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25 novembre 2015 3 25 /11 /novembre /2015 09:51

Ce qu'en disent les philosophes :

 

 

Descartes

Descartes montre ici les dangers de la peur :

Art 175 De l’usage de la lâcheté

« Or, encore que je ne me puisse persuader que la nature ait donné aux hommes quelque passion qui soit toujours vicieuse et n’ait aucun usage bon et louable, j’ai toutefois de la peine à deviner à quoi ces deux peuvent servir. Il me semble seulement que la lâcheté a quelque usage lorsqu’elle fait qu’on est exempt de peines qu’on pourrait être incité à prendre par des raisons vraisemblables, si d’autres raisons plus certaines qui les ont fait juger inutiles n’ avaient excité cette passion[…]. Mais ordinairement elle est très nuisible, à cause qu’elle détourne la volonté des actions utiles ; et parce qu’elle ne vient que de ce qu’on n’a pas assez d’espérance ou de désir, il ne faut qu’augmenter en soi ces deux passions pour les corriger ».

 

Art 76 De l’usage de la peur

« Pour ce qui est de la peur ou de l’épouvante, je ne vois point qu’elle puisse jamais être louable ou utile ; aussi n’est-ce pas une passion particulière, c’est seulement un excès de lâcheté , d’étonnement et de crainte, lequel est toujours vicieux, ainsi que la hardiesse est un excès de courage qui est toujours bon, pourvu que la fin qu’on se propose soit bonne ; et parce que la principale cause de la peur est la surprise, il n’y a rien de meilleur pour s’en exempter que d’user de préméditation et de se préparer à tous els événements, la crainte desquels la peut causer »

Traité des passions

 

 

Spinoza :

Lui aussi insiste sur les inconvénients de la crainte :

XXIX

« L’appréhension peureuse est le désir d’éviter par un mal moindre un mal plus grand que nous craignons

XLII

La stupeur se dit de celui dont le désir d’éviter un mal est contrarié par l’étonnement (admiratio) devant le mal qu’il appréhende.

Explication

La stupeur est une sorte de pusillanimité. Mais comme la stupeur naît d’une double appréhension, on peut donc mieux la définir comme la Crainte qui retient un homme stupéfait ou flottant, de sorte qu’il ne peut éviter un mal. »

Ethique, IV

 

 

 

La Boétie (deux textes)

Comment conquiert-on la liberté ?

« Si pour avoir la liberté, il ne faut que la désirer ; s'il ne suffit pour cela que du vouloir, se trouvera-t-il une nation au monde qui croie la bayer trop cher en l'acquérant par un simple souhait? Et qui regrette sa volonté à recouvrer un bien qu'on devrait racheter au prix du sang, et dont la seule perte rend à tout homme d'honneur la vie amère et la mort bienfaisante? Certes, ainsi que le feu d'une étincelle devient grand et toujours se renforce, et plus il trouve de bois à brûler, plus il en dévore, mais se consume et finit par s'éteindre de lui-même quand on cesse de l'alimenter : pareillement plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus ils ruinent et détruisent, plus on leur fournit, plus on les gorge ; ils se fortifient d'autant et sont toujours mieux disposés à anéantir et à détruire tout ; mais si on ne leur donne rien, si on ne leur obéit point ; sans les combattre, sans les frapper, ils demeurent nuds et défaits :.semblables à cet arbre qui ne recevant plus de suc et d'aliment à sa racine, n'est bientôt qu'une branche sèche et morte.

Pour acquérir le bien qu'il souhaite, l'homme entreprenant ne redoute aucun danger, le travailleur n'est rebuté par aucune peine. Les lâches seuls, et les engourdis, ne savent ni endurer le mal, ni recouvrer le bien qu'ils se bornent à convoiter. L'énergie d'y prétendre leur est ravie par leur propre lâcheté ; il ne leur reste que le désir naturel de le posséder. Ce désir, cette volonté innée, commune aux sages et aux fous, aux courageux et aux couards, leur fait souhaiter toutes choses dont la possession les rendrait heureux et contents. Il en est une seule que les hommes, je ne sais pourquoi, n'ont pas même la force de désirer. C'est la liberté : bien si grand et si doux! que dès qu'elle est perdue, tous les maux s'ensuivent, et que, sans elle, tous les autres biens, corrompus par la servitude, perdent entièrement leur goût et leur saveur. La seule liberté, les hommes la dédaignent, uniquement, ce me semble, parce que s'ils la désiraient, ils l'auraient : comme s'ils se refusaient à faire cette précieuse conquête, parce qu'elle est trop aisée ». Etienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire (1548), Payot, p 180-181.

