La honte: un sentiment moral?

Je note plusieurs allusions  à la notion de "honte" dans des articles du Monde du  lundi 26 mars, en particulier
 dans l'affaire d'Amina, la jeune fille marocaine qui s'est suicidée parce que ses parents l' avaient mariée à son violeur:

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/03/24/le-suicide-qui-bouleverse-la-societe-marocaine_1675191_3212.html

 "il fallait le faire afin que les gens arrêtent de se moquer de nous et de  faire taire la honte" explique le père.
 A propos des femmes violées qui ne portent pas plainte, on lit aussi ceci : en France cf le site (#jenaipas portéplainte sur twitter) "beaucoup ont honte,se sentent coupables".
 Ce que l'on nomme "honte" dans ce cas, c'est la crainte d'être montré du doigt et et de singulariser, d'avoir à se justifier etc..

 Dans le cas des parents d'Amina, il ne s'agit nullement d'un sentiment moral.
 La honte, au sens de Kant (dans Considérations sur les débuts de l'histoire de l'humanité) est un sentiment moral. C'est le fait de craindre être vu dans une situation humiliante, c'est-à-dire moralement blâmable. Et ceci du point de vue de valeurs (comme l'amour, la compassion, le souci de la dignité)  et d'exigences universalisables.

 Il y a loin de la honte au sens où l'entendent les parents de  Amina  à la honte au sens kantien, c'est-à-dire moral. Pour Kant, lorsque l'on fait quelque chose de "mal", on a peur  d'être pris sur le fait, et donc d'être humilié, et ceci  à juste titre.

 Inversement, les parents d'Amila ont agi par conformisme autrement dit par crainte du "qu'en dira-t-on"..

 La philosophie , depuis Socrate jusqu'à Kant,  nous apprend au contraire qu'un esprit juste, un honnête homme, doit  savoir  dans certains cas dire "NON".   C'est ce que Socrate explique à ses proches dans Criton. Parfois, le fait de se singulariser est héroïque (cf Antigone)
 Ce qui est honteux,  ou lâche en tout cas,  ce n'est pas de se singulariser, mais de se soumettre à l'autorité  .. de certaines traditions inacceptables, ou bien   à la pression du groupe  tout simplement (cf expérience de Milgram).
 On revient ici à la question de la "banalité du mal"..

 (même si évidemment les jeunes filles ou femmes qui ne portent pas plainte à la suite d'un viol ont toutes sortes de raisons  bien compréhensibles pour cela...)

http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/03/24/sur-twitter-le-succes-d-une-campagne-contre-le-viol_1675150_3224.html

Comments

[Jonas]

Excusez-moi, l'article sur Abdennour Bidar m'a échappé. Pourtant j'ai employé le même ardjectif que vous " admirable". Ce n'est pas la première que ce philosophe prend position contre cet islam
malade d'ignorance.


Dans un article  dans "Libération" du 29 juin 2009 ,il s'était  opposé à la burqa " La burqa, une pathologie de la culture musulmane". Mais combien sont-ils et combien ont son courage
chez les intellectuels arabo-musulmans ?

[laurence hansen-love]

ils sont très minoritaires , c'est certain. Mais ils sont formidables (lui de Meddeb)

[Jonas]

Non , Laurence , les jeunes filles ou les femmes ne peuvent pas porter plainte , parce qu'il y a  un sentiment d'honneur de la famille. ( N'oubliez pas qu'un homme vaut deux femmes dans ces
pays) Si par malheur cette jeune fille ou cette femme le fait , elle  est immédiatement rejeter et même renier par sa propre famille. Pensez au "Crime d'honneur" dans certains  de ces
pays et vous avez la réponse.


Une chose que la bien- pensance veut nous obliger à croire que , les moeurs , coutumes, traditions  etc sont identiques partout. sauf que le système de valeurs bédouines sont   toujours
en vigueur  dans ces pays.Cela consiste, en l'honneur, courage, générosité et solidarité tribale. C'est ce que Ibn khaldun appelé " Essabiya". Sans parler de l'affront qui doit être lavé
dans le sang.


Donc raisonner à partir de Paris, Madrid, Londres et New York c'est tellement facile et simple. 


PS: Laurence avez-vous lu l'article de l'admirable Abdennour Bidar dans le "Monde" du samedi 24 mars 2012 ? ( pages débats)


 

[laurence hansen-love]

Je ne m'en prenais pas aux malheureuses victimes, mais au pères de l'une d'elles. Et je visais non pas des individus, mais à une idéologie, à une certaine conception de la "morale"
(crainte du déshonneur) qui n'est pas revevable.. du point de vue de la raison.
Evidemment, c'est très facile d'épiloguer là-dessus, on est bien d'accord.
 Faut-il donc se taire? Je crois que non. il faut continuer de propager cette  idée..de valeurs humanistes.


 Quant à l'article admirable , j'ai fait un post dessus!


"Le sommeil de la raison engendre des monstres"