Voici la conclusion du chapitre intitulé "La diversité des culutres contredit-elle l'existence de valeurs universelles?"
La vérité, selon le philosophe Karl Jaspers, est ce qui nous rattache les uns aux autres. Qu’ils soient sophistes, sceptiques, pluralistes, antihumanistes ou relativistes, les philosophes placent tous leur argumentation sous le signe d’une même exigence de rigueur, de probité et donc de validité, ou, osons le terme, de « vérité ». Que l’on soit philosophe ou pas, il est de toute manière impossible de s’ adresser à quelqu’un sans supposer que ce vis-à-vis peut éventuellement, non seulement vous comprendre, mais aussi adhérer aux valeurs implicites dont vous vous réclamez. Il est également absurde de prétendre mettre les hommes en garde contre l’intolérance et l’impérialisme, comme le font certains relativistes, tout en oubliant qu’alors on prône implicitement une éthique qui par définition enveloppe une échelle de normes acceptable par tout être intelligent, sans préjuger de ses convictions. Et ce sont d’ailleurs les mêmes philosophes, de Rousseau à Lévi-Strauss en passant par Hume ou Montesquieu qui réclament la plus grande compréhension à l’égard des différences culturelles et la plus grande tolérance envers l’altérité, et qui prônent parallèlement un idéal de justice universalisable. Il n’y a donc pour finir pas l’ombre d’une contradiction entre la reconnaissance de la diversité des cultures, non seulement en tant que fait, mais aussi comme une valeur primordiale, et l’universalité non pas des « valeurs », en elles-mêmes, car celles-ci sont conventionnelles et aléatoires, mais de certaines normes et principes éthiques universalisables. En d’autres termes, les hommes devraient pouvoir s’accorder, par delà leurs croyances religieuses ou philosophiques, sur la nécessité de lutter contre le mal. Car il est vrai -pour tous donc- qu’il y a du mal, c’est-à-dire de l’intolérable. Mais s’il y a du mal, c’est qu’il y a aussi du bien – certes très relatif ! – même, si ce bien, les uns le nomment « paix » « tolérance » ou « patience » et d’autres « royaume des cieux » par exemple. N’est-il pas sensé de supposer que tous les hommes pourraient s’entendre sur la nécessité de régler leurs désaccords, ou même seulement de les exprimer, mais sans faire exploser la planète ? Nous devrions pouvoir nous retrouver dans cette idée de « concorde discordante » dont les dialogues aporétiques de Platon, par exemple, ont constitué une illustration éblouissante. Posons pour finir, à titre d’épreuve, le fait que tous les hommes ont le même droit d’avoir des droits différenciés, dont en tout premier lieu celui d’adhérer, dans les limites du raisonnable, aux valeurs qui sont celles de leur communauté d’origine.
LHL Cours particulier de philosophie, Belin Poche, Coll. Alpha, 2016
Bibliographie :
Platon Cratyle in Œuvres complètes Editions Garnier, 1960
Protagoras G.F. 1967
Sophiste G.F 1969
Malebranche De la recherche de la vérité, X ième éclaircissement, Œuvres Tome 1, Gallimard , Bibliothèque de la Pléiade, 1979
Hannah Arendt Condition de l’homme moderne, Presses-Pocket 1961
Claude Lévi-Strauss :
Race et histoire, Paris Unesco 1952
Tristes tropiques, Librairie Plon 1955
L’anthropologie structurale deux, Librairie Plon 1973
Mythologiques, 4, L’homme nu, Librairie Plon 1971
Entretien Le monde 21 Jnavier 1979
Le regard éloigné Librairie Plon 1983
Tzvetan Todorov Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine, Editions du Seuil 1989
Pierre-André Taguieff La force du préjugé Essai sur le racisme et ses doubles, Tel Gallimard, 1987
Paul Ricoeur Lectures , Editions du Seuil 1991
Revue Esprit, L’universel au risque du culturalisme Décembre 1992
Et Le choc des cultures à l’heure de la mondialisation, Avril 1996