Désobéir pour l’avenir
Le soulèvement de la jeunesse est juste et irrépressible
« Tu n’arriveras à rien en criant ». La jeune suédoise Greta Thunberg tape sur les nerfs de tous les négationnistes du climat. Il est vrai que depuis plusieurs mois, avec son air buté et son incroyable aplomb, elle occupe le terrain. Son idée de grève hebdomadaire a rencontré un succès inattendu. En Belgique, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Suisse, au Canada, en Australie, des dizaines de milliers de jeunes sèchent l’école et se rassemblent chaque vendredi. De très jeunes filles - parfois - mènent l’action. Quant à Greta, elle a été classée en décembre 2018 par le magazine américain Time parmi les vingt-cinq adolescents « les plus influents de la planète ». Imperturbable, exaspérante, la « petite peste » - comme on la nomme sur les sites climato-sceptiques - ne se prive pas d’invectiver les parterres entiers de personnalités : « Notre biosphère est sacrifiée pour que des personnes riches dans des pays comme le mien puissent vivre dans le luxe ». A Katowice, où elle fut invitée en décembre denier à l’occasion de la COP 24, les décideurs du monde entier l’ont laissée proférer ses imprécations et se sont même vus intimer l’ordre de « laisser les énergies fossiles dans la terre ». Dans le même temps, tous les « esprits forts » que comptent les sociétés « avancées » ont décidé que ce monôme aux proportions inédites avait assez duré. Une fois la petite remise à sa place - zéro de conduite et au piquet - le très gros chahut devrait aisément prendre fin.
Cependant, étrangement, rien ne se passe comme prévu. A l’heure actuelle, le mouvement fait tâche d’huile. Des scientifiques et d’innombrables personnalités, pourtant adultes et vaccinées, le soutiennent. En France, ce sont les enseignants eux-mêmes (« Enseignants Pour La Planète ») qui, toutes générations confondues, rejoignent désormais les grévistes. Aucun soulèvement (hormis peut-être en 68) n’a rassemblé ainsi des milliers, voire des centaines de milliers de jeunes dans le monde entier, autour d’une même cause, par delà les appartenances et les clivages religieux ou politiques. Par sa spontanéité et par son ampleur, le mouvement, qui casse tous les codes, stupéfie autant qu’il irrite : comment des enfants pourraient-ils prétendre changer le monde, alors qu’ils ignorent tout des réalités et des contraintes gestionnaires qui dictent les choix des responsables politiques et des acteurs économiques?
Les jeunes marcheurs demandent que nos sociétés engagent une démarche de restauration écologique à la mesure des dégâts causés. Ils entendent obliger leurs gouvernements respectifs à atteindre le fameux « zéro émissions nettes de gaz à effet de serre » d’ici 2025. Pour atteindre cet objectif, Ils affirment qu’il faudrait amorcer immédiatement une descente énergétique et l’abandon des combustibles fossiles. Lucides, ils ne cachent pas que l’ambition affichée nécessiterait une mobilisation civile et solidaire d’une ampleur et d’une visée comparables à celles déployées en temps de guerre ! Etant donné, déplorent-ils, que « les politiques ne font rien », il faut donc dégager les responsables et faire en sorte que les citoyens du monde entier reprennent la main : « Nous ne pouvons pas sauver la Terre en jouant selon les règles. Il est temps de se rebeller pour sauver l’avenir » écrit Greta Thunberg.
L’entreprise paraîtra d’autant plus chimérique que les jeunes militants, mais aussi les associations (ANV- Cop 21, Alternatiba, Extinction Rébellion, Greenpeace etc..) qui les soutiennent, se veulent, pour la plupart, non-violents ! Il faut savoir cependant que la désobéissance civile n’exclut ni la lutte ni le conflit ni les affrontements. Les activistes prônent des actions vigoureuses de contestation radicale ou/et symbolique du système (bloquages, boycotts, grèves, voire sabotages). Le récent mouvement Extinction Rebellion, par exemple, parfaitement au clair sur la question, mise plutôt sur la guerre des nerfs qui viendra à bout - à terme - de l’adversaire sans l’attaquer ni le détruire physiquement. Pas besoin d’armes létales ni de robots tueurs pour inverser le rapport de forces. « Ce n’est ni en esclave ni en maître qu’il faut agir, mais en révolté » : la rage libère des flots d’ énergie qui, trop longtemps comprimés, deviennent furieux. Irrésistible, la puissance exprimée est en mesure de déstabiliser le pouvoir qui, même pour celui qui l’exerce, impose toujours à terme une logique d’ordre et de respect des règles.
La préservation d’un monde commun, simplement humain, même si c’est au prix d’une désintégration du modèle dominant (quoiqu’en pensent les « utopistes », ceux qui croient que le monde sera réparé sans toucher au système ) reste l’ambition première en même temps que la condition de possibilité de tout projet politique, quel qu’il soit. Mais si la révolte citoyenne en cours est bien politique, elle comporte aussi une dimension éthique. Les jeunes insubordonnés sont moins motivés par « la crainte irrationnelle de l’avenir » (comme on le prétend en général) que par l’indignation contre la logique cynique et criminelle d’un système qui sacrifie les chances de survie des communautés les plus fragiles pour conserver à n’importe quel prix le mode de vie des sociétés les mieux loties :
« On me dit : Bois et mange, toi ! Réjouis-toi d'avoir de quoi.
Mais comment puis-je boire et manger
Quand j’arrache à l’affamé ce que je mange,
Quand mon verre d’eau manque à l’assoiffé ? » (Bertolt Brecht)