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18 février 2013 1 18 /02 /février /2013 12:54

Bebe-eprouvette.jpgLa PMA à la québécoise

(ou l’art de faire des bébés autrement sans déclencher une guerre morale)

 

(Partie 1)

 

« Voici que l’homo sapiens est en voie de devenir un homo biologicus, étrange bipède qui cumulera les propriétés de se reproduire sans mâle comme les pucerons, de féconder sa femelle à distance comme les mollusques nautiles, de changer de sexe comme les poissons-xiphophores, de se bouturer comme le ver de terre, de remplacer ses parties manquantes comme le triton, de se développer en dehors du corps maternel comme le kangourou, de se mettre en état d’hibernation comme le hérisson » ».

Jean Rostand.

L’homme, Idée, Gallimard, 1961.

Serge Provost

Professeur de philosophie

 

Des bébés PMA : de Céline Dion à Ariane Moffat

 

Alors que nos cousins Français, très remontés des deux bords, descendent par centaines de milliers dans les rues pour ou contre le mariage pour tous; pendant que le président Hollande requiert de sages et savants avis au Comité consultatif national d’éthique; pendant que députés, intellos des extrêmes, chroniqueurs de droite et de gauche et tutti quanti — se crêpent le chignon autour des enjeux complexes de la PMA (terme générique décrivant l’ensemble des techniques artificielles pour obtenir des enfants), une vedette de la chanson québécoise, Ariane Moffat, lesbienne jamais entrée ni sortie du placard, car fière de l’être et d’être soi, annonce, le plus simplement du monde, que sa « fiancée » attend des jumeaux.

 

On ne sait pas, à ce jour, si la « copine pas mal enceinte, t’sé veux dire... » de la populaire chanteuse et compositrice a eu recours à un, deux, trois ou à tous les procédés biotechnologiques que nous analyserons dans ce texte, mais nous tenons pour une certitude qu’ils crispent, enflamment, voire ensauvagent les débats de nos chers ancêtres directs, plus carrés qu’hexagonaux en ces matières.

 

On ne sait pas non plus si la survenue d’un autre « bébé de la science » dans le monde bling-bling ou alternatif des artistes soulèvera une foire d’empoigne éthique. J’en doute fort. Parce que les Québécois et les Français sont séparés par... le tempérament! Chose certaine, on commence à « connaître la chanson » des argumentaires de ceux qui, à raison, s’en inquiètent ou s’y opposent. Et si, pour s’y retrouver, l’on en faisait un bref panorama pédagogique ainsi que le résumé des plus fréquentes objections ?

 

Définitions et objections

« Mal nommer les choses c’est ajouter du malheur au monde ».

Albert Camus.

 

1) Une banque de sperme et d’ovules est ce lieu où sont conservées les paillettes contenant des spermatozoïdes congelés à l’azote liquide (à —196 degrés Celsius), des ovules ainsi que le personnel chargé de la conservation et la gestion de ces substances.

 

Oui, mais...

 

Ce n’est pas tant le don de sperme et d’ovules qui semble poser problème que la « mentalité catalogue » de personnes qui se les procurent. Sans parler du business des éjacultats et ovocytes tarifés et sélectionnés dans le moindre nanodétail. Le détail... le diable ne s’y cache-t-il pas ? « Aux États-Unis, des dizaines de cliniques proposent déjà des profils génétiques de donneurs potentiels de sperme et d’ovocytes. La Xytex Corporation, basée à Atlanta, présente à ses clients une longue liste de traits physiques, de la longueur des cils aux taches de rousseur en passant par la forme des oreilles. Un extrait du dossier médical du donneur peut aussi être obtenu, ainsi que, moyennant un supplément, un profil de sa personnalité, son parcours scolaire et universitaire, une lettre et des photos du donneur, enfant et adulte », écrit Marlowe Hood, (Les parents peuvent-ils choisir les gènes de leurs enfants ?, La Presse, 5-2-2009).

 

Certaines entreprises poussent encore plus loin le souci de répondre aux desiderata d’une clientèle de plus en plus exigeante. Des banques de sperme privées et « branchées » se font d’ores et déjà une réputation en offrant la possibilité de choisir leurs « produits » en fonction de la race, de la taille, de la corpulence, du quotient intellectuel, de la couleur des yeux, des cheveux, le pourcentage de vision et d’audition, la qualité de la dentition, de l’appartenance ethnique, religieuse, linguistique et nationale. Les précisions sur le C.V. du donneur qui marchande sa fertilité vont jusqu’à sa scolarité attestée, ses loisirs, ses goûts artistiques, sa provenance familiale (couple uni ou divorcé), la ville, le quartier, le nombre de langues parlées, etc.

 

2) La fécondation in vitro (F.I.V.), cette technique de fécondation en éprouvette (in vitro fait référence à la « vitre » dont sont faites les éprouvettes), donc hors du corps de la mère. Cette méthode très appréciée par une autre chanteuse québécoise, hétéro celle-là, Céline Dion, dont les trois enfants — dont des jumeaux — ont été obtenus ainsi. Ce procédé consiste à réunir dans un tube des cellules sexuelles du père (spermatozoïdes) et de la mère (ovules). L’embryon obtenu « en tube » est ensuite déposé dans l’utérus maternel.

 

Oui, mais...

