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21 décembre 2013 6 21 /12 /décembre /2013 10:39

« La tolérance,  c'est le fait de ne pas intervenir dans les actions des autres qu'on juge mauvaises, qu'on désapprouve. Toutefois, toute tolérance comporte nécessairement des limites.

La question est alors la suivante: qu'est-ce qui peut justifier qu'on puisse refuser de tolérer certaines choses?

 

"La tolérance ne peut être sans limites. Dès que le mal dépasse un certain seuil, ce n'est plus un bien de tolérer le mal. Pour la pensée libérale, la fin de l'Etat est d'agir en vue du bien commun, conformément à un commun décret. Dans cette perspective,on délimitera précisément ce qui est du ressort de l'Etat, et ce qui ne l'est pas Tous les grands écrits de la pensée libérale condamnent unanimement l'intolérance religieuse. En effet, la puissance publique n'a aucun moyen d'atteindre les consciences: la persécution religieuse, de ce fait, est totalement irrationnelle.

Selon Spinoza, tout d'abord, tout homme a un droit naturel de se servir de sa raison, et, par voie de conséquence, d'exprimer et de communiquer ses idées.

Dans un tel cadre, il reste trois raisons de limiter la tolérance:

1) On ne peut tolérer ce qui met en cause la tolérance elle-même.

2) On ne doit pas porter atteinte aux intérêts, aux droits, bref aux libertés d'autres personnes (J.S.Mill, On liberty).

La calomnie en est un exemple : on ne peut tolérer de tels mensonges. Ce qui pose immédiatement un problème: combien faudra-t-il interdire de publications pour ce motif?

Il y a un coût de l'interdiction; dans cette mesure, il vaut parfois mieux tolérer certains torts, certains abus plutôt que de renforcer l'interdit. On s'efforcera donc d'adopter un principe de pondération, permettant de concilier (1 et (2 .

Où commence le tort fait à autrui? Le problème le plus délicat est celui du blasphème... Faut-il interdire toutes les sources possibles de blasphème ? Mais où commence, dans ce domaine, le tort fait à autrui?

3) Nécessité de préserver les conditions d'une existence sociale commune.

On admettra qu'il n'est pas possible de douter de la validité de certaines valeurs morales. Même si, d'un autre coté, l'Etat ne doit pas légiférer sur ce qui est bien ou mal.

Aujourd'hui, par exemple, on ne peut tolérer les publications justifiant le racisme, incitant au génocide. La question est: pourquoi?

Parce que ces publications "font du tort" à des personnes concrètes. Ce qui est une manière très particulière, et bien précise, de justifier l'interdiction (qui est lésé?).

On revient donc toujours à la question de savoir où commence le "tort fait à autrui"?

On est conduit à se demander si la tolérance est bien un principe (sur quoi on doit se fonder pour déterminer l'action), ou bien si c'est une attitude qui ne permet pas d'énoncer les règles de sa justification.

 

On retiendra non pas un principe, mais deux:

1) Le principe de neutralité:

L'Etat doit s'abstenir d'imposer une conception du Bien. Dans cette mesure, aucun groupe ne persécutera un autre groupe pour des raisons idéologiques.

Ceci est à mettre en relation avec la question de la vérité. Le problème se pose à propos de l'éducation des enfants: les parents, tout naturellement, vont transmettre leur religion. En revanche, on ne peut pas accepter qu'ils transmettent de fausses mathématiques, ou de fausses "vérités" historiques. En effet, l'enfant pourra apprécier par lui-même, une fois adulte, ce qui est de l'ordre de la morale, ou de la religion. En revanche les fausses "vérités" doivent être réfutées et contredites par l'Etat.

 

2) Le principe de pluralisme:

Il existe plusieurs façons de poursuivre le bien. L'Etat n'a pas à imposer une conception particulière. Il lui appartient,en outre, d'interdire tout comportement traduisant une telle attitude d'exclusion fondée sur l'intolérance.

Conclusion:

Il existe deux interprétations de la conception libérale de la tolérance:

La première est optimiste; elle se réclame de J.S.Mill. Pour lui,le pluralisme est un bon principe : il est souhaitable de laisser s'exprimer toutes les opinions, même celles qu'on croit fausses. On s'en tiendra donc à l'établissement de garde-fous juridiques (bornes procédurales).

