SPINOZA
Quelle est la raison d’être de la vie en communauté ? Pour répondre à cette question, il ne faut pas se fonder sur l’observation qui nous montre un peu partout les peuples ployant sous le joug de la tyrannie. Dans son Traité des autorités théologique et politiques, Spinoza tente de déduire le meilleur système politique d’une réflexion sur la nature humaine et sur ses exigences. Le finalité d’un tel système ne peut être que la liberté.
«Nul, disions-nous, ne saurait aliéner sa liberté de juger ni de penser ce qu’il veut, et tout individu, en vertu d’un droit supérieur de nature, reste maître de sa réflexion. Par suite, ce serait s’exposer à un désastre certain, que de vouloir obliger les membres d’une collectivité publique-dont les opinions sont diverses, voire opposées - à conformer toutes leurs paroles aux décrets de l’Autorité souveraine. Même les citoyens d’intelligence avertie, pour ne point parler de la foule commune, sont incapables de garder suffisamment le silence : les hommes ont d’ordinaire le grand tort de confier à d’autres leurs projets, même lorsqu’ils feraient mieux de se taire. Une Autorité politique exercerait donc un règne d’une violence extrême, si elle refusait à l’individu le droit de penser, puis d’enseigner ce qu’il pense. Elle donnera au contraire des preuves de modération en accordant cette liberté à tous[…]
Partons des principes de toute organisation en société, démontrés plus haut [1] ; il s’ensuit, avec la plus grande évidence, que le but final de l’instauration d’un régime politique n’est pas la domination, ni la répression des hommes, ni leur soumission au joug d’un autre. Ce à quoi l’on a visé par un tel système, c’est à libérer l’individu de la crainte - de sorte que chacun vive, autant que possible, en sécurité ; en d’autres termes conserve au plus haut point son droit naturel de vivre et d’accomplir une action (sans nuire ni à soi-même, ni à autrui). Non, je le répète, le but poursuivi ne saurait être de transformer des hommes raisonnables en bêtes ou en automates ! Ce qu’on a voulu leur donner, c’est, bien plutôt, la pleine latitude de s’acquitter dans une sécurité parfaite des fonctions de leur corps et de leur esprit. Après quoi, ils seront en mesure de raisonner plus librement, ils ne s’affronteront plus avec les armes de la haine, de la colère, de la ruse et ils se traiteront mutuellement sans injustice. Bref, le but de l’organisation en société, c’est la liberté !
Spinoza
Traité des autorités théologiques et politiques (1670)
Œuvres complètes
Bibliothèque de la Pléiade, pp 898-899, 1954
Note 1 : Il s’agit des principes fondateurs de l’Etat, républicain, laïc et démocratique. L’Etat doit être à la fois ferme dans ses dispositifs, garantissant ainsi la liberté et la sécurité de tous, et respectueux des opinions et des sensibilités de chacun.