La gauche est-elle morale par définition, comme elle l'affirme?
" En terre catholique [...] on trouve bien des arrangements avec le Ciel. On sait que l'homme est faillible. Un aveu sincère - faute avouée n'est-elle pas « à demi » pardonnée ? - et une contrition bien mise en scène lavent de tous les péchés.
La transparence médiatique qui rend plus difficile le maintien au secret d'une vie privée rend l'exigence morale plus absolue. La partition vertus publiques/vices privés est devenue presque intenable.
L'arrivée au pouvoir de François Mitterrand le 10 mai 1981, en ce domaine comme en tant d'autres, a changé la donne. Jusqu'à ce jour, le capital moral de la gauche semblait à peu près inentamé. Curieusement, les graves dérives qu'avaient représentées le stalinisme des communistes ou les responsabilités politiques des socialistes dans la pratique de la torture pendant la guerre d'Algérie avaient à peine mis en cause ce « monopole du coeur » que Valéry Giscard d'Estaing, candidat à la présidence de la République, avait disputé à son rival de gauche, François Mitterrand, lors d'un débat télévisé de la campagne présidentielle du printemps 1974. La gauche semblait morale par définition: Quelques coups de canif, publics ou privés, dans le contrat n'y changeaient rien. Un « anticommuniste » était un chien comme le disait Sartre, c'est-à-dire un salaud, un exclu de l'humanité et de ses valeurs, quand, à l'inverse, un militant socialiste ou communiste capitalisait toutes les vertus républicaines : dévouement à une cause commune, générosité, fraternité et même courage.
Ce dispositif idéologique s'effrita dans les années 1980 par la mise au jour de comportements privés socialement inadmissibles. La détresse politique dans laquelle la gauche se trouve depuis résulte bien davantage des incohérences et des contradictions morales dans lesquelles furent piégées nombre de ses élites, petites ou grandes, politiques ou culturelles, que de ses reniements politiques, bien prévisibles au fond, pour qui avait annoncé la « rupture avec le capitalisme en cent jours » comme l'avaient espérée les socialistes à la veille de l'élection présidentielle de mai 1981. Les électeurs de François Mitterrand auraient pu comprendre et admettre des ajustements doctrinaux, des recentrages ou des réorientations politiques. Ils ne purent concevoir des trahisons morales".
Ch. Prochasson. La gauche est-elle morale? pp 18-19