E.M. : Ce que propose Alain est le problème que je me pose depuis des années et qui demeure sans solution. En 1991, en écrivant Terre-patrie, j’ai pris conscience qu’avec la mondialisation, tous les Terriens ont un destin commun avec les mêmes périls, qu’ils soient économiques, écologiques ou politiques. Cela doit entraîner un humanisme régénéré prenant conscience que toute l’humanité est emportée dans une aventure commune. Or, plus il apparaît évident que cette communauté de destins existe, avec la progression des événements mondiaux qui nous concernent tous, moins la conscience se fait. Pourquoi ? Est-ce parce que les angoisses provoquées par la mondialisation conduisent à des replis sur des cultures, des identités religieuses et nationales ? Sûrement. Cette question dramatique a pesé sur toute mon entreprise intellectuelle. Or, je vois depuis trente ans à quel point nous piétinons. La question écologique, qui était un des leviers pour ressentir cette communauté de destins, n’est pas ressentie comme telle. Comment réussirons-nous à renverser les esprits et les consciences ? On a eu l’expérience de la crise des années 30, qui était économique, mais aussi démocratique et presque civilisationnelle, et l’on a vu déjà à ce moment-là arriver le repli nationaliste fermé. Aujourd’hui, le néoautoritarisme nationaliste progresse dans le monde entier. (Libération , le 4 février 2019, avec Alain Touraine)