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24 novembre 2006 5 24 /11 /novembre /2006 15:54

                                                                                                                                                                              

Peut-on parler de l'inutilité de la philosophie,  et peut-on s'autoriser de cette inutilité   pour la récuser ?
 (dissertation rédigée par Sophie Noye en classe, en octobre 2006, dans le cadre de ma HK 2 . Je la remercie de m'autoriser à la publier)




Je m'interroge en effet sur l'utilité de réfléchir à cette question, sur l'utilité de bûcher pendant quatre heures sur ce thème, et, dans une perspective plus large, sur l'utilité de suivre des  cours de philosophie et par conséquent de quelquefois, je l'espère, philosopher. A première vue, et surtout au vu des élèves se triturant l'esprit, la philosophie ne répond pas à des critères d'utilité. A quoi me servirait-il de savoir si oui ou non on peut parler de l'inutilité de la philosophie ? Pourtant la philosophie est enseignée à l'école et les cours sont même obligatoires au lycée ; ainsi il ne semble pas suffisant d'évoquer une probable inutilité de la philosophie pour la récuser. Il s'agit donc de se demander s'il est vraiment pertinent d'interroger la philosophie sous l'angle de son utilité et si le propre de la philosophie réside dans une quelconque utilité.
Nous verrons en quoi nous pouvons parler de l'inutilité de la philosophie, puis en quoi cela ne suffit pas à la récuser, et enfin en quoi la question de la philosophie ne se pose pas en termes d'utilité.

 (première partie)
 La philosophie peut, il est vrai, se définir par son inutilité, en tant qu'elle n'a pas vraiment d'impact immédiat et conséquent sur le réel, et qu'elle se caractérise par la propension au doute, à l'indétermination. On peut opposer la philosophie à la science, et aussi la philosophie à la morale, car la philosophie, contrairement à elles, ne peut influencer de façon positive le quotidien de chacun, la vie de tous. La science peut ainsi prétendre à une utilité par les technologies qu'elle crée, qui facilitent la communication, comme Internet par exemple, qui augmentent la production, le rendement, comme les machines agricoles ou les engrais et pesticides, ou qui sauvent des vies, grâce aux différents vaccins par exemple, et notamment celui de Pasteur contre la rage au 19 ième siècle. Ainsi les " progrès " de la science sont palpables, visibles dans nos sociétés, et ressentis par ceux qui y ont accès. Ils se révèlent utiles par différents critères comme nous l'avons vu, à savoir des critères de vitesse, d'efficacité, d'innovation.
La philosophie n'a nullement ce pouvoir d'améliorer le réel, ou tout du moins de le transformer. Elle se distingue également de la politique, en tant qu'elle n'appartient pas comme celle-ci au domaine de l'action. La politique propose et réalise des modifications de la société. Elle possède cette caractéristique de pouvoir influencer très concrètement la réalité d'un Etat, comme du monde. Elle est utile dans le sens où non seulement elle propose, mais aussi elle applique des lois qui tendent à améliorer le réel. Les améliorations, cette utilité donc, est visible et même quantifiable. Ainsi nous indique-t-on que suite à telle loi, le taux de chômage est en baisse, ou que par exemple grâce à  la politique du président brésilien Lula, l'écart entre les riches et les pauvres s'est réduit. Une politique est efficace au non, par opposition à la philosophie, qui, elle, ne pourra jamais prétendre voir ses effets nommés et jugés. Et pour cause : la philosophie n'est pas de l'ordre de l'action. Enfin, alors que la morale prescrit de façon précise des obligations concrètes, c'est-à-dire à appliquer de manière stricte dans la vie quotidienne, qu'elle conduit à certaines valeurs, donc, et que, de plus, elle délimite clairement les frontières entre le Bien et le Mal, la philosophie ne s'inscrit pas ainsi dans le réel et n'est donc de ce point de vue pas " utile ". Elle ne tend pas à améliorer directement la vie des gens, ni le fonctionnement de la société.
Au contraire du travail et de la technique qui se définissent en tant que moyens pour satisfaire des besoins, moyens en vue d'une fin déterminée, moyens qui répondent à une  utilité, la philosophie ne se présente pas comme un moyen en vue d'une fin et la finalité même de la philosophie reste indéterminée. La philosophie n'a pas de but en soi, même si elle comporte certains objectifs qui varient d'ailleurs selon les philosophes, et elle ne vise aucunement l'utilité. Elle peut même, au contraire, apparaître comme un obstacle à la visée de l'utile. Elle se caractérise en effet par son absence de réponses certaines et immuables, par sa culture du doute. Certes, les philosophes ont parfois cherché à atteindre la vérité, à établir des certitudes, tel Descartes qui recherche un point fixe, une vérité première à laquelle accrocher toutes les autres,  mais la philosophie en elle-même n'apporte en fait aucune certitude démontrable et indubitable. Les réponses, les pensées des philosophes, demeurent des réponses personnelles, des appréhensions tout à fait subjectives du réel. Il s'agit bien de traiter de la " métaphysique " c'est-à-dire de ce qui ne relève pas du sensible mais de l'abstrait, de la pensée pure. La philosophie ne peut établir son jugement sur des faits mais seulement sur son jugement, sa capacité à raisonner, sur un " cogito ".  Ainsi Socrate affirmait-il : " je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien " : cette propension au doute ne peut permettre d'agir et peut même freiner l'action... Les sceptiques, puisqu'ils pensaient qu'il est impossible de connaître la vérité, prônaient le fait de suspendre son jugement. Mais jusqu'à quel point peut-on se passer de prendre des décisions dans la vie de tous les jours ?  C'est proprement cela qui conduit Descartes à proposer une morale pour l'action, en parallèle à ses " Méditations ". En attendant de trouver des réponses, il faut bien  se fixer des règles de vie. La philosophie rencontre donc l'obstacle de la réalité immédiate, dont elle ne se préoccupe pas à proprement parler directement. Enfin la philosophie se définit par son aspect atemporel. En effet, elle ne subit pas les contraintes du temps, elle nécessite au contraire de "  prendre son temps ".  De ce point de vue encore, elle s'oppose à l'action, qui, elle, s'inscrit à la fois dans l'espace et dans le temps.
La philosophie n'est pas utile parce qu'elle n'a pas un pouvoir d'action concrète sur le réel. Elle est inutile dans le sens où elle ne se préoccupe que de données abstraites, qu'elle ne donne lieu à aucune certitude, que ses objectifs restent indéterminés, et qu'elle se situe hors du temps. Loin de proposer une amélioration de la vie des hommes, elle peut au contraire la compliquer et même la paralyser. Cependant, la philosophie est une donnée inhérente à notre monde. Elle s'inscrit dans l'histoire de l'humanité, elle est présente à travers un très grand nombre de civilisations. On peut alors s'interroger sur l'intérêt qu'elle présente et sur le fait que son inutilité ne soit pas suffisante pour la récuser.

