Voici la version longue que j'ai dû raccourcir :
L’élection de Donald Trump produit un effet de sidération et d’effroi. Est-elle pour autant une véritable surprise? Elle ne constitue en réalité que le dernier avatar d’une déferlante xénophobe qui se propage à la vitesse de la lumière non seulement en Occident mais sur la planète tout entière. Une telle vague proto-fasciste - plutôt que « réactionnaire » - est comparable au réchauffement climatique dont on sait que la progression est inexorable sans être pour autant en mesure d’en prévoir les différents aléas. Car, si la révolution anti « système » à laquelle nous assistons aujourd’hui comporte des éléments conjoncturels ( la crise de 2008, le désespoir des recalés de la mondialisation, la désindustrialisation, l’environnement dévasté, les zones rurales abandonnées etc.) elle renvoie sans doute également à une crise plus profonde et plus dévastatrice encore. C’est celle qui a trait à la représentation désormais négative des institutions démocratiques et de ces fameuses « élites » qui s’obstinent à les avaliser.
Aux yeux de certains observateurs quelque peu désabusés - dont je suis - il est clair que la démocratie est un système qui porte en lui les germes de sa propre destruction. Cette précarité tiendrait à deux raisons principales. En ce qui concerne la première, elle est tellement évidente qu’elle ne souffre aucune contestation: théoriquement irréprochable, la démocratie repose en fait sur deux énormes mensonges. Selon le premier, le peuple gouverne, tandis que suivant le second, nos lois assurent l’égalité « en droit » de tous les hommes. Il est clair qu’un régime présentant un tel décalage entre ce qu’il promet ce qu’il réalise, à savoir une inégalité exponentielle, le mépris des laissés-pour-compte etc., est profondément déceptif. En ce sens, il alimente une réserve inépuisable de rage et de ressentiment.
En second lieu, la démocratie est, un régime hautement inflammable, comme l’ont noté d’emblée les penseurs « réactionnaires » mais néanmoins clairvoyants que furent Platon, Aristote et quelques autres. Pourquoi ? Parce que ce type de gouvernement aimante des personnalités non moins charismatiques qu’incompétentes, au détriment d’acteurs moins flamboyants, mais plus sages ou tout au moins plus expérimentés. C’est ainsi qu’accèdent systématiquement au pouvoir aujourd’hui des stars de télé-réalités et autres bouffons médiatiques dont le pouvoir maléfique reste à ce jour en cours d’évaluation. On sait par exemple que Donald Trump, qui jure de rétablir la torture, se vante de savoir « attraper les femmes par la chatte », que Rodrigo Dutertre traite le pape de « fils de pute » et s’amuse du viol d’une religieuse, tandis que Vladimir Poutine promettait (en 2015) de « butter les terroristes jusque dans les chiottes» etc. On peut supposer que ce type de propos relève d’un comique macabre et n’annonce pas nécessairement une politique conséquente. Cependant - hélas - le denier triomphe en date de l’un ces grossiers personnages - celui de Donald Trump aux Etats-Unis - ne fut possible, comme le montre l’écrivain Paul Berman (le Monde du 11 novembre 2016) que dans le contexte d’un « effondrement sans précédent des institutions américaines ». Si cette analyse est exacte, c’est la démocratie elle-même qui, à la manière d’une maladie auto-immune, parasite et neutralise ses propres anti-corps - syndicats, partis politiques, journalistes et grands médias. Avant de gravir les échelles du pouvoir, les démagogues populistes détraquent le système démocratique en actionnant toujours les mêmes ressorts - ces fameuses passions « tristes » (Spinoza) ou encore « réactives »(Nietzsche) que la droite qualifie perfidement de « populaires ». Ces déclinaisons de la haine - ressentiment, indignation, jalousie etc.. - dont se nourrissent les grands prédateurs du politique ne sont pourtant pas en elles-mêmes condamnables ni forcément pathogènes. Cependant, canalisées par des marionnettistes de haut vol, elle ne contiennent pas précisément la promesse de politiques ouvertes, humanistes et fraternelles.
Parfaitement conscient du drame qui se jouait bien en amont des élections, le cinéaste Michael Moore avait pronostiqué l’élection de Trump. Son analyse (Huffington post, 07/2016) pointait un dernier paramètre, parfois négligé, et pourtant déterminant. L’électeur suprématiste blanc est animé par la haine des élites mais aussi par la frayeur que lui inspire la « féminazie », ce monstre « qui saigne de partout » (Trump) et qui ose même viser la Maison Blanche : « Puisque les animaux ont maintenant des droits » , s’étrangle le « petit mâle blanc en danger » , « pourquoi pas un hamster demain à la tête du pays? ».
Autant de considérations troublantes et déprimantes qui pourraient paraître nous éloigner de Spinoza, lui qui tenait la démocratie pour le meilleur des régimes - le plus naturel en même temps que le plus raisonnable. Anticipant les Lumières, le philosophe pensait que les hommes ont tout intérêt à se soumettre à la loi d’une saine république conformément aux directives de cette Raison que tous les hommes ont en partage et qui parle d’une seule voix, douce et tempérée. Las ! Le seul fait que nombre de femmes aient pu voter pour ce « club de la testostérone » qu’incarnent Trump, Poutine etc… tend à invalider le bel axiome spinoziste. Notons également que les « Grands Mâles Dominants » qui sont aux commandes actuellement des plus grandes puissances mondiales n’ont aucune raison de renoncer à ces postures martiales, narcissiques et tapageuses qui leur réussissent si bien.