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26 mars 2007 1 26 /03 /mars /2007 18:14

«Aucun crime n'offense la nature »
"Quant à la destruction de son semblable, sois-en certaine, Sophie', elle est purement chimérique, le pouvoir de détruire n'est pas accordé à l'homme, il a tout au plus celui de varier des formes, mais il n'a pas celui de les anéantir; or toute forme est égale aux yeux de la nature, rien ne se perd dans le creuset immense où ses variations s'exécutent, toutes les portions de matière qui s'y jettent se renouvellent incessamment sous d'autres formes et quelles que soient nos actions en ce genre,aucune ne l'offense directement, aucune ne saurait l'outrager; nos destructions raniment son pouvoir, elles entretiennent son énergie mais  aucune ne l'atténue. Eh, qu'importe à la nature toujours créatrice que cette masse de chair conformant aujourd'hui une femme, se reproduise demain sous la forme de mille insectes différents? oseras-tu dire que la construction d'un individu tel que nous coûte plus à sa main que celle d'un vermisseau et qu'elle doit par conséquent y prendre un plus grand  intérêt? or si le degré d'attachement ou plutôt d'indifférence est le même, que peut lui faire que par ce qu'on appelle le crime d'un homme, un autre soit changé en mouche ou en laitue? Quand on m'aura prouvé la sublimité de notre espèce, quand on m'aura démontré qu'elle est tellement importante à la nature que nécessairement ses lois s'irritent  d'une telle destruction, alors je pourrai croire que cette destruction est un crime; mais quand l'étude la plus réfléchie de la nature m'aura prouvé que tout ce qui végète sur ce globe, le plus imparfait de ses ouvrages, est d'un prix égal à ses yeux, je ne supposerai jamais que le changement de ces êtres en mille autres puisse jamais enfreindre ses  lois; je me dirai: tous les hommes, toutes les plantes, tous les animaux, croissant, végétant, se détruisant par les mêmes moyens, ne recevant jamais une mort réelle, mais une simple variation dans ce qui les modifie, tous, dis-je, se poussant, se détruisant, se procréant indifféremment, paraissent un instant sous une forme, et l'instant d'après sous une autre, peuvent au gré de l'être qui veut ou qui peut les mouvoir changer mille et mille fois dans un jour, sans qu'une seule loi de la nature en puisse être un moment affectée. Mais cet être que j'attaque est ma mère, c'est l'être qui m'a porté dans son sein. Et que me fait cette vaine considération? quel est son titre pour m'arrêter? songeait-elle à moi, cette mère, quand  sa lubricité la fit concevoir le foetus dont je dérivai? puis-je lui devoir de la reconnaissance pour s'être occupée de son plaisir? Ce n'est pas le sang de la mère d'ailleurs qui forme l'enfant, c'est celui du père seul; le sein de la femelle fructifie, conserve, élabore, mais il ne fournit rien, voilà la réflexion qui jamais ne m'eût fait attenter aux jours de mon père,  pendant que je regarde comme une chose toute simple de trancher le fil de ceux de la femme qui m'a mis au jour".
Donatien, marquis de Sade,Justine ou les Infortunes de la vertu (1791),Éd.. Le Livre de poche, 1993, p. 41.

 Photo de Salo, Pasolini




1. Surnom de Justine dans le roman.
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25 mars 2007 7 25 /03 /mars /2007 14:17

Je vous recommande les deux textes ci-dessous (Manifeste du futurisme, et "la guerre est belle"), en attendant mon corrigé.