(deuxième partie)
 Ainsi nous (la société, chaque être humain) ne  pouvons nous autoriser à récuser la philosophie en raison de son inutilité, parce qu'elle présente des intérêts certains, certes inquantifiables, comme nous l'avons vu, mais bel et bien existants. Nous pourrions aussi évoquer l'utilité de la " production " de certaines idées philosophiques. La philosophie peut se révéler utile  en tant qu'elle oriente l'action et qu'elle apporte une compréhension du réel.
Rappelons tout d'abord que, étymologiquement, philosopher signifie " aimer la sagesse ". la philosophie se propose donc de tendre vers un idéal de sagesse, de bonheur. Elle guide les hommes en fonction de cette aspiration et en fonction de divers moyens pour y accéder. Ainsi les stoïciens développent le concept d'un mode de vie tourné vers l'ataraxie, c'est-à-dire l'absence de troubles. Il faut pour cela, disent-ils, distinguer ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas, et nous satisfaire de ne modifier que les choses que nous avons la capacité de changer ; Descartes, reprenant ces idées, disait : " mieux vaut changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde ". Pour atteindre un possible bonheur, il faut davantage penser à soi qu'au monde. Les épicuriens formulent de même des maximes qui visent à réaliser un état d'ataraxie et de bonheur chez l'homme. Ils recommandent ainsi de ne pas avoir peur ni de la mort ni des dieux et de trier nos désirs, c'est-à-dire de distinguer ceux qui sont réalisables de ceux qui ne le sont pas. Les philosophes prescrivent donc des orientations, des conseils quant aux modalités de la vie. Ils proposent également des fictions politiques, voire les réalisations de certains régimes. Rousseau dans son Contrat social, détermine ainsi les principes de l'Etat de droit, de volonté générale. Ces principes servent aujourd'hui de fondements au régime républicain démocratique. A travers sa pensée existentialiste, Sartre développe l'idée selon laquelle l'homme se constitue par ses actes, qu'il est absolument libre, c'est-à-dire responsable de ses actions. Une telle thèse pose l'homme comme un être d'action et ne peut donc que le pousser à agir, et à agir avec précaution, en tant justement qu'il est responsable de ce qu'il fait, à l'inverse d'une conception déterministe de l'homme.
 Les philosophes cherchent également à comprendre le réel, à l'expliquer. Comme l'indique
la citation du temple de Delphes, " connais-toi toi-même " : il s'agit avant tout de savoir qui nous sommes. Il est indéniable que la philosophie tend aussi à nous  rapprocher de la vérité. Nous n'oublions pas que la philosophie n'est pas une science et qu'elle n'apporte donc aucune connaissance ; mais elle stimule les sciences, leur indique des orientations de recherche, et fournit des interprétations du réel. Nous pensons par exemple à Locke et à Hobbes qui ont fourni des explications quant au passage de la société à l'Etat, et qui, par la même occasion, définissent ce qu'ils entendent par Etat. Nous pensons également à Merleau-Ponty qui propose une nouvelle interprétation de la perception. La philosophie, de ce point de vue, permet une compréhension du réel. Cette compréhension est évidemment nécessaire à l'évolution de l'homme, à son impact sur le monde. C'est en s'interrogeant sur ce monde, qu'il arrivera à s'approprier ce monde, comme lui-même, et donc à vivre mieux.
 C'est ainsi en s'interrogeant, en doutant, que l'homme devient également tolérant, convient de son humanité et de la complexité de celle-ci. Par la pensée philosophique, l'homme s'affranchit ainsi d'une certaine " barbarie ", c'est-à-dire qu'il prend de la distance avec soi-même et qu'il apprend à être maître de lui. Sans pour autant dire que la philosophie est le remède miracle, la solution contre le chaos et pour la paix,  on peut noter qu'elle participe à un mouvement d'émancipation, qu'elle favorise le dialogue. Nous ne négligeons bien sûr pas des théories philosophiques violentes comme celles de Nietzsche mais il nous semble tout de même nécessaire de remarquer que la  philosophie, en tant qu'un chemin vers la sagesse, ne peut qu'être un moyen de devenir sage, donc le plus humain possible.
 La philosophie oriente ainsi les pensées et donc les actions des hommes. Elle est nécessaire pour les sociétés en tant qu'elle conduit à un idéal de sagesse, qu'elle marche vers le Beau, le Bien, le Vrai, selon l'expression de Platon. A cet égard, elle peut apparaître comme utile. Cet adjectif est pourtant à employer avec précaution. Il semble que la philosophie soit plus " essentielle "  à l'homme qu' " utile " , comme nous la verrons dans notre dernière partie.


