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14 décembre 2014 7 14 /12 /décembre /2014 14:37

Le-mariage-une-institution-millenaire_article_popin.jpgLa contrainte est-elle toujours le contraire de la liberté ? 

Introduction 

Le sens commun définit volontiers la liberté comme étant l’absence de toute contrainte. Être libre, n’est-ce pas en effet le pouvoir, pour chacun, d’agir à sa guise ? La contrainte, du latin « constrigere » (« serrer »), est constituée par toute règle, limite ou obstacle qui entrave l’action. À ce stade, on considérera donc que la contrainte est l’exact opposé de la liberté. Mais on ne peut ignorer que, d’un autre côté, aucune liberté effective ne peut se concevoir indépendamment de toute contrainte. Ni l’enfant capricieux ni le tyran n’ignorent les contraintes. Le premier est l’esclave de ses désirs, le second est à la merci de sa garde rapprochée, voire de son opinion publique. De quelque manière que l’on conçoive la liberté, celle-ci ne peut ignorer ni les nécessités naturelles ni la présence irréfutable des autres. La question ne peut être par conséquent que celle-ci : quelles sont, parmi les contraintes, celles qui s’opposent à la liberté ? À partir de quand, et suivant quels critères, doit-on considérer qu’une contrainte entrave ou exclut la liberté ? Et comment définir la liberté, pour finir, si l’on cesse de la tenir pour une pure et simple absence de contraintes ? 62 

I. Les contraintes subies restreignent ou excluent la liberté 

Les contraintes auxquelles nous consentons, soit parce que nous les croyons nécessaires, soit parce que nous en attendons un bénéfice, ne sont pas contraires à la liberté. Mais il faut ici distinguer les contraintes externes (que la société nous impose) et les contraintes internes (celles que nous nous imposons à nous-mêmes). 

1. Les contraintes que nous nous imposons à nous-mêmes ne sont pas le contraire de la liberté. 

Bien au contraire. Le fait de prendre des engagements, de pouvoir tenir des promesses, autant de caractéristiques de l’être humain qui, loin de diminuer sa liberté, lui donnent une dimension plus profonde. Je suis libre lorsque je respecte la parole donnée, je suis libre lorsque je signe un contrat, je suis libre lorsque je me marie ou lorsque je procrée, sans ignorer les chaînes auxquelles je me soumets ainsi volontairement. On admettra donc que lorsque je choisis de me lier par un serment, un mariage, un contrat etc.. j’agis librement en me pliant à des règles que nul ne m’impose (de l’extérieur). C’est ainsi que Descartes définit la « liberté éclairée ». Je décide de faire ce qui est bien pour moi, et j’en accepte la part de contraintes. C’est le cas d’une personne qui s’engage dans de longues études, conformément à ce qu’elle pense être sa vocation 

2. La société nous impose toutes sortes de règles et de dispositifs contraignants. 

Les institutions et les lois nous obligent à vivre suivant des normes que nous n’avons pas choisies et qui nous apparaissent à bien des égards comme des entraves et des limites, voire des formes oppressives. Freud dit à ce propos que « tout homme est virtuellement un ennemi de la civilisation » (Avenir d’une illusion, chapitre I) car chacun ressent les restrictions de la vie sexuelle et l’obligation de travailler comme une oppression et une mutilation de sa nature. C’est aussi le sentiment exprimé dans la Genèse, dans l’Ancien Testament. À la suite de la chute, Adam et Ève doivent se vêtir, Adam doit travailler et subvenir aux besoins de sa famille etc.. Pourtant la société républicaine, telle que Rousseau l’a conçue dans Du contrat social, est fondée sur l’idée que tous les citoyens ont signé un contrat par lequel ils s’engagent à se soumettre volontairement aux contraintes qu’ils jugent d’intérêt général. C’est ainsi que les parents imposent à leurs enfants de se soumettre aux contraintes inhérentes à l’éducation en supposant qu’ils en admettraient le bien-fondé s’ils étaient en mesure de le faire. 

3. Toutes les activités productrices et créatrices des hommes impliquent des contraintes auxquelles ils souscrivent - dans le meilleur des cas - librement. 

