Le consentement au conflit
Pour Claude Lefort, (philosophe français lié au mouvement anti-totalitaire « Socialisme ou barbarie » avec Cornelius Castoriadis et Marcel Gauchet) la démocratie n’est pas seulement un système politique. C’est un état d’esprit, une nouvelle forme de civilisation. Parce qu’en démocratie le « lieu du pouvoir est vide », l’homme démocratique ne croit plus en aucune vérité incarnée ou intangible. Il connaît la nécessité et même le bien-fondé du conflit. Comme Cornelius Castoradis, Claude Lefort considère également que le « symbolique » est l’un des piliers de l’ordre social :
« La démocratie pour moi ne peut se réduire à un système juridico-politique, parce que, beaucoup plus profondément, elle procède pour la première fois d’un consentement tacite à la pluralité des intérêts, des opinions et des croyances, et même d’un consentement au conflit. C’est même la reconnaissance du conflit, le refus d’une autorité inconditionnée, le refus d’un pouvoir incarné dans un monarque ou dans une institution, qui est à l’origine et au cœur du mouvement démocratique. Dès lors qu’il y a acceptation du fait que, comme je l’ai dit, le lieu du pouvoir est vide, il peut du même coup y avoir une reconnaissance de ce que la connaissance ne peut s’ancrer dans un dogme. Elle est toujours travaillée par une question sur ses propres fondements, qu’il s’agisse de la connaissance scientifique ou de tous les modes de connaissance, y compris esthétiques.
De même, il n’y a pas de loi sociale qui puisse être rapportée à un ordre du monde, un ordre de la nature. Il n’y a pas de loi qui puisse être soustraite à la discussion et à l’affrontement des hommes dans la société. Toutefois, ce que je me suis empressé d’ajouter, c’est que cela ne signifie pas pour autant que le pouvoir et la loi devenaient en quelque sorte de simples produits de la volonté collective, ce qui serait absurde. Leur fonction symbolique est d’autant plus évidente qu’on ne peut les projeter dans une pseudo-réalité ».
L’invention du politique, rencontre avec Claude Lefort, propos recueillis par Serge Latouche, Sciences humaines, 2010. Le consentement au conflit