 (troisième partie)
  Il n'est pas ainsi approprié de parler d'utilité, ou même d'inutilité, à propos de la philosophie. En tant que réflexion, que passion, qu'essence même de l'homme, la philosophie se préoccupe peu de son utilité.
 Il ne s'agit pas de " produire " de la pensée, encore moins de la pensée utile, mais bien plutôt de réfléchir. Comme Montaigne le  disait à propos de l'éducation des enfants  dans son chapitre " De l'instruction " des Essais, il faut avoir " une tête bien faite plutôt qu'une tête bien pleine ".  La philosophie apprend à réfléchir, à problématiser, plutôt qu'elle ne cherche à établir des certitudes, des connaissances. On pourrait aussi l'opposer à l'histoire, aux sciences de l'homme, qui comme la philosophie, cherchent à comprendre le monde, l'être humain et la société, mais qui se basent sur les faits et qui établissent des certitudes et même des lois. Descartes disait : je ne suis pas plus intelligent qu'un autre, mais j'ai une méthode, soulignant ainsi le désir de structurer sa pensée, de lui fixer des règles, formulant en quelque sorte le propre de la philosophie. Rappelons à ce propos que la philosophie s'attache à la raison, qu'elle se veut donc essentiellement  logique.
 La philosophie " aime ". C'est un plaisir, une passion, et en cela, elle ne peut se définir par son utilité. On peut s'interroger d'ailleurs sur un possible parallèle entre ce qui est plaisant mais pas utile, comme l'amour, l'art, la philosophie, et ce qui est désagréable mais utile, comme le travail, dont l'étymologie est " tripalium ", c'est-à-dire instrument de torture. Bien sûr il s'agit de ne pas faire d'amalgame, ce qui est utile peut être plaisant. Mais la philosophie est un plaisir avant tout et de plus une donnée qui semble inhérente à l'homme. La vie, en effet, ne peut se réduire à des considérations matérielles. L'homme est également un esprit, un esprit pensant. Pour Descartes, il est même avant tout un " cogito ". L'homme a besoin de s'épanouir de façon intellectuelle et psychologique en réfléchissant, en se posant des questions, en appréhendant l'abstrait.  Et soulignons que même s'il s'agit d'un besoin pour l'homme de philosopher, la philosophie ne représente pas quelque chose d'utile pour l'homme, mais plutôt quelque chose de nécessaire, d'essentiel. Ainsi, pour Socrate, la philosophie est une maïeutique. Chaque homme est philosophe, il faut le faire accoucher de sa faculté philosophique. La philosophie ne s'enseigne pas puisqu'elle est à l'intérieur de chacun d'entre nous.
 Il ne semble pas approprié de parler de l'utilité de la philosophie puisque la philosophie ne se définit absolument pas  par cette donnée, mais bien plutôt par la réflexion et le plaisir qu'elle suscite. En tant qu'inhérente à chaque être, il semble de plus qu'elle soit impossible à récuser. Le critère d'inutilité est totalement insuffisant pour récuser la philosophie. 