Tout travail implique une discipline, un apprentissage, et de plus ou moins lourdes et pénibles contraintes : horaires stricts, soumission à la volonté de l’employeur, aux exigences de l’entreprise, à la loi du profit… Hegel a établi, à ce propos, que les hommes ne travaillent, au départ, que parce qu’ils y sont forcés. C’est ce qu’il appelle « la dialectique que maître et de l’esclave ». Cependant, ce sont les « esclaves » (les travailleurs) qui deviendront, au bout du compte, les « maîtres de l’Histoire ». C’est par le travail que les hommes accèdent à la civilisation, développent une culture, et donc réalisent leur liberté. De même, dans leurs activités créatrices, les hommes commencent par apprendre des règles auprès de leurs maîtres, puis dans un second temps, ils se donnent à eux-mêmes les règles et donc les contraintes inhérentes à toute production artistique. De même toute personne qui recherche la vérité, qui « pense », doit d’efforcer de suivre des règles, comme nous l’a enseigné par exemple Descartes (cf. « Règles pour la direction de l’esprit » de Descartes). 63

Conclusion de la première partie. 

Toutes les contraintes ne sont pas opposées à la liberté. On remarque que certaines contraintes externes (le fait de devoir voter en république par exemple) ne sont pas contraires à la liberté, tandis que des contraintes internes (la soumission à certaines opinions) peuvent annihiler la liberté. Il faut donc aller plus loin. Les philosophes nous aident à y voir plus clair. 

II Les contraintes s’opposent à la liberté lorsqu’elles sont arbitraires 

Ce qui est « arbitraire », c’est ce qui dépend du seul « libre arbitre » de quelqu’un. Le mot a une connotation négative : ce qui est « arbitraire », c’est ce que je tends à imposer car l’autre ne peut l’approuver. Le comble de l’arbitraire, c’est le bon vouloir du despote ou du maître qui impose ses caprices à ses esclaves. Sur ce modèle, on jugera « arbitraires » toutes les contraintes qui sont dépourvues de nécessité, tels que des rythmes de production ou des modalités du travail inhumaines, ou encore des impôts et taxes dénuées de justification économique. 

1. Les contraintes physiques : au niveau le plus élémentaire, tout ce qui limite les mouvements, les besoins et les aspirations du corps est une contrainte. 

Tout ce qui relève de l’hygiène et de la préservation de la santé constitue un ensemble de contraintes nécessaires, naturelles et donc non opposées à la liberté. En revanche tout ce que nous subissons « à notre corps défendant » telles que les maladies, les handicaps, la famine etc.…, et même ce qui provient de notre propre faiblesse comme ce qui relève de l’addiction (drogue, stupéfiants), constitue des contraintes contre-nature, qui nous font souffrir en vain, et qui restreignent indéniablement notre liberté d’action. Il existe toutefois de nombreuses contraintes que certains individus jugent « arbitraires » et qui sont pourtant « justes » du point de vue du sens commun. Ce sont celles qui sont liées aux tabous sexuels, par exemple, comme le tabou de l’inceste ou l’interdit d’une sexualité « libre » avec des partenaires mineurs. C’est la société qui décide ici de ce qui est permis et de ce qui est laissé à la discrétion de chacun (comme l’orientation sexuelle par exemple). 

2. La forme de contrainte qui est manifestement la plus arbitraire de toutes est celle qui dérive de toutes les formes d’esclavages. 

Rousseau a démontré que l’esclavage est contre nature, car aucun homme n’est né pour être esclave (Du contrat social, Livre I, chapitre IV). Il fait également observer que les hommes sont toujours esclaves de la volonté particulière d’un autre homme. Lorsqu’un individu impose ses désirs à un autre, même si celui-cidonne son consentement, on crée une situation d’aliénation qui tient au caractère arbitraire de la volonté du maître (par exemple dans le cas du mari despotique et de la femme soumise). En revanche, il n’est pas correct de dire que l’« homme est esclave de la loi, de l’éducation de la télévision ou de la société de consommation ». Car ces entités abstraites n’ont pas de volonté, elles ne peuvent donc me contraindre de suivre leurs désirs - quelles n’ont pas ! Derrière les puissances oppressives, il y a toujours des volontés particulières et arbitraires qui assouvissent leurs passions ou poursuivent leurs intérêts. 