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25 mars 2007 7 25 /03 /mars /2007 14:13
Le Manifeste du Futurisme  paru le 20 Février 1909 dans le Figaro
1. Nous voulons chanter l'amour du risque, l'habitude de l'énergie et de la témérité.
2. Le courage, l'audace et la révolte seront les éléments essentiels de notre poésie.
3. La littérature ayant jusqu'ici magnifié l'immobilité pensive, l'extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l'insomnie fiévreuse, le pas de course, le saut mortel, la gifle et le coup de poing.
4. Nous affirmons que la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l'haleine explosive ... une automobile rugissante qui semble courir sur la mitraille est plus belle que la Victoire de Samothrace.
5. Nous voulons célébrer l'homme qui tient le volant dont la tige idéale traverse la Terre, lancée elle-même sur le circuit de son orbite.
6. Il faut que le poète se prodigue avec ardeur, faste et splendeur pour augmenter la ferveur enthousiaste des éléments primordiaux.
7. Il n'y a plus de beauté que dans la lutte. Aucune oeuvre d'art sans caractère agressif ne peut être considérée comme un chef-d'oeuvre. La poésie doit être conçue comme un assaut violent contre les forces inconnues pour les réduire à se prosterner devant l'homme.
8. Nous sommes sur le promontoire extrême des siècles! ... Pourquoi devrions-nous nous protéger si nous voulons enfoncer les portes mystérieuses de l'Impossible? Le Temps et l'Espace mourront demain. Nous vivons déjà dans l'absolu puisque nous avons déjà créé l'éternelle vitesse omniprésente.
9. Nous voulons glorifier la guerre - seule hygiène du monde -, le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées pour lesquelles on meurt et le mépris de la femme.
10. Nous voulons détruire les musées, les bibliothèques, les académies de toute sorte et combattre le moralisme, le féminisme et toutes les autres lâchetés opportunistes et utilitaires.
11. Nous chanterons les foules agitées par le travail, par le plaisir ou par l'émeute : nous chanterons les marées multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes ; nous chanterons la ferveur nocturne vibrante des arsenaux et des chantiers incendiés par de violentes lunes électriques, les gares goulues dévorant des serpents qui fument, les usines suspendues aux nuages par des fils tordus de fumée, les ponts pareils à des gymnastes qui enjambent les fleuves étincelant au soleil comme des couteaux scintillants, les paquebots aventureux qui flairent l'horizon, les locomotives à la poitrine large qui piaffent sur les rails comme d'énormes chevaux d'acier bridés de tubes et le vol glissant des avions dont l'hélice claque au vent comme un drapeau et semble applaudir comme une foule enthousiaste.
C'est en Italie que nous lançons ce manifeste de violence culbutante et incendiaire, par lequel nous fondons aujourd'hui le Futurisme parce que nous voulons délivrer l'Italie de sa gangrène d'archéologues, de cicérones et d'antiquaires ..."
F.T. Marinetti
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25 mars 2007 7 25 /03 /mars /2007 14:06

L'OEUVRE D'ART A L'ERE DE SA REPRODUCTIBILITE TECHNIQUE...
   
"[...] C'est pourquoi [...] nous affirmons ceci : la guerre est belle, parce que, grâce aux  masques à gaz, au terrifiant mégaphone, aux lance-flammes et aux petits chars d'assaut, elle  fonde la souveraineté de l'homme sur la machine subjuguée. La guerre est belle, parce  qu'elle réalise pour la première fois le rêve d'un homme au corps métallique. La guerre est belle, parce qu'elle enrichit un pré en fleurs des orchidées flamboyantes que sont les mitrailleuses. La guerre est belle, parce qu'elle rassemble, pour en faire une symphonie, la
fusillade, les canonnades, les suspensions de tir, les parfums et les odeurs de
décomposition. La guerre est belle, parce qu'elle crée de nouvelles architectures, comme
celle des grands chars, des escadres aériennes aux formes géométriques, des spirales de
fumée montant des villages incendiés, et bien d'autres encore (...). Ecrivains et artistes
futuristes, [...]rappelez-vous ces principes fondamentaux d'une esthétique de guerre, pour
que soit ainsi éclairé [...) votre combat pour une nouvelle poésie et une nouvelle sculpture ! »
Ce manifeste a l'avantage de bien dire ce qu'il veut. Sa façon de poser le problème mérite
d'être reprise par le dialecticien. Voici comment se présente à lui l'esthétique de la
guerre d'aujourd'hui : lorsque l'usage naturel des forces productives est paralysé par le
régime de la propriété, l'accroissement des moyens techniques, des rythmes, des sources
d'énergie, tend à un usage contre nature. Il le trouve dans la guerre, qui, par les
destructions qu'elle entraîne, démontre que la société n'était pas assez mûre pour faire de
la technique son organe, que la technique n'était pas assez élaborée pour dominer les forces
sociales élémentaires. La guerre impérialiste, avec ses caractères atroces, a pour facteur
déterminant le décalage entre l'existence de puissants moyens de production et
l'insuffisance de leur usage à des fins productives (autrement dit, le chômage et le manque
de débouchés). La guerre impérialiste est une récolte de la technique qui réclame sous forme
de « matériel humain » ce que la société lui a arraché comme matière naturelle. Au lieu de
canaliser les rivières, elle dirige le flot humain dans le lit de ses tranchées ; au lieu
d'user de ses avions pour ensemencer la terre, elle répand ses bombes incendiaires sur les villes, et, par la guerre des gaz, elle a trouvé un nouveau moyen d'en finir avec l'aura.
Fiat ars, pereat mundus (1 , tel est le mot d'ordre du fascisme, qui, Marinetti le
reconnaît, attend de la guerre la satisfaction artistique d'une perception sensible modifiée
par la technique. C'est là évidemment la parfaite réalisation de l'art pour l'art. Au temps
d'Homère, l'humanité s'offrait en spectacle aux dieux de l'Olympe ; elle s'est faite
maintenant son propre spectacle. Elle est devenue assez étrangère à elle-même pour réussir à
vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de premier ordre. Voilà quelle
esthétisation de la politique pratique le fascisme. La réponse du communisme est de
politiser l'art."

