Mark Twain L’animal au bas de l’échelle
in Cette maudite race humaine, Actes Sud 2018
« Force est de constater qu'en matière de noblesse de caractère, l'homme ne peut prétendre arriver à la cheville du plus vil animal supérieur. A l’évidence, sa constitution ne lui permet pas d'approcher cette attitude ; elle l’afflige d'un défaut qui rend une telle conquête à jamais impossible puisque ce défaut est manifestement chez lui immuable, indestructible, invincible.
Ce défaut dans je parle est le sens moral. Il est le seul animal en être doté. C'est le secret de sa déchéance. C'est la qualité qui lui permet de faire le mal. Le sens moral n'a pas d’autre rôle. Il ne peut remplir aucune autre fonction. Il n'a pu être destiné à quoi que ce soit d'autre. Sans lui, l'homme ne pourrait rien faire de mal. Il s'élèverait brusquement au niveau des animaux supérieurs.
(…)
De fait il est une maladie. La rage est mauvaise, mais elle ne l’est pas autant que cette maladie-là. La rage permet à l'homme de faire ce qu'il ne pourrait faire en bonne santé : tuer son prochain d'une morsure venimeuse. La rage ne fait de personne un homme meilleur.
Le sens moral permet à l’homme de faire le mal. Il lui permet de faire le mal de mille façons. La rage est une maladie bénigne comparée au sens moral. Le sens moral ne fait donc de personne un homme meilleur. Finalement, quelle aura été la malédiction première ? Ce qu'elle a été depuis l'origine : l’imposition à l’homme du sens moral ; sa capacité à distinguer le bien du mal ; et avec elle, nécessairement, sa capacité à faire le mal ; puisqu'il ne peut y avoir de mauvaise action sans la conscience du mal chez celui qui la commet.
Si j'en conclus que nous sommes descendus et avons dégénéré depuis quelque ancêtre lointain – quelque atome microscopique baguenaudant, qui sait, sur la gigantesque surface d'une goutte d’eau-, cascadant d’insecte en insecte, de reptile en reptile, tout le long de la grand-route de la pure innocence, jusqu'à atteindre le fin fond de l'évolution, que l'on nommera l’être humain. Plus bas que nous, rien. Rien, si ce n'est le Français.
Il n'y a qu'un seul degré possible en dessous du sens moral, c'est le sens immoral. Le Français l’a. L'homme est juste en dessous des anges. Cela ne situe clairement. Il est entre les anges et le Français".