3. Sur un plan moral, chacun se soumet à des contraintes, volontairement ou non. 

On peut considérer que tout ce qui contrarie ma nature profonde relève de la « contrainte arbitraire » et qui s’oppose à ma liberté. Mais comment savoir quelle est ma nature profonde, quelles sont donc les décisions et les orientations qui constituent une expression de la liberté (« liberté éclairée ») et quelles sont celles qui relèvent du caprice et donc de l’arbitraire, même si c’est moi-même qui me l’impose à moi-même ? Selon les anciens sages, je ne suis libre que lorsque je me détermine conformément à ma nature raisonnable, après réflexion (« Connais-toi toi-même », 64 

recommande Socrate) tandis que je suis contraint par mes propres désirs, lorsque je m’y livre sans aucune limite. Dans ce cas, je suis le tyran de moi-même, condamné à remplir sans espoir de trouver la satisfaction un tonneau définitivement percé (Gorgias, Platon). 

Conclusion de la seconde partie 

Un questionnement sur la liberté et sur ce qui s’y oppose engage finalement une réflexion sur la vraie nature de l’homme. 

III. Être libre, c’est choisir les contraintes auxquelles on décide de se soumettre volontairement 

Nous savons maintenant que la liberté n’exclut pas la contrainte. Il nous reste à examiner pourquoi certaines contraintes expriment notre nature et, loin d’être opposées à la liberté, en sont même indissociables. Quelles sont ces contraintes, et en quoi dérivent-elles de notre nature ? 

1. Être libre, c’est obéir à la nécessité de sa nature. C’est le philosophe Spinoza qui a formulé cette idée avec le plus de force 

« Pour ma part, je dis quecette chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte cette chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir selon une modalité précise et déterminée. Dieu, par exemple, existe librement (quoique nécessairement) parce qu’il existe par la seule nécessité de sa nature. De même encore, Dieu connaît soi-même et toutes choses en toute liberté, parce qu’il découle de la seule nécessité de sa nature qu’il comprenne toutes choses. Vous voyez donc que je ne situe pas la liberté dans un libre décret, mais dans une libre nécessité ». 

Ainsi par exemple, lorsqu’un rossignol chante, il chante librement, il n’est pas contraint. Il obéit à la nécessité de sa nature. Mais quel est l’équivalent du chant du rossignol pour un homme ? Quand l’homme obéit-il à la nécessité de sa nature ? Le propre de l’homme est la pensée. L’homme est donc libre, et non contraint, lorsqu’il pense, en suivant les règles de la raison qu’il a lui-même élaborées, conformément à sa nature rationnelle et raisonnable. Il n’est pas libre en revanche quand il obéit à ses appétits ou à ses impulsions, qu’il n’a pas choisies, et dont il ignore les causes originelles. Ainsi la femme bavarde ne sait pas à quoi tient son désir irrépressible de s’exprimer hors de propos, pas plus que le nourrisson ne sait pourquoi il désire le sein ou le lait. 

2. Être libre, c’est décider d’obéir à la loi que je me donne à moi-même 

Seul l’homme est capable de choisir quelles sont les règles (morales) qu’il s’impose, par opposition aux animaux qui suivent nécessairement leur instinct, et qui ne sont donc libres que dans un sens limité, car ils ne choisissent pas leurs actions ni leur ligne de conduite (dans la sexualité, par exemple). Au contraire, les hommes ont la capacité de choisir leur façon de vivre et de penser, ils sont donc libres lorsqu’ils s’imposent une loi qui les contraint, mais selon une orientation morale (c’est ce que Kant nomme l’impératif catégorique). L’homme est donc libre lorsqu’il fait son devoir. Cette autonomie (je me donne à moi-même la loi que je vais suivre) est le fondement de la dignité de tous les hommes : 

« La loi morale n’exprime donc pas autre chose que l’autonomie de la raison pure pratique, c’est-à-dire de la liberté, et cette autonomie est elle-même la condition formelle de toutes les maximes, la seule par laquelle elles puissent s’accorder avec la loi pratique suprême » Kant, voir extrait ci-dessous. 65 