 

L’homme qui a dit non

 

Pour mémoire, rappelons aux plus jeunes lecteurs de ce texte que devant les développements probables et indésirés de cette technique, Jacques Testart, pourtant le père d’Amandine, premier bébé-éprouvette français, proclamera, haut et fort, un NON! médiatique et très remarqué. « Je n’irai pas plus loin. Je ne tenterai pas d’autres premières ». Doutant de la neutralité de la science et des techniques, il écrira : « Qu’on démontre qu’une seule fois une découverte n’a pas été appliquée alors qu’elle correspondait à un besoin préexistant ou créé par elle-même. C’est bien en amont de la découverte qu’il faut opérer les choix éthiques » (...) « je revendique une logique de la non-découverte, une éthique de la recherche ». (Le Monde, 10 septembre 1986). Pour plus de développements, voir ses ouvrages L’œuf transparent, (Flammarion, 1986) et Le magasin des enfants (Gallimard, Folio Actuel, 1994).

 

L’homme de science, doublé d’un éthicien, n’avait pas tort de s’en faire. En quelques décennies, nous sommes passés d’homo faber (l’homme qui fabrique) à faber hominis (l’homme qui fabrique l’homme). L’être humain est non seulement en situation de faire ou de ne pas ceci ou cela, il peut se faire, se modifier, se produire en échappant aux déterministes de la vie qui affectèrent les 60 à 80 milliards d’humains qui vécurent avant nous. Exaltant, convenons-en. Mais il y a un hic. Plusieurs, à vrai dire.

 

« Houston, we have a problem »   http://www.youtube.com/watch?v=eco_xvkEQlg

 

Il n’y a pas que dans l’espace que des problèmes surviennent. Ils arrivent, sur terre, dans le ventre de mères humaines en quête frénétique d’un enfant. Les taux de réussite sont plus bas que les espoirs placés dans cette technique. Il fallut six tentatives à Céline Dion, avec les meilleurs spécialistes mondiaux, pour obtenir ses jumeaux tant et tant médiatisés. La méthode comporte également de graves inconvénients. Dans les premières années d’utilisation de la fécondation in vitro, on ne transférait qu’un seul embryon à chaque tentative. Pour augmenter le taux de réussite, on se mit à en transférer plusieurs (de trois à cinq). Conséquences : les naissances multiples sont fréquentes (30 % de plus que par les voies naturelles). Si bien que plusieurs pays de par le monde ont passé des législations interdisant le transfert de plus de trois embryons.

 

L’hyperstimulation ovarienne inhérente à cette méthode a conduit à des situations extrêmes : en 1998, une Américaine a donné naissance à huit enfants dont sept ont survécu. Autre inconvénient le coût est de plusieurs milliers de dollars [parfois plusieurs dizaines de milliers]. Les fausses couches sont fréquentes [3 fois plus nombreuses qu’avec les méthodes naturelles d’enfantement]. On observe un taux anormalement élevé de prématurés. Les handicaps divers sont le triple de la normale. La mortalité périnatale (les périodes précédant et suivant immédiatement la naissance) est le double.

 

Avec très peu d’études concluantes, voire aucune, sur les effets psychologiques auprès des enfants ainsi obtenus, les biotechnologies médicales parviennent à « produire », de façon volontaire et artificielle, des enfants sans ascendance. Des psychologues mettent en garde les couples un peu trop pressés de passer à l’acte : il ne faut pas confondre ce « procédé » avec l’adoption qui vise, elle, à fournir une solution la moins pénible à un problème déjà existant, à savoir fournir des parents à un enfant.

 

Le temps des « bébés de la culture » ou « de culture » ?

 

L’humanité a remplacé la nature par la culture. Pour des milliards d’individus, le support technologique est devenu un besoin presque vital (qui peut se passer des machines de toutes sortes qui partagent notre quotidien ? Sans sombrer dans la science-fiction/affliction, se pourrait-il que des couples recourent à ces techniques de reproduction pour s’éviter les embarras de la grossesse, en arguant, par exemple, que la progéniture ainsi obtenue fournit des conditions optimales de développement et de sécurité ?      

                                      À suivre

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commentaires

S
<br />  Aux lecteurs de cet article qui se pose des questions factuelles précises sur la PMA au Canada/Québec, ce complément d'information: <br /> <br /> <br /> « Au Québec, l’affaire a été tranchée en 2003 par l’adoption d’une proposition du<br /> député bloquiste Réal Ménard modifiant la loi fédérale sur les techniques de reproduction assistée. Depuis, la PMA est accessible à toutes les femmes sans exception, qu’elles soient célibataires,<br /> hétérosexuelles, lesbiennes ou qu’elles aient plus de 40 ans. Au Québec, la PMA est même remboursée en partie par l’assurance maladie. » 16 février 2013 | Christian Rioux, Le Devoir. <br />
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C
<br /> Merci Mr Provost pour ce très intéressant texte nous apportant de précieuses précisions pour une bonne compréhension de la procréation artificielle . Ce que vous nous dites rejoint directement ce<br /> que je ne cesse de répéter sur ce blog ( un peu trop pour certains ) , à savoir que cette procréation artificielle est l'expression la plus claire de la volonté humaine de se substituer à la<br /> nature, et plus précisément de vaincre la toute puissance de celle-ci, qu'est son pouvoir de vie et de mort .Car à défaut de parvenir à l'immortalité , créer la vie selon ses seuls désirs est une<br /> manière de vaincre la mort .C'est plus fort que lui ,et malgré toute la rationalité que l'homme mettera à tenter de contrôler ce pouvoir , l'irrationalité du besoin qu'il éprouve à aller contre<br /> la nature n'empêchera nullement certains abus,et détournements de ce pouvoir . le pire est donc malheureusement à craindre , comme cela a été le cas pour le nucléaire , le nazisme , etc ...<br />
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