 Walter Benjamin
Editions Médiations, p 124-126
1. « Que l'art s'effectue, même si le monde doit périr. » Détournement d'un adage latin:
Fiat justicia, pereat mundus
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20 mars 2007 2 20 /03 /mars /2007 13:56

L'ART ET LE BEAU (cours pour mes élèves de prépa, en vue du devoir du 23)



I Le domaine de l'art

II Le beau dans l'art et dans la nature

III  A quoi bon des poètes ?

IV  Art et réalité

LE DOMAINE DE L'ART

Art et beaux-arts

 Le mot " art " est dérivé de " ars ", traduction latine  du terme  grec " technê ". La " technê " a désigné longtemps l'ensemble des pratiques (" savoir-faire ", métiers) et des " arts ", dans le sens actuel du terme (création artistique) . Progressivement, le besoin s'est fait sentir de séparer les différentes formes d' " art ", et de réserver ce terme aux seules productions esthétiques. Au 18ième siècle apparaît le mot " technique " qui désigne les procédés employés dans n'importe quelle activité humaine pour obtenir un résultat déterminé. Parallèlement, les " beaux-arts "se dissocient des " arts mécaniques " , c'est-à-dire des procédés et méthodes fondées sur le travail manuel. Aujourd'hui, le mot " art " conserve les traces de ces péripéties. Au sens large, il désigne toutes les pratiques habiles utilisées pour obtenir un résultat déterminé (on parlera de l'art du jardinier, du comédien...). Au sens étroit, le terme renvoie à l'ensemble des activités ayant pour finalité la réalisation d'œuvres comportant une qualité " esthétique ". Quant au terme " esthétique ", il provient du grec (aistheticos : ce qui est perceptible par les sens) et il désigne tout ce qui plaît d'un point de vue sensible.
 
Art et technique

Il serait donc tentant d'opposer purement et simplement " art " et " technique ". Il faut noter toutefois que si l'art s'est effectivement affranchi de l'utile, s'il n'est pas lié à un savoir scientifique et (ou) transmis, les artistes utilisent toutefois des procédés et des règles : ils se fondent sur un " savoir-faire ". L'art n'est donc pas l'exact opposé de la technique. L'artisanat est précisément cette activité intermédiaire entre l'art (création libérée de toute fin utilitaire) et l'industrie (production d'objets utiles destinés au commerce). Comparer l'art et l'artisanat permet donc d'esquisser une définition de l'art, au sens moderne : " activité créatrice orientée vers la réalisation d'œuvres possédant une valeur en elles-mêmes, et non pas un intérêt déterminé ". 