 

« Ceux-là ayant l’entendement net et l’esprit clairvoyant, ne se contentent pas, comme les ignorants encroûtés, de voir ce qui est à leurs pieds, sans regarder ni derrière ni devant ; ils rappellent au contraire les choses passées pour juger plus sainement le présent et prévoir l’avenir. Ce sont ceux qui, ayant l’esprit droit, l’ont encore rectifié par l’étude et le savoir. Ceux-là, quand la liberté serait entièrement perdue et bannie de ce monde, l’y ramèneraient ; car la sentant vivement, l’ayant savourée et conservant son germe en leur esprit, la servitude ne pourrait jamais les séduire, pour si bien qu’on l’accoutrât » Etienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, (1548), p 196, Payot.

Freud

L’âme des foules

"Voici encore un point de vue important pour l'examen de l'individu en foule : (P. 14.) « Par le fait seul qu'il fait partie d'une foule, l'homme descend donc plusieurs degré sur l'échelle de la civilisation. Isolé, c'était peut-être un individu cultivé, en foule c'est un instinctif, par conséquent un barbare. Il a la spontanéité, la violence, la férocité, et aussi les enthousiasmes et les héroïsmes des êtres primitifs. » Il s'étend encore tout particulièrement sur la baisse du rendement intellectuel qui affecte l'individu absorbé par la foule.

[...]

La foule est extraordinairement suggestible et crédule, elle est dépourvue d'esprit critique, l'invraisemblable n'existe pas pour elle. Elle pense par images qui

s'évoquent les unes les autres par association, telles qu'elles surviennent chez l'homme isolé lorsqu'il donne libre cours à son imagination, et dont aucune instance rationnelle ne mesure la conformité à la réalité. Les sentiments de la foule sont toujours très

simples et très exagérés. La foule ne connaît donc ni doute ni incertitude."

Freud La question de l'âme des foules par Le Bon, pp 126-127 in Essais de psychanalyse.

 

Elias Canetti (deux textes)

Dans le texte qui suit, Elias Canetti évoque ces prédicateurs qui exploitent la peur de la mort pour exalter les fidèles:

" Dans les pays anglo-saxons, les prédicateurs et célèbres revivals ont tiré tous les effets possibles de la mort et de la résurrection. Ils menaçaient les pécheurs assemblés des peines infernales les plus terribles et les plongeaient ainsi dans un état d'angoisse à peu près indescriptible. Ils voyaient un lac de feu et de soufre s'étendre à leurs yeux et la main du Tout-Puissant prête à les précipiter dans l'abîme épouvantable. On dit de l'un de ces prédicateurs que la violence de ses invectives était encore accrue dans ses effets par les affreuses contractions de son visage et le tonnerre de sa voix. Les gens, sur des distances de 4o, 5o, zoo miles, accouraient de partout pour entendre ces prédicateurs. Les hommes y amenaient leurs familles dans des chariots couverts et se munissaient de draps et de nourriture pour plusieurs jours. Vers 1800, une partie de l'État du Kentucky fut plongée dans la fièvre par des réunions de ce genre. Celles-ci se déroulaient en plein air, il n'y avait pas dans les États d'alors de bâtiment capable de contenir ces masses énormes. En août 180, le meeting de Cane Ridge groupa vingt mille personnes. Cent ans plus tard, le souvenir en était encore vivace dans le Kentucky.

