L’élection d’Emmanuel Macron a remis au goût du jour une figure que l’on croyait réservée à des époques révolues : celle du «philosophe roi». Ayant suivi des études de philosophie et travaillé avec Paul Ricœur, le nouvel élu suscite une curiosité pour un thème qui remonte à l’Antiquité grecque.
Il faut accorder sa part à ce qui relève du storytelling. Déjà marquée par la jeunesse et le charme, l’image du nouveau président ressort encore embellie d’être associée à la philosophie. Il est rare qu’un seul homme réunisse l’ambition conquérante d’Alcibiade et la sagesse de Socrate.
La fascination des médias français pour le présidentialisme ne peut que s’émerveiller d’une synthèse aussi séduisante. Face à un tel phénomène, la tentation est grande de décerner les bons et les mauvais points. A ceux qui font de la philosophie leur profession, on demande si le nouvel élu est un bon dialecticien, s’il a correctement lu Kant, s’il faut voir dans le sigle En marche un hommage discret à l’école péripatéticienne fondée par Aristote. Mais comme on ne sonde pas les esprits plus facilement que les cœurs, il est difficile de répondre. Mieux vaut alors s’interroger sur le présupposé de la question.
Qu’est-ce que cela change politiquement de savoir si le nouveau président est doué d’agilité conceptuelle ou s’il est un disciple fidèle de «l’herméneutique ricœurienne» ? Pour répondre à cette question, il faut commencer par s’adresser à l’histoire plutôt qu’à la philosophie elle-même. Le moins que l’on puisse dire est que les expériences politiques des philosophes n’ont pas été des succès éclatants.
Platon, qui a forgé le thème du «philosophe roi», a dispensé à plusieurs reprises ses conseils aux tyrans de Syracuse qui se piquaient d’amour de la sagesse. A chaque fois, il a fini par être expulsé de la Cité, manquant même à une reprise de se faire assassiner. L’épisode devait marquer l’histoire de la philosophie au point de ressurgir bien plus tard, et dans des conditions beaucoup plus tragiques. On raconte qu’un ami de Heidegger qui l’a rencontré peu de temps après qu’il avait mis un terme à son engagement officiel en faveur du national-socialisme interpella le philosophe dans ces termes : «Alors, de retour de Syracuse ?»
Bien sûr, les circonstances sont différentes lorsque le rapport entre la philosophie et le pouvoir se noue à l’intérieur d’une démocratie. Mais l’histoire qui vient d’être évoquée nous rappelle qu’un tel nouage n’a rien d’évident.
Le thème du philosophe roi a été introduit par Platon contre la démocratie athénienne. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi : si la philosophie doit régner, c’est parce qu’elle possède un savoir sur la justice qui n’a aucune commune mesure avec l’échange égalitaire des opinions. Que peut bien valoir l’avis du peuple (que Platon compare à un «gros animal» plein de passions irrationnelles) face à la connaissance démonstrative à laquelle accède l’amoureux des Idées ?
De nos jours encore, lorsque l’on dit «philosophe», on suggère «celui qui sait». Les efforts méritoires de la philosophie moderne pour relativiser sa propre prétention à la connaissance absolue n’ont pas suffi à défaire cette association d’idées. Beaucoup pensent, à tort, que l’exercice de la politique suppose des compétences sur l’universel. Le fait que le président d’une démocratie soit philosophe regarde sa personne, pas son statut de président.
La Constitution de la Ve République accorde suffisamment de privilèges symboliques à l’heureux élu pour que l’on n’y ajoute pas la vertu imaginaire de savoir mieux que les autres ce qu’est le Bien. Evidemment, il est préférable qu’un président lise des livres plutôt que de se contenter de parcourir des notes rédigées par ses conseillers dans un style technocratique. Un peu de philosophie, et beaucoup de littérature, c’est un bon moyen de découvrir qu’il y a d’autres voies pour comprendre le monde que celles empruntées par l’expertise.
Mais ce genre d’apprentissage vaut pour n’importe quel citoyen, pas spécialement pour le premier d’entre eux. Que l’homme Emmanuel Macron soit philosophe ou pas, il aura affaire comme président au conflit entre les opinions sur ce qui est juste, efficace ou préférable. Heureusement, il n’existe ni livre ni savoir susceptibles de mettre un terme à ce conflit.
Cette chronique est assurée en alternance par Sandra Laugier, Michaël Fœssel, Anne Dufourmantelle et Frédéric Worms.
Michaël Foessel Professeur de philosophie à l’Ecole polytechnique.
http://www.liberation.fr/debats/2017/05/18/le-retour-du-philosophe-roi_1570519