Le statut incertain des œuvres

Mais l'histoire nous apprend que des œuvres, qualifiées d'objets d'art aujourd'hui, ont pu posséder un autre statut dans le passé. Des objets rituels, des pièces de mobilier, de simples ustensiles sont aujourd'hui exposés dans des musées (le musée des " Arts premiers ", par exemple) . Néanmoins, leur valeur esthétique fut, à l'origine, subordonnée à leur fonction (religieuse ou utilitaire). Autant dire que nos décisions, nos choix, déterminent a posteriori le statut des productions humaines. C'est ce que Marcel Duchamp avait montré, à sa manière, lorsqu'il inventa (1 le " ready made ", objet quelconque (un urinoir, en l'occurrence) élevé à la dignité d'oeuvre d'art par simple décision de l'artiste. Cela signifie-t-il que n'importe quoi, peut désormais être considéré comme relevant de l'art ? Tout ce qu'un homme fait n'est-il pas, par définition, de l' " art " (production artificielle témoignant d'une certaine créativité ou habilité) ?

Où commence, où finit l'art ?
De fait, les " beaux-arts " ont connu une évolution si spectaculaire depuis le début de ce siècle que le fameux pronostic de Hegel (2   aurait, semble-t-il, gagné en pertinence : Hegel croyait que l'art était, à terme condamné. Il était voué, pensait-il, à s' " auto-détruire " sur le mode de l'ironie, de la dérision (c'est-à-dire en se caricaturant lui-même) . Puis il devrait céder la place au savoir achevé  (la religion et la philosophie) . Les mutations dont ce siècle a été le théâtre nous montrent cependant que l'art connaît une vitalité inattendue, ainsi qu'un succès public indéniable. Cependant, parallèlement, les oeuvres ont perdu leur " aura ", c'est-à-dire ce caractère mystérieux ou sacré qui était sans doute l'héritage d'un certain passé, mais qui procédait également de leur unicité(texte 3).  Aujourd'hui, les œuvres sont reproductibles à l'infini. Un disque, une photo ne sont guère comparables au plafond de la chapelle Sixtine . On tend à considérer désormais que toute production humaine (image, clip, tag, etc...) peut susciter plaisir et admiration, pourvu qu'elle plaise. Or ce qui divertit plaît.  Une performance, un spectacle très divertissants, très réussis (un film d'action par exemple) doivent-ils  donc être considérés relevant de l'art ? Assurément non. La " désublimation " des oeuvres d'art,, l'extrême ouverture dont nous faisons preuve aujourd'hui à l'égard de toutes les formes d'activités créatrices ne saurait conduire à négliger la question traditionnelle de l'esthétique : "  qu'est-ce que le beau ? " Les œuvres d'art sont-elles belles, par définition, puisqu'elles nous plaisent ? Sinon, à quels titres retiennent-elles notre attention, et nous séduisent-elles ?

LE BEAU DANS L'ART ET DANS LA NATURE

Ce que le beau n'est pas
Ni une jeune fille (belle) ni une jument (belle) ni une marmite (même belle) ne sont le beau . Les belles choses ne sont que des incarnations possible d'une " idée " qu'elles ne peuvent ni contenir, ni fixer. Le beau n'est pas davantage une caractéristique objective de la chose. L'appréciation " c'est beau " concerne le sentiment que telle représentation éveille en nous. Ce sentiment est toujours singulier, comme le montre Kant. Il se distingue à la fois de l'agréable (comme l'est un gâteau au chocolat) ,  de l'utile (une casserole) et du bon (l'action accomplie par devoir). La satisfaction esthétique est " désintéressée et libre " : le beau peut n'être, à la limite, ni agréable, ni utile, ni bon, même si, dans bien des cas, il est associé à touts ces qualités, ce qui, précisément, sème la confusion .

