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2 novembre 2009 1 02 /11 /novembre /2009 14:20
Voici un texte de Nietzsche qui éclaire le film de Haneke,"Le ruban blanc"

 

 La généalogie de la morale,  deuxième dissertation, § 22. 

 Pour Nietzsche les hommes on inventé Dieu afin de pouvoir se torturer sans fin, et -  de fait -  la cruauté psychique trouve son plein emploi dans la pratique religieuse.

La religion est une maladie, la plus terrible qui ait jamais sévi parmi les hommes :

 

 

« On aura déjà deviné ce qui se passa avec tout cela et sous le voile de tout cela : cette tendance à se  torturer soi-même, cette cruauté rentrée de l'animal-homme refoulé dans sa vie intérieure, se retirant avec effroi dans son individualité, enfermé dans l' « État » pour être domestiqué, et qui inventa la mauvaise conscience pour se faire du mal, après que la voie naturelle de ce désir de faire le mal lui fut coupée, - cet homme de la mauvaise conscience s'est emparé de l'hypothèse religieuse pour pousser son propre supplice à un degré de dureté et d'acuité effrayant. Une obligation envers Dieu : cette pensée devint pour lui un instrument de torture. Il saisit en « Dieu » les derniers contrastes qu'il peut imaginer à ses propres instincts animaux irrémissibles, il transmue ces instincts mêmes en fautes envers Dieu (hostilité, rébellion, révolte contre le « maître », le « père », l'ancêtre et le principe du monde), il se plante au beau milieu de l'antithèse entre « Dieu » et le « diable », il jette hors de lui-même toutes les négations, tout ce qui le pousse à se nier soi-même, à nier la nature, le naturel, la réalité de son être pour en faire l'affirmation de quelque chose de réel, de vivant, de véritable Dieu, Dieu saint, Dieu juste, Dieu bourreau, l'Au-delà, le supplice infini, l'enfer, la grandeur incommensurable de la punition et de la faute. C'est là une espèce de démence de volonté dans la cruauté psychique, dont à coup sûr on ne trouvera pas d'équivalent :  cette volonté de l'homme à se trouver coupable et réprouvé jusqu'à rendre l'expiation impossible, sa volonté de se voir châtié sans que jamais le châtiment puisse être l'équivalent de la faute, sa volonté d'infester et d'empoisonner le sens le plus profond des choses par le problème de la punition et de la faute, pour se couper une fois pour toutes la sortie de ce labyrinthe d' « idées fixes », sa volonté enfin d'ériger un idéal - celui du « Dieu très saint »  - pour bien se rendre compte en présence de cet idéal de son absolue indignité propre. O triste et folle bête humaine! A quelles imaginations bizarres et contre nature, à quel paroxysme de démence, à quelle bestialité de l'idée se laisse-t-elle entraîner dès qu'elle est empêchée quelque peu d'être bête de l'action !... Tout cela est intéressant à l'extrême, mais, à trop longtemps regarder dans cet abîme, on se sent envahi par une tristesse poignante, et énervante, c'est pourquoi il faut s'arracher avec violence à ce spectacle. Il n'est pas douteux que nous ne nous trouvions en présence d'une maladie, la plus terrible qui ait jamais sévi parmi les hommes : - et celui qui est encore capable d'entendre (mais de nos jours on n'a plus d'oreilles pour entendre où il faudrait -), d'entendre retentir dans cette nuit de torture et d'absurdité, le cri d'amour, le cri de l'extase, enflammé de désir, le cri de la rédemption par l'amour, celui-là se retournera saisi d'une invincible horreur... En l'homme il y a tant de choses effroyables! - Trop longtemps la terre fut un asile d'aliénés! ».
La généalogie de la morale (1887), Idées, N. R.F, 1966. Traduction Henri Albert, pp 133-134

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