http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20160129.OBS3681/l-etat-islamique-est-une-revolution-par-scott-atran.html
Passionnant article.
Voici un extrait:
"Ce que la communauté internationale considère comme des atrocités dénuées de sens correspond, dans l’esprit des militants de l’EI, à une campagne exaltée de purification, à travers des meurtres sacrificiels et des actions-suicide : "Sachez que le paradis est à l'ombre des sabres", dit un hadith (parole du prophète) tiré du recueil "Sahih al-Boukhari", considéré comme le livre le plus authentique après le Coran. Devenu le mot d’ordre préféré des combattants de l’EI, cet hadith résume le plan délibéré de violence qu’Abou Bakr al-Baghdadi, calife autoproclamé de l'Etat islamique a dessiné dans son appel aux "volcans du djihad" : il s’agit de bâtir un archipel djihadiste mondial, qui finira par s'unir pour détruire le monde actuel et pour le remplacer par un nouveau/ancien monde de justice et de paix, sous la bannière du Prophète.
Pour y parvenir, une tactique-clé consiste à attirer vers la violence des sympathisants dans le monde entier : faites ce que vous pouvez, avec ce que vous pouvez, où que vous soyez, et quand cela vous est possible...
Pour comprendre la révolution, mon équipe de recherche a conduit des douzaines d’interviews approfondies et des études de comportement avec des jeunes gens de Paris, Londres, et Barcelone ainsi qu’avec des combattants de l’EI capturés en Irak et des membres de Jabhat al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaeda). Nous nous sommes aussi concentrés sur la jeunesse de quartiers déshérités, considérés comme des pourvoyeurs de jihadistes, comme à Clichy-sous-Bois ou Épinay-sur-Seine, dans la banlieue parisienne ou au Maroc, dans les quartiers de Sidi Moumen (Casablanca) ou Jamaa Mezuak (Tetuán).
Alors que beaucoup de commentateurs réduisent l’islam radical à un simple "nihilisme", nos travaux montrent que nous sommes en présence d’un phénomène bien plus menaçant : un projet profondément séduisant, visant à changer et sauver le monde.
En occident, on cultive le déni : l’existence d’un tel projet n’est pas prise au sérieux. Pour Olivier Roy, un penseur pourtant brillant et subtil, les auteurs des attentats de Paris sont, comme les jeunes qui rejoignent l’EI, des marginaux, ignorants des questions religieuses ou géopolitiques, dépourvus de vrais rancœurs historiques. Ils prennent la vague de l’islam radical pour exprimer leur prétendu nihilisme, car c’est le plus grand et le plus affreux des mouvements de contre-culture à leur disposition. Comment expliquer autrement qu’une mère décide d’abandonner son bébé pour aller massacrer des innocents qui ne lui ont rien fait, comme cela a été le cas à San Bernardino, en Californie, début décembre ? On aurait tort, pourtant, de ne voir dans cette révolution EI qu’un simple refuge pour marginaux délinquants.
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Notre recherche suggère qu’il en est souvent ainsi pour ceux qui se joignent à l’EI, et pour de nombreux Kurdes qui s’opposent à lui sur les lignes de front. Mais jusqu'à présent, nous ne trouvons aucune volonté comparable chez la majorité des jeunes dans les démocraties occidentales. Avec la défaite du fascisme et du communisme, la recherche de confort et de sécurité ne semble pas suffire à combler leur vie. Suffit-elle à assurer la survie - à défaut du triomphe - des valeurs que nous pensons acquises, et sur lesquelles nous avons la conviction que le monde est fondé ? Plus que la menace que font peser les djihadistes, ces questions représentent le principal problème existentiel de nos sociétés ouvertes".
Traduit par Pascal Riché