C’est entendu, on ne peut pas dire qu’une civilisation est supérieure à une autre ; une civilisation c’est une vision particulière mais conséquente, une logique globale, et aucune ne peut être jugée préférable à une autre de ce point de vue…
Autre argument : si l’on affirme qu’un éthique (laïque par exemple) ou une politique (démocratique par exemple) est préférable à une autre, on le fait en se fondant sur des normes qui elles-mêmes procèdent de cette éthique et de cette politique : cela s’appelle une « pétition de principe » (erreur de logique consistant à présupposer ce qu’il faut démontrer…).
Une fois ces précautions prises, il est possible de soutenir que certains présupposés et les orientations qui en découlent, sont supérieurs à d’autres, en ce sens qu’ils sont généralisables. Ce qui n’est assurément pas le cas de toutes les conceptions de l’existence, ni de toutes les idées.
Pierre-Henri Travoillot évoque ce soir dans le Monde le principe de l’autocritique. J’ajouterai pour ma part une autre « Idée » (« Idée » au sens de « philosophie », c’est-à-dire de doctrine cohérente et argumentée) dont le bénéfice pour l’humanité me paraît indéniable : c’est celle de « religion naturelle ». C’est l’idée d’une « religion » qui ne prescrit aucun culte, qui demande rien … sinon l’amour de son prochain, ou plus exactement l’amour de l’Autre, que l’on peut appeler Dieu - si l’on y tient - ou bien la Nature (Spinoza), ou bien le prochain, mais tout aussi bien le lointain, l’étranger. Un amour qui n’exclut pas car il ignore toute clôture identitaire (« nous et notre vrai Dieu» en conflit potentiel avec tous les « autres »).
Cette idée de « religion naturelle », on la trouve évoquée tout au long de notre tradition philosophique, depuis Platon jusqu’à Jankélévitch… C’est une religion qui ne donne aucune directive (« Les dieux n’ont pas besoin de nos soins » dit Platon), n’exige ni offrande ni sacrifice (Lucrèce : « La vraie piété, ce n’est pas de se présenter la tête voilée devant une pierre, ni de verser le sang des animaux… c’est de regarder toute chose avec sérénité »), qui n’impose aucun rituel, qui ignore les traditions spécifiques et les conventions sociales, qui fait l’économie de toute Eglise, qui ne connaît la prière que « de louange », et non de demande (Rousseau), qui ne prescrit rien, ne promet rien - surtout pas la vie éternelle - et qui peut rassembler («religare ») les hommes, mais sans les opposer les uns aux autres. Une religion qui tourne le dos à la superstition (Hume), qui se passe de clergé (Kant), qui méprise les tartufferies (Molière), qui n’exige jamais de verser le sang, pas même celui des animaux. Qui ne cherche pas de bouc émissaire (Les animaux malades de la peste, la Fontaine).
Cette idée se trouve chez Platon (Euthyphron), chez Lucrèce, Spinoza, Hume (Dialogues sur la religion naturelle), Rousseau, Kant (La religion dans les limites de la simple raison) ou Jankélévitch : Dieu ne nous demande pas de nous sacrifier ni de nous mortifier pour lui, écrit-il…
Cette idée là est ancrée (me semble-t-il) dans le sol d’une culture gréco-occidentale, mais elle est universalisable. Car si elle gagnait du terrain, elle serait porteuse de sentiments pacifiques.
Pour cette religion naturelle, universalisable, il n’y a aucun dogme, aucune certitude. Une telle religion a en effet intégré l’idée de critique, de doute, d’autocritique (Hannah Arendt).
Pour une telle religion, Dieu n’est pas une réponse, mais une question.