3. Nous sommes libres lorsque nous obéissons aux lois auxquelles nous avons consenti 

Cette idée est au fondement de nos institutions républicaines « Le peuple, soumis aux lois, en doit être l’auteur ». En principe, suivant la théorie exposée par Rousseau dans Du contrat social, le peuple est l’auteur des lois auxquelles il se soumet. Dans la réalité, le peuple, théoriquement souverain, doit avoir approuvé les lois fondamentales de son pays pour que celles-ci soient légitimes. Dans ce cas et dans ce cas seulement, le peuple est libre, ou encore autonome, lorsqu’il obéit aux lois. Et chaque citoyen est libre lorsqu’il se soumet aux contraintes des institutions républicaines. Il est même libre lorsqu’il subit une sanction s’il a transgressé la loi. Dans le texte cité en annexe, Rousseau rejoint Spinoza lorsqu’il affirme qu’à l’état de nature, l’homme est libre puisqu’il obéit à la loi naturelle. Il confirme également la thèse de Montesquieu, énoncée quelques décennies auparavant : la liberté et la loi (rationnelle, non arbitraire) sont indissociables en république (lire l’extrait de L’Esprit des lois, ci-dessous), comme elles le sont aussi d’un point de vue moral (Kant reprendra cette idée d’autonomie, empruntée à Rousseau). 

Conclusion de la troisième partie 

Non seulement la contrainte n’est pas le contraire de la liberté, mais encore la liberté ne peut être dissociée de certaines contraintes, pourvu que celles-ci ne soient pas arbitraires. 

Conclusion

Toutes les contraintes ne sont pas oppressives. Toutes les contraintes ne sont donc pas « contraignantes », dans le sens usuel de ce terme. Et la liberté, contrairement à ce qu’admet habituellement le sens commun, ce n’est pas le fait d’« agir sans contrainte ». La liberté, c’est le fait de pouvoir choisir - la loi et les contraintes - que l’on s’imposera à soi-même. La question qui se pose toutefois est encore et toujours de savoir quelles sont les contraintes que nous impose la société qui ne sont pas nécessaires, qui sont arbitraires, parce qu’elles ne sont pas justes. Or il est très difficile de s’entendre sur le caractère nécessaire et juste de certaines contraintes. Et tout ce qui nous contraint, avec ou sans nécessité, nous le tenons spontanément pour injuste ! 

TEXTES 

Texte 1 de Spinoza 

Nous nous croyons libres, c’est-à-dire maîtres de nous-mêmes, lorsque nous obéissons à nos propres désirs. Mais le fait d’épouser nos propres inclinations ne saurait être un gage de liberté : 

« Pour ma part, je dis que cette chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte cette chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir selon une modalité précise et déterminée. Dieu, par exemple, existe librement (quoique nécessairement) parce qu’il existe par la seule nécessité de sa nature. De même encore, Dieu connaît soi-même et toutes choses en toute liberté, parce qu’il découle de la seule nécessité de sa nature qu’il comprenne toutes choses. Vous voyez donc que je ne situe pas la liberté dans un libre décret, mais dans une libre nécessité. 

Mais venons-en aux autres choses créées qui, toutes, sont déterminées à exister et à agir selon une manière précise et déterminée. Pour le comprendre clairement, prenons un exemple très simple. Une pierre reçoit d’une cause extérieure qui la pousse une certaine quantité de mouvement, par laquelle elle continuera nécessairement de se mouvoir après l’arrêt de l’impulsion externe […] 66 

Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, sache et pense qu’elle fait tout l’effort possible pour continuer de se mouvoir. Cette pierre, assurément, puisqu’elle n’est consciente que de son effort, et qu’elle n’est pas indifférente, croira être libre et nepersévérer dans son mouvement que par la seule raison qu’elle le désire. Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d’avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent. C’est ainsi qu’un enfant croit désirer librement le lait, et un jeune garçon irrité vouloir se venger s’il est irrité, mais fuir s’il est craintif. Un ivrogne croit dire par une décision libre ce qu’ensuite il aurait voulu taire. De même un dément, un bavard et de nombreux cas de ce genre croient agir par une libre décision de leur esprit, et non pas portés par une impulsion. Et comme ce préjugé est inné en tous les hommes, ils ne s’en libèrent pas facilement. L’expérience nous apprend assez qu’il n’est rien dont les hommes soient moins capables que de modérer leurs passions, et que, souvent, aux prises avec des passions contraires, ils voient le meilleur et font le pire : ils se croient libres cependant, et cela parce qu’ils n’ont pour un objet qu’une faible passion, à laquelle ils peuvent facilement s’opposer par le fréquent rappel du souvenir d’un autre objet ». 

Spinoza, Lettre 58 à G.H. Schuller (1674), OEuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, p. 1251-1252, 1954. 