Beau naturel et beau artistique
La seconde source de difficultés tient à l'éventuelle proximité du beau naturel et du beau artistique. Lorsqu'un peintre s'efforce de reproduire une grappe de raisin, il imite une apparence, éventuellement avec virtuosité. Est-ce à dire que l'œuvre est belle parce qu'elle suit fidèlement son modèle et restitue une qualité esthétique inhérente à celui-ci ? Evidemment pas. Les artistes, contrairement à ce que suggère Platon, ne sont pas de simples " illusionnistes ". Une telle conception dévalorise l'activité artistique, la rendant dérisoire.  " Imiter la nature  n'est pas  le but de l'art ", comme le montre Hegel.

La beauté  libre
 Les arts, il faut toujours le rappeler, ne sauraient se réduire à la seule peinture figurative. L'architecture, la musique, la danse (par exemple) peuvent  nous charmer, nous réjouir , indépendamment de toute référence à un modèle, un objectif, ou une signification préalables ( (3 . L'art et la nature nous plaisent l'une et l'autre sans raison précise (sans " concept ", dit Kant) , en vertu d'un charme indécis, ineffable, et parfois fugitif. En outre, il n'est pas toujours possible de décider si c'est l'art qui imite la nature -comme le veut le sens commun- ou si c'est l' "  la nature qui imite l'art" . La grâce de la nature paraît emprunte de spiritualité (un peu comme si " la nature imitait l'humain ", comme le  remarque Hegel), tandis qu la source d'inspiration du génie semble " naturelle ". Il est donc vain de chercher à opposer le beau naturel et le beau artistique ( présenté comme la plus haute des " manifestations sensibles de l'Idée " (4.

A QUOI BON DES POETES ?

Le génie
La création artistique présuppose, en règle générale, du talent et, plus rarement, du " génie ". Le talent est une " disposition remarquable " qui assure la réussite, en particulier dans le domaine artistique. Le génie est une aptitude supérieure, voire exceptionnelle, qui rend capable de créations, ou d'entreprises sortant du commun. On a longtemps opposé l' " artisan laborieux " et le " génie inspiré ". Platon supposait les poètes conseillés par les muses ou habités par des Dieux ( 5). Kant soutient, pour sa part, que c'est la nature qui, à travers le génie, " donne ses règles à l'art ". Il est vrai que la raison avoue ici son trouble : elle ne peut que s'incliner devant le caractère énigmatique de l'acte créateur. Non que l'artiste produise sans effort, sans contrainte, encore moins sans travail . Mais dans l'œuvre accomplie, le labeur a su se faire oublier. La réussite géniale ne se laisse déduire d'aucune règle préalable.  Toutefois , le génie a le pouvoir de produire des œuvres exemplaires, c'est-à-dire dont les règles singulières inspireront d'innombrables disciples : les " beaux-arts ", écrit Kant, ne sont possibles que comme produits du génie " .

La " négativité " de l'art.
Il y a donc un mystère, une irrationalité, maintes fois soulignées, de la création esthétique.  De fait, bien souvent, l'œuvre novatrice déconcerte, elle surprend  l'amateur. Cette incorrection -ou " négativité "- de l'œuvre d'art est la raison même de sa fécondité. Protestation contre les normes et les raideurs d'un temps, l'art est toujours rebelle. Il nous entrouvre ainsi les portes d'un autre monde. Mais cet univers " sur-réel ", plutôt qu'irréel n'est ni un fantasme, ni une utopie. Il constitue plutôt l'approfondissement de tout ce " qu'abrite l'esprit humain " et que l'art a pour tâche de représenter . Inutiles, dans le sens usuel de ce terme, (qui ne répond pas à un besoin vital, ni matériel), les œuvres d'art ne sont pas des productions arbitraires, " narcissiques " ou " asociales ". Bien au contraire, l'art répond à certaines des aspirations  les plus fondamentales des hommes. Instaurant un " monde " stabilisé qui réunit et distribue une profusion de significations,  les créateurs et les poètes inventent une " patrie " inespéré pour les mortels. Dans la langue des formes et des symboles qui est la leur, ils tentent  d'apaiser cette " soif inextinguible de biens impérissables " dont parle Jankélévitch, et que la religion aujourd'hui ne parvient pas toujours à étancher.

