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6 mai 2014 2 06 /05 /mai /2014 17:58

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« Vous devez avoir, dit Candide au Turc, une vaste et magnifique terre ? - Je n’ai que vingt arpents, répondit le Turc ; je les cultive avec mes enfants ; le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice, et le besoin. » 

Candide, en retournant dans sa métairie, fit de profondes réflexions sur le discours du Turc. Il dit à Pangloss et à Martin : « Ce bon vieillard me paraît s’être fait un sort bien préférable à celui des six rois avec qui nous avons  
eu l’honneur de souper. - Les grandeurs, dit Pangloss, sont fort dangereuses, selon le rapport de tous les philosophes : car enfin Églon, roi des Moabites, fut assassiné par Aod ; Absalon fut pendu par les cheveux et percé de trois dards ; le roi Nadab, fils de Jéroboam, fut tué par Baaza ; le roi Éla, par Zambri ; Ochosias, par Jéhu ; Athalia, par Joïada ; les rois Joachim, Jéchonias, Sédécias, furent esclaves. Vous savez comment périrent Crésus, Astyage, Darius, Denys de Syracuse, Pyrrhus, Persée, Annibal, Jugurtha, Arioviste, César, Pompée, Néron, Othon, Vitellius, Domitien, Richard II d’Angleterre, Édouard II, Henri VI, Richard III, Marie Stuart, Charles Ier, les trois Henri de France, l’empereur Henri IV ? Vous savez... - Je sais aussi, dit Candide, qu’il faut cultiver notre jardin. - Vous avez raison, dit Pangloss : car, quand l’homme fut mis dans le jardin d’Éden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu’il travaillât, ce qui prouve que l’homme n’est pas né pour le repos. - Travaillons sans raisonner, dit Martin ; c’est le seul moyen de rendre la vie supportable. » 

Toute la petite société entra dans ce louable dessein ; chacun se mit à exercer ses talents. La petite terre rapporta beaucoup. Cunégonde était à la vérité bien laide ; mais elle devint une excellente pâtissière ; Paquette broda ; la vieille eut soin du linge. Il n’y eut pas jusqu’à frère Giroflée qui ne rendît service ; il fut un très bon menuisier, et même devint honnête homme ; et Pangloss disait quelquefois à Candide : « Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles ; car enfin, si vous n’aviez pas été chassé d’un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l’amour de Mlle Cunégonde, si vous n’aviez pas été mis à l’Inquisition, si vous n’aviez pas couru l’Amérique à pied, si vous n’aviez pas donné un bon coup d’épée au baron, si vous n’aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d’Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches. - Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin. »





