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28 septembre 2022 3 28 /09 /septembre /2022 11:34

 

Boèce (480-524) passe des plus hauts honneurs à la disgrâce. Dans sa prison où il attend son exécution, il rumine de sombres pensées. Quand, soudain, lui apparaît une femme mystérieuse :

 

"Pendant que je m'occupais de ces tristes pensées, et que j'exhalais ainsi ma douleur, j'aperçus au-dessus de moi une femme dont l'aspect inspirait la vénération la plus profonde. Ses yeux pleins de feu étaient mille fois plus perçants que ceux des hommes ; les couleurs les plus vives annonçaient sa force ; sa vigueur ne paraissait point altérée, quoiqu'à son air on s'aperçût bien que sa naissance avait précédé celle des hommes les plus âgés de ce siècle. Il était difficile de connaître la hauteur de sa taille, car quelquefois elle ne paraissait pas au-dessus du commun des hommes, et quelquefois elle semblait toucher aux nues, les pénétrer même, et dérober sa tête aux regards curieux des mortels..."

 

C'est la Philosophie ! Elle se propose de le "consoler" et se présente ainsi  (le dialogue entre Boèce et la Philosophie se poursuit sur quatre livres):

 

"Avez-vous pu penser, mon cher élève, me répondit-elle, que je vous abandonnerais dans vos malheurs, et que je refuserais de partager avec vous la persécution à laquelle vous n'êtes en butte que pour l'amour de moi ? Je croirais faire un crime si, dans de pareilles circonstances, je me séparais un instant d'un innocent faussement accusé, et dont la cause est la mienne. Pensez-vous que de pareilles accusations soient capables de m'intimider ? Rien de ce qui vous arrive ne peut m'inspirer ni surprise ni frayeur ; j'y suis accoutumée. Est-ce donc la première fois que les méchants ont fait courir à la sagesse les plus grands dangers ? Dès les premiers temps, avant la naissance de mon illustre élève Platon, j'ai eu de grands combats à soutenir contre la folle audace des hommes. Du vivant de Platon, Socrate son maître triompha par mon secours des horreurs d'un supplice injuste. Après sa mort glorieuse, la secte d'Epicure, celle de Zénon et beaucoup d'autres, prétendirent être les légitimes héritiers de ses sentiments. Chacun voulut par la violence se mettre en possession de ce savant héritage ; je m'opposai de toutes mes forces à leur usurpation ; mais comme chacun d'eux s'efforçait de m'attirer à lui, ils déchirèrent cette robe que j'avais tissée moi-même, et ils se glorifièrent de ce qui leur en resta dans les mains, comme si, en se retirant, ils m'avaient entraînée tout entière de leur côté. Il y eut même beaucoup de gens qui, ne réfléchissant point assez, les crurent du nombre des miens parce qu'ils les virent parés de quelques lambeaux de mes livrées ; et ils se laissèrent séduire imprudemment par les erreurs de cette multitude profane. Mes élèves ont été mille fois persécutés. Anaxagore fut exilé, Socrate fut empoisonné, Zénon souffrit la plus horrible torture. Si vous ignorez ces exemples de la cruauté des hommes, parce qu'ils sont étrangers à votre patrie, vous ne pouvez ignorer les malheurs d'un Canius, d'un Sénèque, d'un Soranus, dont la mémoire est aussi récente que célèbre. Instruits de mes maximes, ils les pratiquaient ; la pureté de leurs moeurs condamnait la perversité des méchants ; voilà la seule cause de la persécution dont ils furent les victimes. Faut-il donc s'étonner si notre vie est agitée par tant de tempêtes, puisque nous nous faisons gloire de déplaire aux

méchants ? Leur nombre est infini, sans doute, mais il n'en est pas moins méprisable. Sans lois et sans guide, ils ne suivent que les mouvements déréglés d'une fureur aveugle. Si nous sommes quelquefois obligés de céder à leurs violences, notre chef nous retire dans un fort imprenable : de là nous les voyons s'occuper à piller les bagages que nous leur abandonnons. Nous nous moquons de leur folle avidité, qui s'attache à des choses si viles et si méprisables ; et nous bravons leur rage impuissante du haut de nos remparts inaccessibles à leur audace. Rien ne peut ébranler celui qui sait régler sa conduite, mépriser les événements, fouler aux pieds le destin impérieux, et regarder d'un oeil égal la bonne et la mauvaise fortune."

 

Boèce, Consolation de la Philosophie. 

 

 

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