Les prédicateurs épouvantaient les auditeurs aussi longtemps qu'il fallait pour qu'ils tombent à terre et y restent comme morts. Ce dont on les menaçait, c'était les commandements de Dieu. Ceux-ci les jetaient dans la fuite et ils cherchaient alors à se sauver dans une espèce de mort apparente. L'intention consciente et avouée du prédicateur était justement de les « abattre ». On se serait cru sur un champ de bataille, des rangs entiers tombaient à droite et à gauche. La comparaison avec le champ de bataille était utilisée par les prédicateurs eux-mêmes. Ces affres suprêmes leur semblaient indispensables -à la conversion morale qu'ils voulaient obtenir. Le succès de la prédication se mesurait au nombre de gens « abattus » » p 61 Masse et puissance (1959)

 

Dans ce passage Elias Canetti montre que la guerre peut apparaître comme un moyen - certes paradoxal - de contourner la peur de la mort:

"La mort, dont chacun est en réalité toujours menacé, doit être proclamée sentence collective pour que l'on puisse s'y opposer activement. Il y a pour ainsi dire des époques de mort déclarée, pendant lesquelles elle concerne en entier un groupe déterminé, arbitrairement choisi. « Maintenant on les aura tous, les Français », ou bien : « Maintenant on les aura tous, les Allemands. » L'enthousiasme avec lequel les gens accueillent une telle déclaration a sa racine dans la lâcheté individuelle devant la mort. Il n'est personne qui veuille la regarder seul en face. C'est plus facile à deux, quand deux ennemis exécutent pour ainsi dire la sentence chacun sur la personne de l'autre, et ce n'est plus du tout la même mort quand on est mille à l'affronter ensemble. Le pire qui puisse arriver aux hommes dans une guerre, périr ensemble, c'est justement ce qui leur épargne la mort individuelle, celle qu'ils craignent par-dessus tout.

Mais ils ne croient absolument pas que le pire leur arrivera. Ils voient une possibilité de détourner et de renvoyer la sentence collective qui a été portée sur eux. Leur pare-mort est l'ennemi, et tout ce qu'ils ont à faire est de le prévenir". Masse et puissance, p 75

 

 

Raoul Girardet

Le mythe du complot

« La personnification du Mal, la réduction à l'unité épargnent, au moins à ceux qui en sont les victimes, la plus éprouvante des anxiétés, celle de l'incompréhensible.

Est-il nécessaire de préciser encore une fois que cette fonction explicative, le mythe est susceptible de l'exercer à partir et au profit des groupes sociaux les plus divers et parfois les plus opposés'? Ce qui reste constant, ce qui constitue le caractère essentiel de permanence et de répétitivité, c'est l'état de malaise, la situation de crise dans laquelle se trouvent ces groupes ou ces milieux. Et c'est aussi. on ne saurait l'oublier, tout le matériel onirique contenu dans le message mythologique, tout ce flot incessant qu'il porte avec lui d'images, de phantasmes et de représentations symboliques. A chaque image, à chaque signe, à chaque expression symboliques ne manque jamais de correspondre, si l'on suit Bachelard, ce que celui-ci nomme un « doublet-psychique », résonance harmonique en quelque sorte se faisant entendre au plus profond et au plus intime du moi individuel. En ce qui concerne la thématique du Complot, on évoquera ainsi, sans grand risque d'erreur, les vieilles terreurs enfantines et leur persistance tenace à travers les cauchemars de l'âge adulte : peur des réduits ténébreux, des murs sans issue qui se referment, des fosses d'ombre d'où l'on ne remonte pas; peur d'être livré à des mains inconnues, volé, vendu ou abandonné; peur enfin de l'ogre, des dents carnassières des bêtes de proie, de tout ce qui broie, déchire et engloutit. De même, devant certains accents dont le caractère névrotique ne peut guère être contesté, le rapprochement s'impose avec quelques-unes des formes les plus caractéristiques des délires de persécution : aucune place n'est plus désormais laissée au hasard ou à l'accident; placée au centre d'un immense réseau de malveillance organisée, la victime voit chacun de ses actes surveillé et épié par Mille regards clandestins; une même main invisible a pris la charge de son destin et le conduit irrévocablement vers le malheur... » . Mythes et mythologies politiques, Points-Seuil, pp 56-57

 

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