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commentaires

T
<br /> Serait-il possible de connaître la façon dont vous interprétez ce passage ? J'ai toujours du mal avec le personnage de Pangloss que Voltaire utilise en général pour railler les "sophistes" (si je<br /> ne me trompe pas) mais qui des fois semble directement traduire la pensée de Voltaire. Ici que faut-il comprendre ?<br /> <br /> <br /> - Que Pangloss est dans l'erreur par son apologie du travail manuel et bête (les deux ne sont pas nécessairement associé mais ici il s'agit "de ne pas raissonner") infiniment préférable au<br /> pouvoir (ce qu'il s'empresse de nous prouver par des exemples pour moitié mythologiques) ?<br /> <br /> <br /> - Que Pangloss a raison mais qu'il est risible puisqu'il persiste à raisonner sur le sujet au lieu de réellement travailler son jardin ?<br /> <br /> <br /> Je préfere associer les deux d'ailleurs en y voyant une satyre des puissants et des penseurs qui font l'apologie de la vie humble et simple de ceux qui n'ont rien sans pour autant cesser de<br /> courir après le pouvoir, de posséder ou de disserter. Preuve peut-être que la situation des plus pauvres n'est pas la plus enviable qui soit... mais là c'est peut-être mon crypto-marxisme qui se<br /> réveille !<br /> <br /> <br /> Autre chose : vous vous souvenez peut-être de cette longue discussion que nous avions eu qui tenait à la place des textes dans les religions du livre et plus largement du rôle de la religion dans<br /> la sphère politique en terre d'Islam et en terre chrétienne. Vous défendiez à l'époque l'idée que le christianisme, au contraire de l'Islam, était "une religion de sortie de la religion" (en<br /> particulier grâce au passage des marchands du temple ou Jésus les chasse et proclame "rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu").<br /> <br /> <br /> J'aimerais revenir sur ce débat avec un angle historique. Mon principal argument à l'époque était que l'interprétation des textes est tellement variable que la teneur du texte n'a qu'une<br /> importance mineure par rapport à l'instrument que représente une religion (bien sûr certaines choses comptent : l'impact de la Chariah ou de l'incarnation de Dieu en Christ sur la politique et<br /> l'Histoire n'est pas non plus négligeable). Le passage que vous citez par exemple a vu de nombreuses interprétations contradictoires, celle que vous citez ne servant qu'à aseoir votre point de<br /> vue, encore aujourd'hui :<br /> <br /> <br /> - http://www.lejourduseigneur.com/Web-TV/Homelies/Temps-du-Careme/3eme-dimanche/B/Jesus-a-chasse-les-vendeurs-du-temple-Pourquoi<br /> <br /> <br /> - http://www.spiritualite-orthodoxe.net/marchands_temple_orthodoxie.html<br /> <br /> <br /> Cette interprétation aurait d'ailleurs parue au mieux stupide et au pire blasphématoire à un prêtre du Moyen Âge. Pour rappel : pendant plusieurs siècles le Pape cherche à asseoir un pouvoir<br /> théocratique (par exemple Clément IV) qui n'a rien à envier à l'Iran. A l'époque où en terre chrétienne le Pape lutte contre l'empereur pour savoir qui d'eux deux a la prééminence sur les rois<br /> (en gros), l'Islam est divisée en au moins trois califats eux-même parfois soumis à des pouvoirs "terrestres" (ls Turcs pour les Omeyyades par exemple). Tout ça pour dire que plus le temps passe<br /> et moins je souscris à votre vision essentialiste du fait religieux, après tout ce sont les hommes qui font les livres (quant aux dieux je laisse la question en suspens même si j'ai bien<br /> évidemment mon point de vue). Je ne sais pas où vous en êtes sur ces questions cela-dit, peut-être avez-vous changé d'avis ?<br /> <br /> <br /> Tom.<br />
Répondre
L
<br /> <br /> Tom, merci encore de vos interventions..<br /> <br /> <br />  Pour le texte de Candide, je vous réponds ce soir <br /> <br /> <br /> La je cours à IPESUP et je n'ai pas trop le temps de vous répondre. Mais je ne ciomprends pas ce que vosu appelez une vision essentialiste de la religion. <br /> <br /> <br />  Pour moi, oui, c'est ce qui est écrit qui me permet de décider ce que "vaut"  (ce que prescrit ) religion et non ses effets ou prolongements  historiques ou factuels (sinon on<br />  juge l'islam à partir de Boko-Haram?). <br />  Je suis sur ce point Remi Brague (les différentes approches de la LOI selon les trois religions du livre) <br /> <br /> <br /> Pour moi le Christ, c'est <br /> <br /> <br /> "Si on me frappe sur une joue , je tends l'autre joue" et "Que celui qui n'a pas pêché lui lance  la première pierre" (la femme adultère)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Quant à la religion juive, c'est la liberté ( cf Levinas: Difficile liberté)<br /> <br /> <br />  Quant au Coran et à ses prescriptions guerrières, je ne suis pas assez compétente pour l'interpréter comme il le faudrait..