Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
31 mars 2007 6 31 /03 /mars /2007 10:18


Pour Hannah Arendt, la disparition  ou l'affaiblissement de la philia liée à  la modernité est le signe de l'effacement du " monde commun ".


                            
 " Nous avons coutume aujourd'hui de ne voir dans l'amitié qu'un phénomène de l'intimité, où les amis s'ouvrent leur âme sans tenir compte  du monde et de ses exigences. Rousseau [...] est le meilleur représentant de cette conception conforme à l'aliénation de l'individu moderne qui ne peut se révéler vraiment qu'à l'écart de toute vie publique, dans l'intimité et le face à face. Ainsi nous est-il difficile de comprendre l'importance politique de l'amitié. Lorsque, par exemple, nous lisons chez Aristote que la philia, l'amitié entre citoyens, est l'une des conditions fondamentales du bien-être commun, nous avons tendance à croire qu'il parle seulement de l'absence de factions et de guerre civile au sein de la cité. Mais pour les grecs, l'essence de l'amitié consistait dans le discours. Ils soutenaient que seul un " parler-ensemble " constant unissait les citoyens en une polis. Avec le dialogue se manifeste l'importance de l'amitié, et de son humanité propre. Le dialogue (à la différence des conversations intimes où les âmes individuelles parlent d'elles-mêmes) , si imprégné qu'il puisse être du plaisir pris à la présence de l'ami, se soucie du monde commun, qui reste " inhumain " en un sens très littéral, tant que les hommes n'en débattent pas constamment. Car le monde n'est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu'il est devenu objet de dialogue. Quelque  intensément que les choses du monde nous affectent, quelque profondément qu'elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu'au moment  où nous pouvons en débattre avec nos semblables. Tout ce qui ne peut devenir objet de dialogue peut bien être sublime, horrible ou mystérieux, voire trouver voix humaine à travers laquelle résonner dans le monde, mais ce n'est pas vraiment humain. Nous humanisons ce qui se passe dans le monde et en nous en en parlant, et, dans ce parler, nous apprenons à être humains "
Vies politiques (1955)


 La notion de " despotisme bienveillant " apparaît,  a priori,   contradictoire. Pourtant Alexis de Tocqueville a imaginé une situation, improbable mais non pas inconcevable, dans laquelle les hommes consentiraient à leur servitude. Il rejoint sur ce point l'analyse de La Boétie  mais il donne à sa propre fiction des traits totalement inédits.

"  Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable  d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il  est à côté d'eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul, et, s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie.
 Au dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer  leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier,prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il  veut en être l'unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? "

Alexis de Tocqueville
De la démocratie en Amérique (1840).
 Gallimard Collection " Folio histoire ", 1961, t II, IV ième partie, chapitre IV, p434

Partager cet article
Repost0

commentaires

E
Si je comprends bien, l'égocentrisme mène au totalitarisme.<br /> <br /> Or celui-ci est la négation de l'individu, donc l'exact opposé de l'individualisme.<br /> <br /> Il y a donc une opposition entre l'égocentrisme et l'individualisme, c'est-à-dire entre la considération pour un unique individu - soi-même - et la considération pour les individus dans leur diversité.<br /> <br /> Ce qui mène à a conclusion suivante : l'usage qui consiste à employer le mot "individualisme" à la place d'"égocentrisme" lorsqu'il s'agit de condamner ce dernier nuit à la clarté de la pensée. Confondre individualisme et égocentrisme est soit une erreur, soit un sophisme employé pour condamner l'individualisme, c'est-à-dire un moyen de promotion de son opposé : le totalitarisme.<br /> <br /> Cela montre une nouvelle fois qu'il est nécessaire de s'exprimer de façon précise.
Répondre
B
<br /> Bonjour , j'ai une explication de texte à faire sur le texte de Tocqueville.<br /> Or je n'ai pas bien compris pourriez vous m'aider ?<br /> Merci<br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> Qu'attendez vous de moi????????<br />  Il faudrait me poser UNE question précise.<br />  Commencez par chercher le thème, la question et la thèse, puis d'élaborer vore problématique.<br /> <br /> <br />
B
je ne vois pas en quoi la pensée d'un despotisme chez tocqueville est improbable, elle correspond réellement à des enjeux qui se sont fait jour en 2002 et qui nous guêtent encore aujourd'hui, ceux qui savent lire entre les lignes me comprendront...
Répondre
L
s'il vous plaît , je ne lis pas entre les lignes, alors expliquez moi!