ART ET REALITE

" La vraie vie, c'est la littérature "
L'univers des oeuvres d'art est d'une intensité telle qu'il peut faire paraître insipide notre monde prosaïque : " là où l'homme cultivé saisit un effet, l'homme d'esprit inculte attrape un rhume " ironise O. Wilde. Certains écrivains, comme Proust par exemple, ont pu déclarer que " la vraie vie, c'est la littérature ". Mais ne nous méprenons pas : les artistes ne sont ni des extraterrestre ni des " surhommes ".Leurs œuvres nous émeuvent, parfois  nous désarment, parfois, parce qu'elles touchent nos fibres les plus profondes et les plus secrètes . Autant dire que si les artistes ne se contentent pas de reproduire le réel, ils ne l'inventent pas non plus . Ils le dévoilent, ou l'expriment, comme le montre bien la pertinente  métaphore photographique, filée à la fois par Proust et par Bergson .

Magie de l'art
En " révélant " le monde, l'artiste ne s'y soumet donc pas. Bien au contraire, il l'investit à sa manière. Non pas sans doute comme les scientifiques et les techniciens qui consacrent l'essentiel de leur énergie à aménager la nature, à l'améliorer tout en la corrigeant (comme on " corrige " un enfant capricieux). Si les artistes, quant à eux, prennent possession du réel , c'est  sans violence. Leur maîtrise  est d'ordre magique, au sens strict de ce terme : "  qui agit sur le réel par le truchement du symbole ". L'art est une conquête dont les armes sont les formes et  les couleurs, et les champs de bataille, les ateliers, les murs de la ville, les salles de concert ou les studios d'enregistrement. En transfigurant le monde, en le redéployant dans un univers dont les créateurs sont les seuls architectes, les artistes accomplissent le destin de l'esprit, qui est de réaliser son autonomie. La beauté est libératrice : l'éducation esthétique est bien ce moyen privilégié  par lequel l'homme parvient à " instituer " sa propre humanité .

Note 1 : Exposition de " La Fontaine " , en 1917, aux Indépendants de New York .
Note 2 : Esthétique, I, Editions Flammarion, Champs, 1979, p 101.
Note 3 : La beauté d'une œuvre est " libre ", et non pas " adhérente ", suivant Kant (Critique de la faculté de juger, § 16).  " Adhérente " signifie : dont la valeur est liée à une fonction autre qu'esthétique. La beauté " libre " plaît par elle-même, par la simple grâce de ses libres formes, dénuée de toute signification.
Note 4 : Esthétique, I, p160.
Note 5 : Dans le dialogue Ion.

















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20 mars 2007 2 20 /03 /mars /2007 13:49

Ségolène Royal souhaite réviser la carte scolaire "pour supprimer les ghettos et assurer la mixité".
 Je dois dire, sans mauvais esprit, que je ne comprends pas bien ...
Si l'on révise la carte scolaire, les bons (ou ambitieux) élèves des "ghettos"  partiront pour rejoindre de meilleurs lycées. Ce qui aggravera la situation des lycées ghettos.. .
Quant aux bons élèves, issus  des "bons" lycées ils auront la possibilité de suivre le chemin inverse et de s'inscrire dans les lycées que les autres ont fuis. Mais le feront-ils?

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17 mars 2007 6 17 /03 /mars /2007 11:57

D'après Jacques Rancière ("La  haine de la démocratie") la seule formule authentiquement démocratique est le tirage au sort.
 Toute autre formule contient implicitement l'idée aristocratique que certains sont plus aptes (plus compétents, plus éclairés, meilleurs donc) que d'autres pour gouverner.
 Il serait donc judicieux de tirer au sort notre prochain président de la République, parmi les onze candidats?
Qu'en pensez-vous?

