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Hegel discours du gymnase Se séparer de soi pour mieux se retrouver Le philosophe Hegel explique ici que le détour par ce qui nous est le plus étranger constitue paradoxalement le procédé le plus à même de nous éclairer sur nous-mêmes, sur propre nature, mais aussi sur le sens de notre existence : « Après avoir parlé du matériau de la culture, je souhaite, ici, dire encore quelques mots sur ce que comporte sa nature, pour ce qui est de la forme. Il faut savoir que la progression de la culture ne peut être regardée comme le calme prolongement d'une chaîne, aux maillons précédents de laquelle les maillons suivants seraient rattachés - certes, de telle façon qu'il soit tenu compte de ceux-là - mais en raison de leur matière propre, et sans que ce travail ultérieur soit mis en perspective sur le premier. Au contraire, la culture doit nécessairement disposer d'un matériau et objet préalable sur lequel elle travaille, qu'elle modifie et élève à une forme nouvelle. Il est nécessaire que nous fassions l'acquisition du monde de l'antiquité, tant pour le posséder que, plus encore, pour avoir quelque chose à travailler. - Mais, pour devenir objet, la substance (1 de la nature et de l'esprit doit être venue nous faire face, elle doit avoir reçu la forme de quelque chose d'étranger. - Malheureux est celui qui a vu son monde immédiat de sentiments se séparer de lui pour lui devenir étranger ; - car cela ne signifie rien d'autre si ce n'est que les liens individuels qui unissent l'âme et la pensée à la vie, d'une amitié sacrée, la foi, l'amour et la confiance, sont pour lui déchirés. - Pour l'aliénation (2 qui conditionne la culture théorétique (3, celle-ci n'exige pas cette souffrance éthique, pas cette douleur du coeur, mais la souffrance et tension plus légère de la représentation, consistant à s'occuper de quelque chose de non-immédiat, d'étranger, de quelque chose qui appartienne au souvenir, à la mémoire et à la pensée. - Cependant, cette exigence de la séparation est si nécessaire qu'elle s'extériorise en nous comme une tendance universelle et bien connue. Ce qui est étranger, ce qui est lointain, renferme un intérêt dont l'attrait nous incite à nous occuper et à nous mettre en peine de lui, et ce qui est désirable est inversement proportionnel à la proximité dans laquelle il se tient et qui le relie à nous. La jeunesse se représente comme une chance de quitter son chez-soi et d'habiter, avec Robinson, une île lointaine. C'est une illusion nécessaire, de devoir rechercher ce qui a de la profondeur, d'abord, dans la figure de l'éloignement ; mais la profondeur et la force que nous obtenons ne peuvent être mesurées que par l'étendue en laquelle nous avons fui le centre où nous nous trouvions d'abord absorbés et vers lequel nous tendons à retourner. C'est bien sur cette tendance centrifuge de l'âme que se fonde, en somme, la nécessité d'offrir à celle-ci même la scission qu'elle recherche d'avec son essence et situation naturelle, et d'introduire dans le jeune esprit un monde éloigné, étranger. Mais le mur grâce auquel est opérée cette séparation en vue de la culture, dont il est ici question, est le monde et la langue des Anciens ; mais ce mur, qui nous sépare d'avec nous-mêmes, contient, en même temps, tous les points d'ancrage initiaux et les fils conducteurs du retour à nous-mêmes, et l'attachement amical à lui-même, et des retrouvailles avec nous-mêmes, mais avec nous [tels que nous sommes] selon l'essence universelle vraie de l'esprit ". Hegel, Discours du gymnase, Trad. fr.. Bernard Bourgeois ,( 1811) in Textes pédagogiques, Paris, Ed. Vin, 19781978, p 82 Notes : 1) La nature profonde, l’essence. 2) Ici : le fait de se projeter dans quelque chose d’étranger. 3) D’ordre théorique .
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