Texte 2 de Montesquieu 

Montesquieu montre ici que la liberté n’est en aucun cas le pouvoir, pour chacun, de faire tout ce qu’il veut : 

Chapitre II Diverses significations données au mot de liberté 

« Il n’y a point de mot qui ait reçu plus de différentes significations, et qui ait frappé les esprits de tant de manières, que celui de liberté. Les uns l’ont pris pour la facilité de déposer celui à qui ils avaient donné un pouvoir tyrannique ; les autres, pour la faculté d’élire celui à qui ils devaient obéir ; d’autres, pour le droit d’être armés, et de pouvoir exercer la violence ; ceux-ci pour le privilège de n’être gouvernés que par un homme de leur nation, ou par leurs propres lois. Certain peuple a longtemps pris la liberté pour l’usage de porter une longue barbe. Ceux-ci ont attaché ce nom à une forme de gouvernement, et en ont exclu les autres. Ceux qui avaient goûté du gouvernement républicain l’ont mise dans ce gouvernement ; ceux qui avaient joui du gouvernement monarchique l’ont placée dans la monarchie. Enfin chacun a appelé liberté le gouvernement qui était conforme à ses coutumes ou à ses inclinations ; et comme dans une république on n’a pas toujours devant les yeux, et d’une manière si présente, les instruments des maux dont on se plaint ; et que même les lois paraissent y parler plus, et les exécuteurs de la loi y parler moins ; on la place ordinairement dans les républiques, et on l’a exclue des monarchies. Enfin, comme dans les démocraties le peuple paraît à peu près faire ce qu’il veut, on a mis la liberté dans ces sortes de gouvernements ; et on a confondu le pouvoir du peuple avec la liberté du peuple. 

Chapitre III Ce que c’est que la liberté 

Il est vrai que dans les démocraties le peuple paraît faire ce qu’il veut ; mais la liberté politique ne consiste point à faire ce que l’on veut. Dans un État, c’est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu’à vouloir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être pas contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir. 

Il faut se mettre dans l’esprit ce que c’est que l’indépendance, et ce que c’est que la liberté. La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent ; et si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir. » 

Montesquieu, L’Esprit des Lois (1748) Livre XI, chapitres II et III, p 394-395Bibliothèque de la Pléiade 1970,(Ou tome I, p 291-292 en GF). 67 

Texte 3 de Rousseau : 

À l’état de nature, selon Rousseau, les hommes ne dépendaient de personne, n’avaient aucun compte à rendre à qui que ce soit ; ils ne pouvaient être réduits en esclavage. On aurait tort d’en conclure pour autant que la liberté peut se passer de règles. La liberté ne peut en aucun cas être confondue avec l’absence ces contraintes : 

« On a beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté, ces deux choses sont si différentes que même elles s’excluent mutuellement… Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle pas un état libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre, et régner, c’est obéir […] 

Il n’y a donc point de liberté sans Lois, ni où quelqu’un est au-dessus des Lois : dans l’état même de nature, l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous.

Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux Lois, mais il n’obéit qu’aux Lois, et c'est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu’on donne dans les Républiques au pouvoir des Magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l’enceinte sacrée des Lois : ils en sont les Ministres, non les arbitres ; ils doivent les garder, non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son Gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l’homme, mais l’organe de la Loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des Lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain. » 

Rousseau, Lettres écrites sur la montagne (1764) Huitième Lettre, in OEuvres complètes, vol III, Bibliothèque de la Pléiade. Gallimard 1964 

Texte 4 de Kant 

Se donner à soi-même la loi que l’on décide de suivre, telle est la définition de la liberté que Kant explicite ici, dans le droit fil de Rousseau. 

« L’autonomie de la volonté est le principe unique de toutes les lois morales et des devoirs qui y sont conformes […]. Le principe unique de la moralité consiste dans l’indépendance, à l’égard de toute matière de la loi (c’est-à-dire à l’égard d’un objet désiré) et en même temps aussi dans la détermination du libre choix par la simple forme législative universelle, dont une maxime doit être capable. Mais cette indépendance est la liberté au sens négatif, cette législation propre de la raison pure et, comme telle, pratique, est la liberté au sens positif. La loi morale n’exprime donc pas autre chose que l’autonomiede la raison pure pratique… » 

Kant, Critique de la raison pratique (1788), Traduction François Picavet, Première partie, Théorème IV,la-philosophie-comme-un-roman.jpg-copie-1.png p. 33, PUF, 1965. 

 

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