<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Suite<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Cher Tom, Pangloss n'est pas à proprement parler un sophiste: il est la copie conforme  de Leibniz, caricaturée<br /> par Voltaire, qui représente tout ce que celui-ci rejette: le génie choyé par la « bonne société », le mondain, le conseiller des princes (alors que Voltaire a rompu avec Frédéric<br /> II), le créateur d'un « optimisme » philosophique (le titre de Candide est: Candide ou l'optimisme) basé sur une métaphysique façonnée hors de<br /> toute réalité (les « monades », substances indivisibles, indestructibles, individuelles et indépendantes les unes des autres mais en relation les unes avec les autres et en<br /> perpétuelle évolution en fonction de ces relations). Pour Leibniz, il existe une monade première, Dieu, « architecte de la machine de l'univers » qui organise celui-ci. Dieu étant<br /> parfait, cette organisation vise elle-même à la perfection en fonction d'une « harmonie préétablie ». L'extrême diversité des monades permet donc de considérer qu'une infinité de<br /> mondes est possible, mais Dieu n'a créé qu'un seul monde, à partir de cette visée de perfection, qui est donc « le meilleur monde possible » (antienne de Pangloss). Dans<br /> sa Théodicée, Leibniz s'efforce de répliquer à l'objection qui vient immédiatement à l'esprit : si nous vivons dans le meilleurs des mondes possibles, pourquoi le mal<br /> existe-t-il ? A quoi Leibniz répond, en substance, que le mal est toléré par Dieu parce qu’il peut aussi être un bien : le mal métaphysique permet à l’homme de mesurer sa propre<br /> imperfection, le mal physique lui permet de s’améliorer (soins ou punition légitime), le mal moral, preuve de sa liberté, lui permet d’accéder à la rédemption.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Tout le « conte philosophique » qu’est Candide est une réplique, cinglante, à cette<br /> théorie porteuse, selon Voltaire (non sans quelque raison !), d’un fatalisme portant à la résignation devant le « meilleur monde possible » régi par le pouvoir des puissants.<br /> Pangloss est, jusqu’à cette conclusion, le maître à penser de Candide. Après avoir traversé une infinité d’épreuves, Candide, parti du château du baron de<br /> Thunder-ten-tronckh, en Westphalie, aboutit avec sa petite troupe chez un vieillard turc et musulman qui, grâce à la culture de ses vingt arpents, éloigne de lui « l’ennui, le<br /> vice et le besoin ». Le travail a ainsi une vertu eudémoniste (voir dans le conte le personnage de Pococurante, chez qui l’oisiveté déclenche la neurasthénie), morale et économique.<br /> Candide, après s’être plongé dans de « profondes réflexions » se rend compte qu’ « exercer ses talents » par le travail donne sa pleine mesure à l’homme, qu’une vie<br /> modeste employée à des activités utiles, qui sont celles du peuple (« excellente pâtissière », « Paquette broda » ; « soin du<br /> linge », « très bon menuisier ») rend plus heureux et plus « honnête » que celle des rois ou de leurs courtisans, et qu’une pensée concrète, nourrie de  cette<br /> sagesse (même quand elle émane d’un Turc) vaut mieux que les discours creux de métaphysiciens ivres de pouvoir, de richesse et de gloire à l’instar de leurs maîtres.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Cette conclusion marque la rupture de Candide avec Pangloss qui, lui, ne travaille pas et persiste à ratiociner. Candide le coupe à<br /> plusieurs reprises pour lui rappeler qu’ « il faut cultiver son jardin ». Pangloss, lui, n’évolue pas : il continue à se référer à d’autres (« selon le rapport de tous<br /> les philosophes », référence à la Bible) avant de terminer en soutenant de manière cocasse et dérisoire que tous les malheurs qu’ils ont connus menaient fatalement à cette conclusion<br /> heureuse. Candide, lui, s’est nourri de l’expérience et est devenu capable d’une pensée autonome, propre à l’être humain. C’est lui, le vrai « philosophe », celui des<br /> Lumières.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Dans ce texte, « travail » et « culture » sont employés indifféremment. « Cultiver son jardin » est à<br /> prendre au sens propre (activité modeste et utile qui permet d’accéder aux vertus énoncées plus haut et de vivre des revenus de son travail : « la petite terre rapporta<br /> beaucoup ») et aussi, bien sûr, dans sa dimension sociale et intellectuelle : il s’agit de se cultiver et d’enrichir ses pensées et sa compréhension du monde.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Martin, l’homme du peuple un peu fruste, ne fait qu’un bout de chemin (« Travaillons sans raisonner »), mais dans la bonne<br /> direction, contrairement à Pangloss. On ne peut pas demander à tous les êtres simples d’être intelligents, mais on peut les faire travailler…<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Voltaire exprime ainsi les aspirations d’une bourgeoisie montante, contestatrice de la noblesse parasitaire et arrogante, mais qui ne<br /> confond pas son statut avec celui des classes laborieuses : Candide apparaît dans cette conclusion comme le « chef », le guide éclairé de sa petite communauté. On est loin<br /> évidemment, dans cette description du travail assimilé à la culture, du travail salarié et exploité du mode de production capitaliste qui frappe à la porte, même si on peut, en filigrane,<br /> en repérer les germes.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Réponse fournie à ma demande par mon ami Jean-François qui est plus compétent que moi à propos de  Voltaire..<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />