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7 avril 2007 6 07 /04 /avril /2007 10:02

Extrait de " Pour avoir du goût, faut-il être cultivé?"

La liberté du goût
L'approfondissement du goût est en même temps sa purification et son extension : plus on est cultivé, plus on apprécie les belles choses, dans un registre toujours plus étendu. Récapitulons. Le goût se présente comme  une suite de paradoxes. Il faut vivre dans un milieu aisé et cultivé pour avoir un goût affiné. Mais d'un autre côté, les sociétés les plus sophistiquées et dispendieuses, celles où se côtoient artistes, écrivains, savants... sont également les capitales du mauvais goût ; il ne suffit donc pas de vivre à Rome ou Florence, ou au Village (New-York) pour être une personne de goût. Le bon goût n'est déductible d'aucune prémisse, et si l'on peut tirer profit d'un milieu culturellement ouvert, il n'y a aucune garantie en la matière, car le beau est " sans concept "  (on ne peut le dériver d'aucune définition ni théorie prééxistante)  et le goût aléatoire. Quel que soit le contexte, les esprits influençables tomberont dans les filets du goût ambiant ou dominant. Les personnalités plus délicates au contraire tenteront de juger d'après leur propre sentiment. Juger par soi-même, quoique en connaissance de cause, tel est le vrai critère du goût, et sur ce point le jugement esthétique rejoint la libre pensée. Juger sainement de ce qui est beau et penser par soi-même relèvent l'un et l'autre de ce que Kant nomme le " sens commun " (Critique de la faculté de juger, § 40, p 126) mais que Rousseau avait déjà parfaitement décrit et analysé. Celui qui juge correctement juge tout seul, dans l'indifférence de ce que les autres peuvent penser. Et pourtant il juge pour tous, il anticipe, sans le savoir (et peu lui importe de toute façon), l'approbation universelle. Mais rares sont les hommes qui ont cette capacité de bien juger en se fondant sur leur sentiment, quoique à bon escient. Juste, d'un certain point de vue, comme le confirmera la postérité, leur opinion est souvent mal comprise. Rares sont en effet les hommes qui adoptent sur n'importe quel sujet le point de vue du sens commun : " le goût n'est que la faculté de juger ce qui plaît ou déplaît au plus grand nombre"[...]  Il ne s'ensuit pas qu'il y ait plus de gens de goût que d'autres ; car, bien  que la pluralité juge sainement de chaque objet, il y a peu d'hommes qui jugent comme elle sur tous  ; et, bien que le concours des goûts les plus généraux fasse le bon goût, il y a peu de gens de goût, de même qu'il y a peu de belles personnes, quoique l'assemblage des traits les plus communs fasse la beauté " (Émile, p. 445). Peu de gens sont donc capables de juger de tout avec goût, alors même que le goût est la capacité de juger du point de vue de tous. C'est ici que la sociologie nous aide à éclairer ces affirmations apparemment contradictoires. La pression du goût dominant est telle, en particulier dans les opulentes sociétés bourgeoises aujourd'hui, que le vrai goût, à la fois singulier dans ses fondements et universel par vocation, a du mal à s'y exprimer.
In  Cours particulier de philosophie
Tableau de Titien
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