Comment participer de la nature divine.. (Spinoza)

 

« Seule assurément une farouche et triste superstition interdit de prendre des plaisirs. En quoi, en effet, convient-il mieux d’apaiser la faim et la soif que de chasser la mélancolie ? Telle est ma règle, telle est ma conviction. Aucune divinité, nul autre qu’un envieux, ne prend plaisir à mon impuissance et à ma peine, nul autre ne tient pour vertu nos larmes, nos sanglots, notre crainte et autres marques d’une âme impuissante ; au contraire, plus grande est la Joie dont nous sommes affectés, plus grande la perfection à laquelle nous passons, plus il est nécessaire que nous participions de la nature divine. C’est pourquoi il est d’un homme sage d’user des choses et d’y prendre plaisir autant qu’il se peut (sans aller jusqu’au dégoût, ce qui n’est plus prendre plaisir). Il est d’un homme sage, dis-je, de se réconforter et de réparer ses forces grâce à une nourriture et des boissons agréables prises en quantité modérée, et aussi grâce aux parfums, au charme des plantes verdoyantes, de la parure, de la musique, des jeux exerçant le Corps, des spectacles et d’autres choses de même sorte dont chacun peut user faire aucun tort à autrui. Le Corps humain en effet est composé d’un très grand nombre de parties de nature différente qui ont continuellement besoin d’une alimentation nouvelle et variée, pour que le Corps entier soit également apte à tout ce qui peut suivre de sa nature et par conséquent que l’esprit soit également apte à comprendre plusieurs choses à la fois. Cette façon d’ordonner la vie s’accorde ainsi très bien et avec nos principes et avec la pratique en usage. Aussi, s’il existe d’autres manières de vivre, celle-ci est à tous égard  la meilleure et la plus recommandable ; et il n’est pas nécessaire ici de traiter ce point plus clairement ni plus amplement. »

(Ethique, IV, proposition 45, scolie du corollaire 2)