est rare qu’un seul homme réunisse l’ambition conquérante d’Alcibiade et la sagesse de Socrate.

La fascination des médias français pour le présidentialisme ne peut que s’émerveiller d’une synthèse aussi séduisante. Face à un tel phénomène, la tentation est grande de décerner les bons et les mauvais points. A ceux qui font de la philosophie leur profession, on demande si le nouvel élu est un bon dialecticien, s’il a correctement lu Kant, s’il faut voir dans le sigle En marche un hommage discret à l’école péripatéticienne fondée par Aristote. Mais comme on ne sonde pas les esprits plus facilement que les cœurs, il est difficile de répondre. Mieux vaut alors s’interroger sur le présupposé de la question.

Qu’est-ce que cela change politiquement de savoir si le nouveau président est doué d’agilité conceptuelle ou s’il est un disciple fidèle de «l’herméneutique ricœurienne» ? Pour répondre à cette question, il faut commencer par s’adresser à l’histoire plutôt qu’à la philosophie elle-même. Le moins que l’on puisse dire est que les expériences politiques des philosophes n’ont pas été des succès éclatants.

Platon, qui a forgé le thème du «philosophe roi», a dispensé à plusieurs reprises ses conseils aux tyrans de Syracuse qui se piquaient d’amour de la sagesse. A chaque fois, il a fini par être expulsé de la Cité, manquant même à une reprise de se faire assassiner. L’épisode devait marquer l’histoire de la philosophie au point de ressurgir bien plus tard, et dans des conditions beaucoup plus tragiques. On raconte qu’un ami de Heidegger qui l’a rencontré peu de temps après qu’il avait mis un terme à son engagement officiel en faveur du national-socialisme interpella le philosophe dans ces termes : «Alors, de retour de Syracuse ?»

Bien sûr, les circonstances sont différentes lorsque le rapport entre la philosophie et le pouvoir se noue à l’intérieur d’une démocratie. Mais l’histoire qui vient d’être évoquée nous rappelle qu’un tel nouage n’a rien d’évident.

Le thème du philosophe roi a été introduit par Platon contre la démocratie athénienne. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi : si la philosophie doit régner, c’est parce qu’elle possède un savoir sur la justice qui n’a aucune commune mesure avec l’échange égalitaire des opinions. Que peut bien valoir l’avis du peuple (que Platon compare à un «gros animal» plein de passions irrationnelles) face à la connaissance démonstrative à laquelle accède l’amoureux des Idées ?

De nos jours encore, lorsque l’on dit «philosophe», on suggère «celui qui sait». Les efforts méritoires de la philosophie moderne pour relativiser sa propre prétention à la connaissance absolue n’ont pas suffi à défaire cette association d’idées. Beaucoup pensent, à tort, que l’exercice de la politique suppose des compétences sur l’universel. Le fait que le président d’une démocratie soit philosophe regarde sa personne, pas son statut de président.

La Constitution de la VRépublique accorde suffisamment de privilèges symboliques à l’heureux élu pour que l’on n’y ajoute pas la vertu imaginaire de savoir mieux que les autres ce qu’est le Bien. Evidemment, il est préférable qu’un président lise des livres plutôt que de se contenter de parcourir des notes rédigées par ses conseillers dans un style technocratique. Un peu de philosophie, et beaucoup de littérature, c’est un bon moyen de découvrir qu’il y a d’autres voies pour comprendre le monde que celles empruntées par l’expertise.

Mais ce genre d’apprentissage vaut pour n’importe quel citoyen, pas spécialement pour le premier d’entre eux. Que l’homme Emmanuel Macron soit philosophe ou pas, il aura affaire comme président au conflit entre les opinions sur ce qui est juste, efficace ou préférable. Heureusement, il n’existe ni livre ni savoir susceptibles de mettre un terme à ce conflit.

Cette chronique est assurée en alternance par Sandra Laugier, Michaël Fœssel, Anne Dufourmantelle et Frédéric Worms.

Michaël Foessel Professeur de philosophie à l’Ecole polytechnique.

 

http://www.liberation.fr/debats/2017/05/18/le-retour-du-philosophe-roi_1570519
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commentaires

J
Est-ce que l'habileté dans le maniement des concepts,idées et plus généralement des mots et du langage signifie forcément une capacité à gérer un pays. Cela est incontestablement utile à celui ou celle qui veut faire croire ,qu'il ou elle ,possède cette capacité . Les mots et la paroles ne sont-ils pas utiliser le plus couramment comme substituts à des actes ou actions que l'on sait ne pas être certain de pouvoir réaliser ? Idem pour l'art de recourir aux symboles ,aux postures aux cérémonies et au rituel .Macron a su tirer des leçons des erreurs de ses prédécesseurs afin de proposer au peuple une image différente de la fonction de président . Mais tout cela ne reste que de la communication ,qu'un nouvel emballage ,attendons de voir ce qu'il y a véritablement dans ce beau numéro de séduction .Qu'a notre président comme véritable pouvoir d'action face aux puissances qui dirigent l'économie mondiale ?
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J
Le fait d'avoir étudié la philosophie ne fait pas nécessairement de vous un philosophe .En ce qui me concerne ,être philosophe c'est avant tout une manière de vivre vous permettant l'acquisition d'une certaine connaissance ,consistant à vivre de l'intérieur d'un système socio-culturel , préconçu et artificiel, afin de pouvoir mieux s'en extraire, et ainsi d 'en avoir une vision du dessus de celui-ci . <br /> <br /> Que je sache ,notre nouveau président est un pur produit du système et je ne le vois pas s'extraire de celui-ci , la fonction de président étant beaucoup plus flatteuse pour l'égo ,sans parler des autres avantages et privilèges . Contrairement à ce que pensent certains ,je pense que la philosophie , dans le sens ou je l'entends ; est totalement incompatible avec la politique . Tout cela n'est que récupération par la politique de ce qui devrait rester en dehors de toute idéologie . La philosophie est le produit d'une intelligence fonctionnant naturellement , librement ,sauvagement . Un philosophe est à l'origine un rebelle .et doit le rester .Il ne peut pas entrer en politique car cela demande et exige trop de compromissions .<br /> <br /> Ne confondons pas savoir et connaissance . Le premier est une somme de connaissances acquises volontairement dans de multiples domaines , la seconde est un processus de compréhension; par la confrontation aléatoire avec la réalité génératrice d'émotions .Cette connaissance ne peut être mise sur disque dur .
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B
Le savoir est maintenant sur des disques durs, et la philosophie, école de cohérence, une expertise pour le gérer ainsi que les "conflits entre les opinions sur ce qui est juste, efficace ou préférable".<br /> Les deux "philosophe-roi" (Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon) de la récente campagne électorale ont réuni pratiquement la moitié des suffrages au premier tour.<br /> Avec l'avènement de l'intelligence artificielle, ce statut a de beaux jours devant lui, même si son destin reste d'essence tragique.
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L
Bernard Joly, j'écris un texte là dessus, je le mettrai en ligne dans quelques jours..
A
toujours un plaisir de flâner sur vos pages. au plaisir de revenir. N"hésitez pas à visiter mon blog. lien sur mon pseudo. à bientôt.
Répondre
L
lien sur mon pseudo???