La seconde est pessimiste; il s'agit de constater l'incompatibilité radicale entre certains modes de vie. En outre, on admettra qu'entre les hommes, les relations ne peuvent être que de conflit et de compétition. Dès lors la tolérance ne peut être que limitée. Cette conception, pessimiste, prend acte de l'hétérogénéité indépassable des composantes de la morale,et de tous les conflits qu'elle induit" .

 

Monique Canto-Sperber,  Conférence prononcée à l’UNESCO en 2002

 

 TEXTE LOCKE

La tolérance religieuse et ses limites

Dans un plaidoyer vigoureux en faveur de la liberté de pensée, John Locke pose les fondements d’une théorie de la séparation radicale de l’Etat et de l’Eglise. L’autorité politique ne peut ni ne doit forcer les consciences. En revanche, il lui appartient de préserver les intérêts de l’ensemble de ses sujets. Par conséquent, les individus ne peuvent être sanctionnés pour la manifestation de leurs convictions religieuses aussi longtemps que celles-ci ne constituent  aucunement une menace pour l’ordre public. En revanche, il n’est pas opportun d’afficher sa différence, en tant que signe de ralliement,  dans l’espace public :

« Le port d’une chape ou d’un surplis ne peut pas plus mettre en danger ou menacer la paix de l’Etat que le port d’un habit ou d’un manteau sur la place du marché ; le baptême des adultes ne détermine pas plus de tempête dans l’Etat ou sur la rivière que le simple fait que je prenne un bain .[…]

Prier Dieu dans telle ou telle attitude ne rend en effet pas les hommes factieux ou ennemis les uns des autres ; il ne faut donc pas traiter cela d’une autre manière que le port d’un chapeau ou d’un turban ; et pourtant, dans un cas comme dans l’autre, il peut s’agir d’un signe de ralliement susceptible de donner aux hommes l’occasion de se compter, de connaître leurs forces, de s’encourager les uns les autres et de s’unir promptement en toute circonstance. En sorte que, si on exerce sur eux une contrainte, ce n’est pas parce qu’ils ont telle ou telle opinion sur la manière dont il convient de pratiquer le culte divin, mais parce qu’il est dangereux qu’un grand nombre d’hommes manifestent ainsi leur singularité quelle que soit par ailleurs leur opinion. Il en irait de même pour toute mode vestimentaire par laquelle on tenterait de se distinguer du magistrat 1 et de ceux qui le soutiennent ; lorsqu’elle se répand et devient un signe de ralliement pour un grand nombre de gens qui, par là, nouent d’étroites relations de correspondance et d’amitié les uns avec les autres, le magistrat ne pourrait-il pas en prendre ombrage, et ne pourrait-il pas user de punitions pour interdire cette mode, non parce qu’elle serait illégitime, mais à raison des dangers dont elle pourrait être la cause ? Ainsi un habit laïc peut avoir le même effet qu’un capuchon de moine ou que toute autre pratique religieuse ».

John Locke, Essai sur la tolérance (1667), trad. Jean Le Clerc, Ed. Garnier Flammarion, 1992, pp 110 et 121.

NOTE 1 : Le magistrat est ici le représentant et le symbole de l’autorité politique, laquelle a pour mission de préserver les intérêts de tous ceux qui sont soumis à sa juridiction.

TEXTE HUME

 Pourquoi la philosophie est préférable :

« Puisqu'il est donc presque impossible à l'esprit humain de demeurer, comme l'esprit des bêtes, dans l'étroit cercle d'objets qui sont les sujets de nos conversations et de nos actions quotidiennes, nous avons seulement à délibérer sur le choix de notre guide et à préférer celui qui est le plus sûr et le plus agréable. Et, à cet égard, j'ose recommander la philosophie et n'aurai aucun scrupule à lui donner la préférence sur la superstition de tout genre et de tout nom. En effet, puisque la superstition naît naturellement et facilement des opinions humaines populaires, elle s'empare plus fermement de l'esprit et elle a souvent la force de nous troubler dans la conduite de notre vie et de nos actions. La philosophie, au contraire, si elle est juste, ne peut nous offrir que des sentiments doux et mesurés ; si elle est fausse et extravagante, ses opinions sont uniquement les objets d'une spéculation froide et générale et elles vont rarement aussi loin pour interrompre le cours de nos tendances naturelles. . . En général, les erreurs de religion sont dangereuses, les erreurs philosophiques sont seulement ridicules »

David Hume, Traité de la nature humaine (1740), Tome I, pp 364-365

 

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