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16 mars 2007 5 16 /03 /mars /2007 22:07

A lire Bayrou vu par  The economist

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16 mars 2007 5 16 /03 /mars /2007 15:45

(par F. Khodoss)

La République

Selon un usage ancien, le terme de République désignait l'État, quelle que soit la forme du gouvernement. C'est ainsi que Bodin (Index, p. 101) intitule Les six Livres de la République, un exposé de la souveraineté absolue et indivisible du roi, responsable devant  Dieu seul et non devant ses sujets. Cette souveraineté est dérivée de la puissance du père de famille, thèse attaquée dans le Contrat social, chapitre II, Livre I (ci-dessus, p. 10).
Chez Rousseau est République tout État de droit. « Tout gouvernement légitime est
républicain' », et il rappelle en note qu'il n'oppose pas république à monarchie mais à
despotisme. Qu'une monarchie puisse être une République, c'est ce que notre histoire
nationale nous rend difficile à comprendre. On peut rappeler, cependant, qu'en 1789 personne
ne songeait à abolir la monarchie, pas même Robespierre. C'est que les futurs républicains
voyaient dans le roi un fonctionnaire, un serviteur de l'État et non un Souverain. Tout cela
devient clair si l'on a le vocabulaire de Rousseau bien présent à l'esprit.
 La souveraineté
Le concept de souveraineté avait été formulé explicitement par Bodin au XVI' siècle. La
pratique en était bien antérieure et se trouve plus qu'esquissée dans les sociétés antiques.
Le terme latin d'imperium, après avoir désigné le pouvoir du général en chef, a pris le sens
de souveraineté par la réunion en une seule main des pouvoirs militaire, civil et religieux.
Vocabulaire d'où les modernes ont dérivé les mots d'empire et d'empereur. Pour les modernes,
le terme de souveraineté évoque facilement une royauté absolue comme celle de Louis XIV. Ce
qui ne signifie pas qu'un tel souverain ne rencontre ni obstacles ni contradiction, mais
qu'aucun contre-pouvoir n'est reconnu comme légitime.
La souveraineté selon Bodin est perpétuelle et absolue. Perpétuelle, ainsi « en France le
roi ne meurt jamais », répète-t-on. Sitôt qu'un roi expire, il est remplacé, à l'instant,
par celui que désigne l'ordre de succession, connu d'avance, le successeur fût-il un enfant
en bas âge. Derrière cette fiction se dessine une réalité : la continuité du service public,
principe que la République a conservé. Absolue, parce qu'elle consiste à faire la loi. Il
faut, dit Bodin, « que ceux-là qui sont souverains... puissent donner loi aux sujets ». Mais
si le pouvoir souverain est absolu parce que législatif, il n'en est pas moins borné. Ce
point est difficile à comprendre, c'est ce qui fait l'importance dans le Contrat social du
chapitre IV, Livre Il. Ce chapitre pose « les bornes du pouvoir souverain ». Or le terme de
« bornes » est susceptible d'ambiguïté : un pouvoir peut être borné par des obstacles
extérieurs. Des institutions peuvent produire un équilibre des pouvoirs. Ainsi, l'existence
de deux assemblées législatives (Lords et Communes en Angleterre, Sénat et Chambre des
Députés en France) correspond au souci de limiter, l'un par l'autre, des pouvoirs analogues,
mais désignés par des voies différentes et représentant des aspects différents de la nation.
De tels dispositifs se retrouvent dans beaucoup d'États dans lesquels nous reconnaissons des
« démocraties » que Rousseau aurait appelées « républiques ».Or ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici. C'est par sa propre nature que le pouvoir souverain est borné. Absolu dans sa sphère propre, le pouvoir souverain ne peut rien s'il sort de cette sphère. Et cela pour les mêmes raisons qui font que la volonté générale est toujours droite. Rousseau n'entend pas par là une infaillibilité qui transférerait aux peuples le droit divin des rois. La volonté populaire peut se tromper, mais alors ou bien elle est mal informée, ou bien elle subit des pressions et des influences qui lui ôtent la généralité. Que le peuple puisse être mal informé, Rousseau ne l'a jamais nié. Il est ce « Législateur en corps [qui] est impossible à corrompre, mais facile à tromper' ». Mais si le peuple ne voit pas toujours  le bien, il le veut toujours car tout être veut son propre bien. Si le peuple est divisé, c'est que plusieurs peuples sont superposés dans une nation. Les mots de « société sans
classes » n'appartiennent pas au vocabulaire de Rousseau, mais sa notion de peuple y fait
penser. C'est pourquoi il souhaite de fort petits États où tous aient les mêmes conditions
de vie et les mêmes intérêts. L'homogénéité est alors, croit-il, obtenue sans contrainte,
par un accord spontané, et s'il refuse les grands États, c'est parce qu'il voit bien qu'une
telle unité y est impossible.
Le Souverain et le gouvernement
L'important est donc de distinguer le Souverain et le gouvernement et tout ce qui se
rattache à l'un ou l'autre de ces termes. La fonction du Souverain est de légiférer, mais
comme la loi est l'expression de la volonté générale, le Souverain ne peut pas être un
individu, ni un groupe restreint comme le Sénat de Venise, mais le peuple tout entier. Ainsi
la Constitution de 1791 pouvait dire : « La souveraineté appartient à la Nation [...] aucun
individu ne peut s'en attribuer l'exercice [...] Le gouvernement est monarchique. »
Arbitraire et absolu
Ainsi se résout la question posée déjà par les juristes de la royauté le prince est-il
au-dessus des lois ? Question irrémédiablement embrouillée pour qui confond prince et
souverain, et parfaitement claire dès lors qu'on les distingue. Si l'on appelle prince le
chef de l'exécutif, « le premier fonctionnaire public », alors, celui-ci chargé d'appliquer
les lois n'est pas au-dessus d'elles, pas plus que n'importe quel agent de l'autorité
publique. Mais dans la doctrine de la royauté absolue, le roi est souverain, c'est-à-dire
(selon la formule de Bodin) qu'il donne loi. Il est donc au-dessus des lois car il n'est pas
seulement leur garant, mais leur auteur. C'est cette notion de la souveraineté que Rousseau
transfère au peuple. N'est-ce pas le principe d'un absolutisme républicain ?
C'est ici qu'interviennent ces bornes internes que décrit le chapitre IV du Livre Il. Et
d'abord la souveraineté du peuple, si elle est absolue, n'est pas pour autant arbitraire.

