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25 janvier 2014 6 25 /01 /janvier /2014 17:16

 

La République ou le refus de toute transcendance

 

 La laïcité est l’aspect le plus original de l’idéal républicain. Ce qui  implique,  comme l’explique ici l’historien Claude Nicolet, que la république « s’arrête au seuil des consciences :

« L'histoire des doctrines républicaines confirme en effet ce que l'opinion commune sent bien : la laïcité demeure   le  trait                 le plus original de l'histoire politique française, mais aussi son signe de contradiction le plus brûlant et le plus débattu. Non pas seulement par les adversaires de la République, qui en ont faits pendant longtemps le point central de leurs attaques, mais chez les républicains eux-mêmes. Affirmé très tôt - le projet de constitution girondin éliminait toute référence à l'Être suprême et la Constitution de l'an III réalisait la Séparation de l'Église et de l'État -, invoqué depuis périodiquement, le mot était en vérité ambigu et, curieusement, ses plus illustres partisans semblaient parfois, avec le temps, hésiter ou reculer devant les conséquences pratiques de leurs propres principes. On a vu que des adeptes vigoureux de la liberté absolue de conscience comme Jules Simon ou E. Vacherot qui, sous l'Empire, réclamaient la Séparation, restaient déistes et même chrétiens et rompaient ouvertement avec Ferry sur le vote de l'article 7 et l'inscription des « devoirs envers Dieu » dans les programmes officiels. On pourrait trouver d'autres exemples; il y a des croyants laïques, et des incroyants partisans d'une religion d'État. La cohérence intellectuelle a eu du mal à se dégager des convenances politiques.

Pourtant il faut insister sur la démarche initiale et fondamentale : la République, en fin de compte, repose sur le refus conscient de toute forme de transcendance. En tant que régime politique, sans doute; mais elle n'est pas seulement un régime, puisqu'elle construit et détermine elle-même l'individu comme la société. Ce refus de la transcendance sera donc aussi large et aussi complet que possible, et débordera la politique au sens étroit du mot. Cela mérite explication. Il ne s'agit pas, bien entendu, de prendre parti autoritairement sur les problèmes religieux, sur l'existence ou la nature de Dieu : des républicains ont le droit de croire ou de ne pas croire. Il s'agit de définir une démarche mentale et politique qui rende inutiles ou inadéquates des questions de ce genre, de trouver un terrain nouveau sur lequel elles n'ont pas de compétence. Le seul moyen, en fin de compte, est de se mettre d'accord sur la part  respective de Dieu (ou de la métaphysique) et de l'homme. Il n'est pas question seulement, on le voit, de liberté des cultes, d'égalité civile ou de neutralité : il faut mettre vraiment l'homme à la source et au centre de toute nécessité. Les Idéologues en firent la première et grandiose tentative. Non qu'ils fussent absolument matérialistes : mais leur «analyse de l'entendement » mettait Dieu au nombre des inconnaissables. On pouvait donc lui laisser, au gré des consciences, une place au coeur de chacun - il serait exclu du domaine de la science, et comme la politique est la dernière et la plus utile des sciences, il en serait par là même soigneusement distingué. La République - comme le dira encore bien plus puissamment Ferry - s'arrête au seuil des consciences. »

Claude Nicolet, L'idée républicaine en France, pp 484-485, 1982, Ed. Gallimard.

 

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