  Le propre de la philosophie ne réside pas dans son inutilité ou son utilité, et donc son aspect inutile indéniable  n'est pas en mesure de nous déranger. Nous ne demandons pas à la philosophie d'être utile.  Pourtant, à certains égards, elle peut l'être, ou plutôt elle présente des intérêts non négligeables. Celui par exemple de nous faire réfléchir sur le fait que tout ne se réduit  à l'utile, qu'il est possible de se dégager de cette notion parfois dangereuse comme lorsqu'elle nous fait tomber dans l'utilitarisme. Ainsi la philosophie nous apprend-elle qu'il vaut mieux parfois privilégier l'intérêt de l'autre par rapport au sien, ce qui ne présente rien d'utile. Mais ce qui ne nous paraît pas utile directement peut l'être à une échelle plus grande, comme celle de l'humanité. Ce qui n'est pas utile immédiatement, concrètement, peut l'être dans une dimension plus large. C'est le cas de la vertu et de la philosophie.  Ainsi la philosophie est moins  utile que nécessaire.

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commentaires

K
Bonsoir à tous . Je voudrais savoir comment faire une bonne structuration des axes d'analyse d'un sujet
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L
Il n'y a pas de règle générale... Il faut transformer votre question en un problème qui soit en même temps structure.... Ca dépend vraiment du sujet !
J
Bonjour je suis nouvelle ici j’aimerais savoir comment faire une bonne intro philosophique
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L
Je ne peux pas répondre en deux mots! Voyez mes vidéos, je crois que je donne des conseils à ce propos.
K
Salut a tous
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L
Bienvenue Khadija...
C
Bonsoir.<br /> Comment fait une bonne introduction en philosophie
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L
Il faut développer une problématique et s'exprimer aussi clairement que possible..
I
Salut tout le monde ça fait plaisir d’être parmi vous... comme dit Descartes : le bon sens est la chose du monde la mieux partagée.. j'aimerai surtout rester connecter avec vous pour mieux m'amélioré en philosophie ...faites moi part de vos idées Merci.
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A
coucou
F
Svp les amis aider moi avec l'explication de la citation de la Karl Jaspers qui dit :>
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L
quelle citation?
A
salut tout d abord ,merci beaucoup pour tout vous dire .en fait je veux des conseil pour bien abordé les auteurs philosophiques.du reste en ce qui comme concerne je suis etudiant de philo à l universite de dakar au senegal pour ainsi dire UCAD.merci de votre comprehension..
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Y
Great !
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B
La philosophie est une école de cohérence au service d'une impulsion influant la vie, qui n'est qu'une sensibilité à éprouver.<br /> Emmanuel Macron, nourri aux mamelles de Machiavel et Paul Ricœur, pourra "faire bander" la sienne en politique, tout en marchant.
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K
ah bon pourquoi ça
I
super rédaction !!
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J
C'est par manque d'interêt que certains hommes ignorent l'importance de la philosophie mais la philosophie existe partout et elle donne du sens aux actions quotidiennes et un peut de coherence dans la politique de la vie elle est a la base des harties politiques et des institution du monde souvent on dit qu'elle se détache de la réalité.