L'arbitraire s'introduit lorsqu'il faut décider sur des cas et que celui à qui appartient la
décision suit un intérêt singulier, une sympathie, une haine, et même la pitié'. Par ce qui pré cède, on comprend facilement que l'arbitraire n'est pas possible si le souverain reste dans son domaine propre. L'arbitraire ne peut venir que de l'exécutif (le prince, le gouvernement), ce qui
pose un tout autre problème : comment exercer un contrôle sur le gouvernement, comment
permettre un recours contre ses actes sans cependant le paralyser ? Toutes les démocraties
modernes ont rencontré ce problème et lui ont à peu près trouvé des solutions. La
distinction même entre l'exécutif et le législatif est une garantie contre l'arbitraire : le
souverain qui « donne loi » ne peut décider du sort des individus ; le gouvernement qui gère
les situations concrètes est tenu par la loi.
(extrait de Du contrat social , présentation F. Khodoss, Classiques Hatier de la philosophie)

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15 mars 2007 4 15 /03 /mars /2007 19:21

 Les Oeuvres de Buffon paraissent en Pléiade
Extrait de Histoire naturelle  (cité ce soir par  le Monde,  Buffon, critique de la société de consommation)
« L'homme consomme, engloutit lui seul plus de chair que tous les animaux ensemble n'en dévorent ; il est donc le plus grand destructeur, et c'est plus par abus que par nécessité ; au lieu de jouir modérément des biens qui lui sont offerts, au lieu de les dispenser avec équité, au lieu de réparer
à mesure qu'il détruit, de renouveler lorsqu'il anéantit, l'homme riche met toute sa gloire à consommer, toute sa grandeur à perdre en un jour à sa table plus de biens qu'il n'en faudrait pour faire subsister plusieurs familles ; il abuse également des animaux et des hommes, dont le reste demeure affamé, languit dans la misère, et ne travaille que pour satisfaire à l'appétit immodéré et à la vanité encore plus insatiable de cet homme qui, détruisant les autres par la disette, se détruit lui-même par les excès. »
Extrait de l'article sur le boeuf.
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